Cour d’appel de Grenoble, le 4 juillet 2025, n°23/04301

Par un arrêt du 4 juillet 2025, la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble s’est prononcée sur la contestation du taux d’incapacité permanente partielle attribué à une assurée victime d’un accident du travail de nature psychologique. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent de l’évaluation des séquelles psychotraumatiques en droit de la sécurité sociale.

Une assistante socio-éducative a été victime, le 23 janvier 2018, d’un épisode anxieux survenu à la suite d’une discussion avec sa direction. Un certificat médical initial du 29 janvier 2018 a diagnostiqué une souffrance au travail accompagnée de crises de larmes, d’anxiété, d’insomnie et de malaises vagaux. La caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de cet accident le 24 avril 2018. Après consolidation fixée au 31 mai 2022, la caisse a notifié un taux d’incapacité permanente partielle de 12 % pour des symptômes de stress post-traumatique compliqués d’un état dépressif. L’assurée a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable, laquelle n’a pas statué dans les délais impartis.

L’assurée a saisi le pôle social du Tribunal judiciaire de Grenoble qui, par jugement du 10 novembre 2023, a fixé le taux d’incapacité à 40 %, composé de 30 % de taux médical et de 10 % de taux socioprofessionnel. La caisse a interjeté appel, sollicitant la réformation du jugement et la confirmation du taux initial de 12 %. L’assurée a conclu à la confirmation de la décision de première instance.

La question posée à la cour était de déterminer si le taux médical d’incapacité permanente partielle de 12 % retenu par le service médical de la caisse reflétait fidèlement l’importance des séquelles psychotraumatiques à la date de consolidation, ou s’il convenait de retenir le taux de 30 % évalué par le médecin consultant désigné par le tribunal.

La Cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement entrepris dans toutes ses dispositions. Elle a considéré que le service médical de la caisse avait sous-estimé l’importance des séquelles et que l’argumentaire de son médecin-conseil procédait par affirmation sans contredire utilement les éléments médicaux produits par l’assurée.

Cette décision invite à examiner les modalités d’évaluation du taux d’incapacité permanente en matière de séquelles psychotraumatiques (I), avant d’analyser les exigences probatoires pesant sur la caisse en cas de contestation (II).

I. L’évaluation du taux d’incapacité permanente en présence de séquelles psychotraumatiques

La détermination du taux d’incapacité suppose d’abord l’identification des critères légaux d’appréciation (A), puis leur application aux atteintes d’ordre psychologique (B).

A. Les critères légaux de détermination du taux d’incapacité

L’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, disposait que le taux d’incapacité permanente est déterminé « d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ». Cette disposition consacre une approche globale de l’évaluation qui ne se limite pas aux seules constatations cliniques objectives.

La cour rappelle expressément ce fondement textuel au point 1 de sa motivation. Le législateur a entendu que soient prises en compte non seulement les atteintes organiques mesurables, mais également les facultés mentales de la victime et les répercussions sur sa vie quotidienne et professionnelle. Le barème indicatif de l’UCANSS, auquel se réfère le médecin-conseil de la caisse, ne constitue qu’un guide et ne saurait dispenser d’une appréciation individualisée de chaque situation.

Cette approche pluridimensionnelle trouve une application particulière en présence de troubles psychotraumatiques, lesquels ne se manifestent pas par des lésions corporelles visibles mais par un ensemble de symptômes affectant durablement les capacités de l’assuré.

B. La spécificité de l’appréciation des atteintes psychologiques

Les séquelles psychotraumatiques présentent des caractéristiques propres qui rendent leur évaluation délicate. La cour relève que le praticien-conseil avait constaté lors de son examen une « évocation sans émotion des évènements conflictuels » et une « absence d’inhibition et de perte d’élan vital ». Ces observations, réalisées dans le cadre contraint d’un examen médical ponctuel, contrastaient avec les constatations du médecin consultant désigné par le tribunal.

Le médecin consultant a retenu « un retentissement important sur les loisirs, des insomnies avec 1 à 3 levées par nuit, une rupture sociale, des pleurs, une absence de deuil d’activités de montagne ». Cette divergence d’appréciation illustre la difficulté inhérente à l’évaluation des troubles psychiques, dont l’expression peut varier selon le contexte et les interlocuteurs.

