Cour d’appel de Grenoble, le 2 septembre 2025, n°23/00934

La cour d’appel de Grenoble, le 2 septembre 2025, statue sur les heures supplémentaires, la contrepartie en repos, le travail dissimulé et un licenciement pour insuffisance professionnelle. Un salarié, embauché en 2000 puis cadre à compter de 2010, a été licencié en décembre 2020 pour insuffisance professionnelle. Il sollicitait des rappels d’heures supplémentaires, une contrepartie obligatoire en repos, une indemnité pour travail dissimulé, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud’hommes de Valence, le 15 février 2023, avait jugé le licenciement fondé, rejetant l’ensemble des demandes du salarié. Un appel a été interjeté en mars 2023. Entre-temps, une procédure collective a affecté l’employeur, entraînant l’intervention du mandataire judiciaire et la mise en cause de l’organisme de garantie des créances salariales.

Le salarié soutenait avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, et prétendait au repos compensateur au-delà du contingent conventionnel. Il invoquait également le travail dissimulé. L’employeur contestait l’existence et l’ampleur des dépassements horaires, arguait d’un horaire collectif, et maintenait la réalité d’une insuffisance professionnelle ancienne et documentée.

La question juridique portait, d’une part, sur le régime probatoire des heures supplémentaires et la détermination de la contrepartie obligatoire en repos, d’autre part, sur la caractérisation du travail dissimulé et l’appréciation d’une insuffisance professionnelle au regard de l’obligation d’adaptation. La cour reconnaît des heures supplémentaires sur trois années, accorde une contrepartie en repos après rectification du mode de calcul, rejette le travail dissimulé faute d’intention, et juge le licenciement non fondé, allouant des dommages-intérêts. L’organisme de garantie supporte les condamnations dans les limites légales.

I. La preuve des heures et la contrepartie en repos

A. Un cadre probatoire rappelé avec rigueur

La cour rappelle le régime de l’article L. 3171-4 et en déduit un partage raisonné de la preuve. Elle cite que: « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Le juge « forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments ».

L’argument tiré d’un horaire collectif non établi ni affiché est écarté de façon nette. La cour décide que « Par conséquent, cet horaire collectif allégué par l’employeur est inopposable au salarié. » Cette inopposabilité renforce l’exigence d’un instrument fiable de suivi, dont l’absence pèse sur l’employeur gardien du contrôle de la durée du travail.

B. L’usage du CRM et l’évaluation des dépassements

Le salarié produit un tableau et des extractions CRM montrant des tâches et rendez-vous horodatés. La cour admet ces éléments pour ouvrir le débat contradictoire, tout en purgeant les anomalies relevées, notamment certains temps non travaillés. Elle rappelle le périmètre du temps de travail effectif en des termes pédagogiques: « En tout état de cause, la cour rappelle que le temps de travail effectif ne se réduit pas à la réalisation des tâches contractuellement prévues, mais au temps pendant lequel un salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. »

L’office du juge s’exerce pleinement dans l’évaluation souveraine des heures, avec déductions des jours fériés, congés et interventions privées. S’agissant du repos compensateur, l’acceptation du décompte hebdomadaire n’empêche pas une rectification méthodologique. La cour note que « Le salarié soumet un décompte de ses heures supplémentaires réalisées par semaine depuis le mois de janvier 2018, pour en déduire un calcul, non contredit par l’employeur, des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel conventionnel de 130 heures. » Elle corrige cependant le raisonnement en tenant compte des 17,33 heures mensuelles déjà contractualisées et payées, puis fixe l’indemnité dans la limite des demandes.

II. Le travail dissimulé et l’insuffisance professionnelle

A. L’exigence d’intention en matière de travail dissimulé

La cour distingue clairement l’élément matériel et l’élément intentionnel. Elle rappelle que « La charge de la preuve du travail dissimulé repose sur le salarié, qui doit démontrer l’existence, d’une part, d’un élément matériel constitué par le défaut d’accomplissement d’une formalité obligatoire et, d’autre part, d’un élément intentionnel, constitué par la volonté de se soustraire à cette formalité. » L’absence de mention de toutes les heures sur les bulletins ne suffit pas. La motivation est explicite: « le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante protégeant la cohérence du régime indemnitaire. Elle évite de transformer tout différend probatoire sur les heures en faute intentionnelle, tout en maintenant l’incitation à un suivi fiable du temps.

B. L’obligation d’adaptation, critère dirimant de l’insuffisance professionnelle

L’insuffisance professionnelle exige des éléments objectifs durables et imputables au salarié. La cour rappelle d’abord le principe du doute: « Si un doute subsiste, il profite au salarié. » Surtout, elle réaffirme une exigence cardinale: « En outre, il est constant que l’employeur qui licencie un salarié pour insuffisance professionnelle doit avoir respecté son obligation d’adaptation du salarié à l’évolution de son poste de travail ». Et elle précise la portée de cette exigence: « Aussi le licenciement pour insuffisance professionnelle est injustifié s’il apparaît que les erreurs du salarié sont directement imputables à un manque de formation. »

L’analyse factuelle retient l’absence de formation spécifique, des objectifs fixés puis non réévalués, l’abandon des entretiens d’évaluation, et la reconduction de missions malgré des critiques antérieures. La surcharge avérée d’heures supplémentaires, sur les trois années précédant la rupture, constitue un élément contextuel aggravant. La solution écarte la cause réelle et sérieuse, et alloue des dommages-intérêts en considération de l’ancienneté et de la situation postérieure.

Cette décision éclaire la pratique. Pour la durée du travail, elle confirme que la preuve se structure autour d’indices précis du salarié et d’un contrôle fiable de l’employeur, l’outil interne pouvant utilement concourir. Pour le licenciement, elle exige la démonstration d’une démarche d’adaptation effective, sans quoi les insuffisances relevées ne suffisent pas à justifier la rupture. L’organisme de garantie des salaires demeure tenu dans le cadre légal, ce qui assure l’effectivité des créances ainsi fixées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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