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Je vais maintenant rédiger le commentaire d’arrêt demandé à partir de la décision que vous avez soumise.
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L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 5 août 2025 s’inscrit dans le contentieux sensible du licenciement d’un salarié en arrêt maladie, à l’intersection du droit de la non-discrimination et des conditions de validité du licenciement pour absence prolongée.
Une salariée a été embauchée le 18 juin 2018 par une société spécialisée dans la formation continue d’adultes en qualité d’attachée commerciale. Promue au statut cadre le 1er janvier 2020, elle a été placée en arrêt maladie à compter du 28 août 2020, arrêt renouvelé jusqu’à la rupture de son contrat. En décembre 2020 puis en juillet 2021, le médecin du travail a proposé une reprise à temps partiel thérapeutique, en télétravail. L’employeur a refusé ces propositions. La salariée s’est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé le 13 juillet 2021. Après une première procédure de licenciement abandonnée en avril 2021, l’employeur a convoqué la salariée à un nouvel entretien préalable le 22 juillet 2021 et lui a notifié son licenciement le 6 août 2021 pour absence prolongée et nécessité de remplacement définitif.
Devant le Conseil de prud’hommes de Valence, la salariée a contesté son licenciement et sollicité diverses créances salariales. Par jugement du 28 juin 2023, les premiers juges ont dit le licenciement pourvu de cause réelle et sérieuse, tout en condamnant l’employeur au paiement de certaines sommes. La salariée a interjeté appel, soutenant à titre principal que son licenciement était nul car fondé sur son état de santé et son handicap, à titre subsidiaire qu’il était dépourvu de cause réelle et sérieuse faute de démonstration d’une désorganisation de l’entreprise. L’employeur a conclu à la confirmation du jugement. Le Défenseur des droits est intervenu, constatant l’existence d’une discrimination.
La question posée à la Cour d’appel de Grenoble était double. Il s’agissait de déterminer si le licenciement d’une salariée en arrêt maladie, reconnue travailleur handicapé, pour absence prolongée constituait une discrimination prohibée par l’article L. 1132-1 du Code du travail. Il convenait également d’examiner si l’employeur avait satisfait à son obligation de recherche de mesures appropriées au maintien dans l’emploi avant de procéder au licenciement.
La Cour examine successivement le régime probatoire de la discrimination et l’obligation d’aménagement raisonnable pesant sur l’employeur d’un travailleur handicapé (I), avant d’apprécier les conditions de validité du licenciement pour absence prolongée au regard du refus patronal des propositions médicales (II).
I. Le régime de la preuve de la discrimination et l’obligation d’aménagement raisonnable
A. L’application du mécanisme probatoire allégé en matière de discrimination
La Cour rappelle les dispositions de l’article L. 1132-1 du Code du travail selon lesquelles « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire » en raison notamment de son état de santé ou de son handicap. Ce texte constitue la transposition en droit interne des directives européennes relatives à l’égalité de traitement en matière d’emploi.
Le mécanisme probatoire applicable résulte de l’article L. 1134-1 du Code du travail. Le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Il appartient ensuite à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La Cour précise que « le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
En l’espèce, la salariée présente plusieurs éléments concordants. Elle a été placée en arrêt maladie depuis le 28 août 2020. Elle s’est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé le 13 juillet 2021. L’employeur a refusé par deux fois les propositions de reprise à temps partiel thérapeutique formulées par le médecin du travail, en décembre 2020 puis en juillet 2021. La concomitance entre la notification de la reconnaissance du statut de travailleur handicapé et l’engagement de la procédure de licenciement constitue un indice supplémentaire. Ces éléments laissent présumer l’existence d’une discrimination liée à l’état de santé et au handicap.
B. L’obligation de recherche d’aménagements raisonnables à l’égard du travailleur handicapé
La Cour se fonde sur les articles L. 5213-6 et L. 1133-3 du Code du travail pour caractériser l’obligation pesant sur l’employeur. Ces dispositions imposent à l’employeur de prendre les « mesures appropriées » pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification. L’article L. 5213-6 précise que ces mesures doivent être prises « sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées ».
Cette obligation constitue la transposition de l’article 5 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. La notion d’aménagement raisonnable implique une obligation de moyens renforcée. L’employeur doit démontrer avoir recherché activement des solutions de maintien dans l’emploi avant de conclure à l’impossibilité de conserver le salarié.
La Cour relève que l’employeur n’a produit aucun élément démontrant l’impossibilité de mettre en place un temps partiel thérapeutique ou le télétravail. Le refus opposé au médecin du travail ne s’accompagne d’aucune justification objective. L’employeur n’établit pas que ces aménagements auraient représenté une charge disproportionnée pour l’entreprise. L’absence de toute démarche active de recherche de solutions alternatives caractérise un manquement à l’obligation légale.
L’analyse du régime probatoire conduit à examiner les conditions de validité du licenciement pour absence prolongée.
II. L’invalidation du licenciement pour absence prolongée en raison du refus d’aménagement
A. L’absence de justification objective du refus patronal
Le licenciement pour absence prolongée n’est pas en soi discriminatoire. La jurisprudence constante de la Cour de cassation admet qu’il peut constituer une cause réelle et sérieuse lorsque l’absence du salarié entraîne une désorganisation de l’entreprise nécessitant son remplacement définitif. Toutefois, cette possibilité ne dispense pas l’employeur de respecter ses obligations en matière de non-discrimination et d’aménagement raisonnable.
En l’espèce, l’employeur a opposé un refus catégorique aux propositions du médecin du travail sans fournir la moindre explication. Le courriel du 21 décembre 2020 rejette la proposition de reprise à temps partiel thérapeutique. Le courriel du 2 août 2021 refuse de même les modalités de reprise à mi-temps en télétravail. Ces refus ne sont étayés par aucune considération liée à l’organisation de l’entreprise, à la nature des fonctions ou aux contraintes économiques.
La Cour souligne que l’employeur « n’a pas tout mis en œuvre dans la recherche de mesures appropriées pour permettre le maintien dans l’emploi » de la salariée. Cette formulation reprend les conclusions du Défenseur des droits. Elle traduit l’exigence d’une démarche proactive de l’employeur, qui ne peut se borner à attendre la fin de l’arrêt maladie pour engager une procédure de licenciement.
B. La nullité du licenciement fondé sur un critère discriminatoire
Le licenciement prononcé en méconnaissance de l’interdiction de discrimination est nul en application de l’article L. 1132-4 du Code du travail. Cette nullité emporte des conséquences indemnitaires plus favorables au salarié que celles attachées au licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, conformément à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail.
La Cour retient que le licenciement est intervenu dans un contexte où l’employeur avait connaissance du statut de travailleur handicapé de la salariée. La concomitance entre cette reconnaissance et l’engagement de la seconde procédure de licenciement, cinq jours seulement après la notification, constitue un élément révélateur. L’employeur n’apporte aucun élément objectif de nature à écarter la présomption de discrimination.
La solution retenue par la Cour d’appel de Grenoble s’inscrit dans une jurisprudence exigeante à l’égard des employeurs. Elle rappelle que le licenciement pour absence prolongée, bien que licite en principe, ne peut servir à contourner les obligations de non-discrimination et d’aménagement raisonnable. L’arrêt consacre une approche téléologique des textes, privilégiant l’effectivité de la protection des travailleurs handicapés sur les considérations de gestion de l’entreprise.