La cour accorde crédit à l’évaluation du médecin consultant qui a su appréhender les répercussions concrètes des séquelles sur la vie quotidienne de l’assurée. Cette approche traduit une conception réaliste de l’incapacité, attentive aux manifestations effectives du handicap plutôt qu’aux seules données d’un examen clinique isolé.

La reconnaissance d’un taux médical de 30 % pour un syndrome de stress post-traumatique s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle favorable à une meilleure prise en compte des souffrances psychiques d’origine professionnelle. Elle interroge corrélativement les obligations de la caisse lorsqu’elle entend contester une évaluation contraire à celle de son service médical.

II. L’exigence d’une contestation médicalement étayée par la caisse

L’arrêt met en lumière les insuffisances de l’argumentation de la caisse (A) et consacre la valeur probatoire des éléments médicaux contemporains de la consolidation (B).

A. L’insuffisance d’un argumentaire procédant par simple affirmation

La cour reproche à la caisse de fonder son appel sur « un argumentaire qui se limite à reprendre le rapport d’évaluation des séquelles et à retenir une absence de meilleures pièces médicales lors de l’examen clinique ». Cette critique est sévère mais justifiée au regard des exigences du débat contradictoire.

Le médecin-conseil de la caisse, dans son avis du stade de l’appel, s’est borné à confirmer les conclusions initiales sans examiner les arguments développés par le médecin consultant ni les pièces médicales produites par l’assurée. La cour observe que cet argumentaire procède « par affirmation sans reprendre les arguments du Dr [T] et du Dr [Z] pour les contredire ».

Cette insuffisance est d’autant plus remarquable que la commission médicale de recours amiable n’avait pas statué sur le recours de l’assurée, privant ainsi la caisse d’un premier niveau d’analyse contradictoire. En présence d’éléments médicaux circonstanciés établissant la gravité des séquelles, la caisse ne pouvait se contenter de réitérer ses conclusions initiales sans les confronter aux données nouvelles versées aux débats.

La solution retenue invite les caisses à adopter une démarche véritablement contradictoire lorsqu’elles contestent une évaluation médicale défavorable à leurs intérêts. La simple reprise des conclusions du rapport initial ne saurait suffire à remettre en cause une appréciation judiciaire fondée sur des éléments probants.

B. La force probante des attestations médicales et témoignages concordants

L’assurée a produit plusieurs certificats de son médecin psychiatre, dont l’un était antérieur à l’examen clinique du praticien-conseil et un autre rédigé le lendemain de cet examen. Ces documents décrivaient avec précision les symptômes persistants : « fragilité psychologique, impossibilité de regarder une scène de violence même légère, panique quand le ton monte, crises de larmes incontrôlées, perte de sens dans une action ».

La cour accorde également crédit aux attestations de témoins qui confirment « le changement d’une femme pleine de vie au moral d’acier, très sportive, sociable, joyeuse, devenue apeurée, épuisée, anxieuse, angoissée, insomniaque, nerveuse et s’isolant socialement ». Ces témoignages, conformes aux prescriptions du code de procédure civile, corroborent les constatations médicales et illustrent l’ampleur du retentissement de l’accident sur la vie de l’assurée.

La convergence de ces éléments, qu’ils soient médicaux ou profanes, établit un faisceau probatoire que la caisse n’a pas su contredire. La décision rappelle ainsi que l’évaluation des séquelles psychiques ne peut reposer sur le seul examen clinique ponctuel du praticien-conseil, mais doit intégrer l’ensemble des données disponibles sur l’évolution de l’état de santé de l’assuré et ses répercussions concrètes.

La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce. Il constitue un rappel salutaire de l’obligation pour les caisses d’étayer sérieusement leurs contestations en matière d’évaluation des séquelles psychotraumatiques. À défaut d’un argumentaire médical circonstancié répondant point par point aux éléments produits par l’assuré, la caisse s’expose à voir confirmer une évaluation judiciaire qui lui est défavorable.

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Hassan KOHEN
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