Cour d’appel de Grenoble, le 2 septembre 2025, n°23/01405

L’obligation de reclassement du salarié inapte à la suite d’une maladie professionnelle constitue l’une des garanties essentielles du droit du travail. La cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt rendu le 2 septembre 2025, apporte une contribution significative à l’appréciation de la charge probatoire incombant à l’employeur.

Un salarié avait été embauché en qualité de chauffeur livreur cariste en 1995. Il a ensuite occupé le poste de chauffeur livreur poids lourd à compter de 2000. En janvier 2019, il a été placé en arrêt de travail pour une affection de la coiffe des rotateurs à l’épaule, reconnue comme maladie professionnelle. Après avoir subi une intervention chirurgicale, il a été déclaré inapte à son poste le 8 janvier 2021, le médecin du travail précisant qu’il pouvait occuper un emploi sans manutention répétée de charges supérieures à cinq kilogrammes ni mouvements forcés en élévation des membres supérieurs.

L’employeur a interrogé plusieurs établissements du groupe par courriel et a reçu des réponses négatives. Il a ensuite licencié le salarié pour impossibilité de reclassement le 26 février 2021. Le salarié a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement fondé et l’a débouté de ses demandes. Il a interjeté appel.

Devant la cour d’appel, le salarié soutenait que les recherches de reclassement n’avaient pas été loyales ni sérieuses. Il faisait valoir que l’employeur s’était borné à envoyer des courriels stéréotypés et avait omis de solliciter certains établissements et entités du groupe. L’employeur répliquait avoir accompli des démarches suffisantes et produisait une extraction informatique présentée comme les registres du personnel de plusieurs établissements.

La cour d’appel devait déterminer si l’employeur avait satisfait à son obligation de reclassement et, plus précisément, s’il rapportait la preuve de l’absence de poste disponible compatible avec les restrictions médicales et les compétences du salarié.

La cour d’appel infirme partiellement le jugement. Elle juge que l’employeur « manque de faire la preuve de l’absence de poste disponible compatible avec les recommandations du médecin du travail et les compétences du salarié, alors que la charge de cette preuve lui incombe ». Elle déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur au paiement de dommages et intérêts.

La solution retenue met en lumière les exigences probatoires pesant sur l’employeur dans l’exécution de son obligation de reclassement (I), tout en précisant les conditions d’appréciation du caractère loyal et sérieux des recherches accomplies (II).

I. Les exigences probatoires de l’obligation de reclassement

L’arrêt rappelle la nature juridique de l’obligation de reclassement et ses conséquences sur la charge de la preuve (A), puis examine la valeur des éléments produits par l’employeur (B).

A. La qualification d’obligation de moyen renforcée et ses implications

La cour rappelle que « l’obligation de reclassement est une obligation de moyen renforcée » et que « l’employeur étant débiteur de l’obligation de reclassement, la preuve de son exécution lui incombe ». Cette qualification emporte des conséquences importantes sur la répartition du fardeau probatoire.

L’obligation de moyen renforcée se distingue de l’obligation de résultat en ce qu’elle n’impose pas à l’employeur de parvenir effectivement au reclassement. La cour souligne ainsi que « l’employeur ne saurait être tenu de proposer un poste qui n’est pas disponible, ni de créer un nouveau poste, ni d’imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail ». Cette précision délimite les contours de l’obligation.

Le renforcement de cette obligation de moyen réside dans l’attribution de la charge probatoire. Il appartient à l’employeur d’établir qu’il a accompli des recherches et qu’aucun poste compatible n’était disponible. Le salarié n’a pas à démontrer l’existence de postes vacants. Cette répartition procède de la logique selon laquelle l’employeur dispose seul des informations relatives à l’organisation de l’entreprise et du groupe.

B. L’insuffisance des éléments produits par l’employeur

L’employeur produisait un document présenté comme les registres du personnel de plusieurs établissements. La cour relève qu’il s’agit en réalité d’« une extraction informatique de données » constituant « une exploitation, par l’employeur lui-même, des registres du personnel ». Elle juge ce document « dénué de valeur probante ».

Cette appréciation repose sur plusieurs considérations. Le document était dépourvu de titre et de date. Il ne correspondait pas aux registres du personnel eux-mêmes mais à une compilation établie par l’employeur. L’absence de production des registres originaux empêchait toute vérification par la juridiction.

La cour constate également que l’employeur s’est abstenu de produire « la liste des postes disponibles diffusés sur le site d’offres d’emploi du groupe ». Les recherches effectuées par courriel ne portaient que sur les postes « ne figurant pas encore sur le site d’offres d’emploi du Groupe ». Cette limitation révélait une lacune dans la démonstration de l’impossibilité de reclassement.

II. L’appréciation du caractère loyal et sérieux des recherches

La cour examine le périmètre des recherches accomplies (A) avant de tirer les conséquences du manquement sur le licenciement (B).

A. Le périmètre géographique et matériel des recherches

La cour rappelle que les recherches doivent être effectuées « au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national ». L’employeur justifiait avoir interrogé 34 établissements du groupe sur l’ensemble du territoire.

L’étendue géographique des recherches n’est pas critiquée en elle-même. La cour relève que l’employeur avait sollicité des précisions auprès du médecin du travail et interrogé le salarié sur ses souhaits. Ces démarches préalables correspondaient aux exigences légales.

La difficulté résidait dans le caractère incomplet des recherches. L’employeur n’avait pas exploré l’ensemble des postes disponibles, notamment ceux figurant sur le site d’offres d’emploi du groupe. La cour souligne que les réponses obtenues ne portaient que sur une partie des emplois potentiellement accessibles. Cette limitation affectait la crédibilité des recherches.

B. Les conséquences du manquement à l’obligation de reclassement

La cour juge que « l’employeur n’a pas respecté l’obligation de recherche de reclassement à laquelle il était tenu » et déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fait application de l’article L 1226-15 du code du travail qui prévoit une indemnisation minimale correspondant aux salaires des six derniers mois.

L’indemnisation accordée s’élève à 25 500 euros, soit environ douze mois de salaire. La cour prend en considération l’âge du salarié, 58 ans au moment du licenciement, et son ancienneté de plus de 25 années. Elle écarte en revanche l’argument relatif à l’incidence sur les droits à la retraite, faute de justificatif produit.

La demande de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct est rejetée. La cour confirme sur ce point le jugement de première instance, relevant l’absence de preuve d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte d’emploi. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant la démonstration d’un préjudice autonome.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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