Cour d’appel de Grenoble, le 4 juillet 2025, n°24/00036

Cour d’appel de Grenoble, 4 juillet 2025, chambre sociale – protection sociale. L’arrêt statue sur l’appel d’un jugement du pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy du 30 novembre 2023. Un salarié, engagé en contrat à durée déterminée comme électricien à compter du 1er septembre 2016, a été victime d’un accident du travail le 29 septembre 2016 sur un chantier. La déclaration initiale relate une chute depuis un pont roulant d’environ deux mètres, tandis que certains documents de secours et d’hospitalisation évoquent un échafaudage et une hauteur proche de quatre mètres. L’organisme social a pris en charge l’accident, l’état a été consolidé, un taux d’incapacité permanente a été fixé puis rehaussé judiciairement. Après un échec de conciliation, le salarié a recherché la faute inexcusable de l’employeur, en sollicitant d’abord la présomption prévue aux articles L.4154-2 et L.4154-3 du code du travail, puis, à défaut, la faute inexcusable prouvée. L’employeur a contesté l’existence d’un poste à risques et tout manquement de sécurité. La question posée portait sur les conditions d’application de la présomption spéciale attachée aux postes présentant des risques particuliers, puis sur la démonstration d’une faute inexcusable en l’absence de présomption. La cour confirme le rejet de la présomption, faute d’établissement d’un poste à risques, et écarte la faute inexcusable, les circonstances déterminantes de l’accident demeurant incertaines.

I. Le refus de la présomption de faute inexcusable fondée sur les postes à risques

A. Cadre normatif et office du juge
Le texte vise les salariés en contrat court affectés à des postes présentant des risques particuliers, en exigeant une formation renforcée, à peine de présomption de faute inexcusable. La cour rappelle la latitude du juge quant à la qualification du poste, indépendamment de la liste interne arrêtée par l’employeur. Elle énonce ainsi: « La juridiction appelée à statuer peut retenir que le poste était à risque, quand bien même celui-ci ne figure pas sur la liste établie par l’employeur (cf cassation civile 2ème, 10 février 2015 n° 14-10.855). » La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet un contrôle substantiel de la réalité des risques, sans se laisser lier par la seule formalisation unilatérale du recensement des postes.

L’arrêt écarte néanmoins l’assimilation automatique entre la qualification d’électricien et l’affectation à un poste à risques particuliers. Il affirme avec précision que « Sa qualification professionnelle d’électricien et la liste des travaux visés dans son contrat ne constituent pas à eux-seuls des éléments suffisants permettant d’en conclure qu’il a été affecté à un poste présentant des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité. » La démarche refuse les raccourcis catégoriels et exige des éléments concrets, liés aux opérations effectivement réalisées, à l’environnement de travail et aux protections disponibles, afin de caractériser l’existence de risques particuliers exigeant, en sus, une formation renforcée.

B. Preuve du poste à risques et faits incertains
Le cœur du débat factuel tenait à la hauteur de la chute et au matériel utilisé. La cour confronte la déclaration initiale mentionnant le pont roulant et la hauteur de deux mètres, aux pièces médicales et au rapport d’intervention des secours, qui évoquent un échafaudage et une hauteur approximative. Elle organise un contrôle critique de fiabilité des sources, en soulignant que « S’agissant des comptes-rendus hospitaliers, ils ne constituent pas non plus des pièces suffisamment probantes dans la mesure où elles émanent de tierces personnes non présentes sur les lieux de l’accident et ne pouvant donc s’en rapporter qu’aux seuls propos de la victime ou éventuellement ceux des pompiers. » La motivation refuse de transposer sans réserve des indications cliniques ou de secours, lorsque leur contenu dépend de déclarations et que des divergences persistent.

La conséquence probatoire est nette. L’arrêt indique: « Faute pour l’appelant de satisfaire à son obligation probatoire, la présomption de faute inexcusable sera écartée comme en première instance, par substitution de motifs. » En l’absence d’éléments fiables sur la hauteur de chute et sur la nature du dispositif d’élévation, la réalité d’un poste à risques particuliers n’est pas établie. La charge probatoire, assumée par le salarié qui invoque la présomption, commande la production d’indices précis et concordants sur les conditions d’exécution de la tâche, au-delà des seules fonctions contractuelles et de la qualification professionnelle.

II. L’écartement de la faute inexcusable prouvée en raison d’une incertitude déterminante

A. Standard jurisprudentiel et causalité nécessaire
À défaut de présomption, le standard applicable demeure celui de la conscience du danger et de l’absence de mesures de prévention adaptées. La cour le rappelle en des termes classiques: « Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » La causalité requise est assouplie, ainsi que l’arrêt le précise: « Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage. »

Le contrôle de la conscience du danger est contextualisé. La cour précise que « La conscience du danger doit s’apprécier compte-tenu de l’importance de l’entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié. » La règle articule donc un critère objectif modulé par les caractéristiques de l’entreprise et la tâche, et une exigence de mesures de prévention déterminées, proportionnées aux risques anticipables dans la situation d’espèce.

B. Portée pratique de l’exigence probatoire et équilibre de protection
Reste la question de la preuve, dans un contexte où les circonstances matérielles demeurent disputées. La cour rappelle de manière explicite la charge qui pèse sur le demandeur: « Il appartient au salarié, demandeur à l’instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Lorsque les faits essentiels de l’accident ne sont pas clarifiés par des éléments externes, l’action échoue. L’arrêt l’énonce sans détour: « Cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances de l’accident dont il a été victime demeurent indéterminées, en considération des pièces versées aux débats par l’appelant à qui incombe cette preuve. »

La motivation souligne en filigrane deux exigences pratiques. D’une part, la preuve de la conscience du danger ne se déduit pas de la seule non-production du document unique d’évaluation des risques, qui ne saurait à lui seul emporter la caractérisation d’un manquement causal. D’autre part, la précision factuelle sur la hauteur, le dispositif d’élévation et les protections disponibles devient centrale, car elle conditionne la gravité du risque anticipable et, partant, l’étendue des mesures attendues. L’absence d’attestations directes, de clichés situés, de traçabilité technique ou de données de chantier affaiblit la démonstration, compte tenu du standard probatoire retenu.

La portée de l’arrêt est double. Sur la présomption spéciale applicable aux contrats courts affectés à des postes à risques, la cour confirme l’office substantiel du juge, capable de dépasser la liste interne des postes, mais exigeant une preuve circonstanciée des risques réellement rencontrés. Sur la faute inexcusable prouvée, elle réaffirme l’articulation désormais classique entre conscience du danger, mesures de prévention et causalité nécessaire, tout en accentuant l’exigence d’objectivation des circonstances de l’accident lorsque les versions divergent. L’ensemble concourt à renforcer la centralité des éléments matériels et contemporains du fait accidentel, lesquels conditionnent tant la qualification du poste que l’appréciation du manquement sécuritaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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