Cour d’appel de Grenoble, le 5 août 2025, n°23/00626

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La cour d’appel de Grenoble, 5 août 2025, statue sur un licenciement pour inaptitude consécutif à des arrêts de travail, une alerte en matière de risques psychosociaux, et des griefs disciplinaires. Le salarié, manutentionnaire, a connu un arrêt en novembre 2018, puis une nouvelle indisponibilité à compter du 22 novembre 2019, avec déclaration d’accident transmise par l’employeur le 26 novembre. La caisse a refusé la prise en charge, tandis que le médecin du travail a déclaré l’inaptitude le 27 mai 2020 avec des restrictions précises. L’employeur a consulté le CSE et procédé à un licenciement le 10 juillet 2020.

Le conseil de prud’hommes avait jugé la rupture fondée et rejeté l’ensemble des demandes. En appel, le salarié sollicitait la reconnaissance d’une discrimination liée à l’état de santé, de manquements à l’obligation de sécurité, d’une inaptitude d’origine professionnelle et d’une absence de reclassement loyal. L’employeur demandait la confirmation, sauf sur les frais irrépétibles. La cour doit trancher plusieurs questions imbriquées: la caractérisation d’un manquement de prévention des risques psychosociaux, l’existence d’une discrimination révélée par un entretien d’évaluation, l’origine au moins partiellement professionnelle de l’inaptitude, et l’effectivité des recherches de reclassement.

La cour retient un manquement de prévention en matière de santé mentale, une discrimination en raison de la mention de douleurs dans l’évaluation, l’origine au moins partiellement professionnelle de l’inaptitude, et une recherche de reclassement insuffisante. Elle déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloue diverses indemnités, tout en confirmant le rejet du grief d’exécution déloyale et l’impossibilité de cumuler l’indemnité pour défaut de notification des motifs faisant obstacle au reclassement.

I – La caractérisation des manquements et de la discrimination

A – L’obligation de sécurité, limitée aux risques psychosociaux dans l’espèce

La cour rappelle que l’employeur doit justifier de mesures suffisantes et adaptées. Elle relève les éléments produits sur les risques physiques: document unique, vérifications des chariots, analyses vibratoires, suivi médical et formations régulières. Elle écarte les reproches tirés de l’absence de déclaration d’un accident allégué en 2018, faute d’alerte objectivée et d’éléments médicaux contemporains. La motivation souligne que « il ne peut être reproché à la société d’avoir manqué de déclarer un accident de travail à cette date », en l’absence d’information fiable et datée.

L’examen se déplace vers la prévention des risques psychosociaux. La cour constate une politique affichée mais peu opérante: référents désignés, intentions d’intégration au règlement intérieur, et baromètre interne, sans mise en œuvre effective d’un groupe de travail ni d’actions concrètes. La pièce déterminante reste l’alerte du salarié du 11 janvier 2020, demeurée sans traitement substantiel. La cour en déduit que « le manquement […] à son obligation de sécurité est donc établi s’agissant de l’obligation de prévenir et protéger la santé mentale des salariés ». La réparation porte sur un préjudice moral certain, apprécié à 1 000 euros, au regard de l’absence d’activation des canaux dédiés.

B – La discrimination révélée par l’entretien d’évaluation

La décision applique le régime probatoire aménagé, avec une appréciation globale des indices. Le pivot réside dans la mention portée au bilan annuel: « bonne année en général, hormis un problème de santé (dos) ». La cour juge que l’entretien d’évaluation participe à des décisions entrant dans le champ de l’article L. 1132-1, et que cette référence à l’état de santé, étrangère à la performance, « laisse présumer l’existence d’une discrimination ». La réponse de l’employeur, réduite à un « rappel » des douleurs, n’apporte pas d’élément objectif, pertinent et étranger à tout motif prohibé.

La motivation insiste sur la portée autonome de la mention, indépendamment de l’issue favorable globale de l’évaluation. Elle précise que « la seule mention de l’existence d’un problème de dos étant déterminante », ce qui suffit à emporter la conviction. S’agissant du quantum, la cour rappelle que « les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination », et indemnise un préjudice moral distinct, fixé à 1 000 euros. Cette solution s’inscrit dans une ligne de vigilance accrue sur l’objectivation des évaluations annuelles.

La clarification des atteintes préalables appelle l’examen de l’inaptitude et de ses effets protecteurs.

II – L’inaptitude d’origine professionnelle et ses effets sur la rupture

A – La connaissance de l’origine professionnelle et l’autonomie du contentieux

La cour réaffirme l’autonomie du juge prud’homal dans l’appréciation du lien entre inaptitude et accident, la décision de la caisse n’étant « qu’un indice ». Elle relève des éléments concordants: information du supérieur le 22 novembre 2019, ordonnance et arrêt de travail datés du même jour, prolongations continues jusqu’à l’inaptitude, et restrictions en cohérence avec les troubles lombaires. La cour retient que « l’inaptitude […] est causée, au moins partiellement, par un accident d’origine professionnelle ».

La connaissance de l’employeur se déduit de ses propres écrits, y compris l’avertissement mentionnant un départ « consécutivement » à un mal de dos. Le compte rendu d’évaluation comportait en outre la référence litigieuse à la santé. La condition de connaissance est ainsi remplie à la date de la rupture. La conséquence est l’application du régime protecteur des articles L. 1226-10 et suivants, avec indemnité spéciale et indemnité compensatrice dues en cas de licenciement, sauf reclassement effectif.

B – L’obligation de reclassement et la sanction du licenciement

La cour rappelle le point de départ de l’obligation, en ces termes: « il est jugé que c’est la déclaration d’inaptitude qui fixe le point de départ de l’obligation de reclassement ». Elle vérifie l’exhaustivité des démarches: investigation dans l’entreprise et dans les sociétés du groupe sur le territoire national, prise en compte des indications du médecin, et recours aux aménagements et à la formation. Les pièces produites révèlent un courriel isolé vers une filiale, un organigramme partiel, et une extraction unilatérale du registre du personnel impropre à établir l’absence de postes compatibles.

La cour constate l’absence d’interrogation adressée au médecin sur les restrictions et la formation, malgré un avis précis. Elle retient que « l’employeur n’a pas respecté l’obligation de recherche de reclassement », l’effort de reclassement devant être démontré par des démarches concrètes, traçables et convergentes. L’insuffisance des recherches, jointe au caractère professionnel de l’inaptitude, emporte la privation de cause réelle et sérieuse de la rupture.

La sanction articule les effets protecteurs: indemnité spéciale de licenciement complémentaire, indemnité compensatrice de préavis et congés afférents, dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 1226-15, et documents rectifiés. La cour précise encore que l’indemnité liée à l’absence de notification écrite des motifs s’opposant au reclassement « ne se cumule pas » avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La solution opère un rappel salutaire de la densité probatoire exigée en matière de reclassement post-inaptitude, et de la vigilance requise face aux mentions de santé dans les évaluations professionnelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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