Cour d’appel de Grenoble, le 5 août 2025, n°23/02556

La période d’essai constitue un temps d’évaluation réciproque entre employeur et salarié. Ce mécanisme, encadré par le code du travail, peut toutefois donner lieu à des ruptures dont la régularité est contestée.

Une salariée a été embauchée le 3 mai 2021 en qualité de chargée d’opérations par une société spécialisée dans la maîtrise d’œuvre de constructions bois, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps plein assorti d’une période d’essai de quatre mois. Par courrier remis en main propre le 15 juillet 2021, l’employeur lui a notifié la rupture de cette période d’essai à compter du lendemain, au motif que « le marché de construction est en baisse et ne me permet pas une projection plus en avant financièrement ».

La salariée a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes, qui lui a alloué une provision de 2 500 euros au titre du préjudice lié aux difficultés d’indemnisation par Pôle emploi. Elle a parallèlement saisi le conseil de prud’hommes au fond, contestant le caractère abusif de la rupture. Par jugement du 3 juillet 2023, le conseil de prud’hommes de Gap a dit la rupture fondée et débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes, la condamnant en outre à rembourser la provision perçue.

La salariée a interjeté appel, soutenant que le motif économique invoqué rendait la rupture abusive et que le délai de prévenance n’avait pas été respecté. L’employeur a répliqué que la lettre avait été rédigée par la salariée elle-même et que les véritables motifs tenaient à l’insuffisance professionnelle de l’intéressée.

La question posée à la cour d’appel de Grenoble était double : d’une part, la rupture d’une période d’essai motivée par des raisons économiques est-elle abusive ? D’autre part, quelles sont les conséquences du non-respect du délai de prévenance ?

Par arrêt du 5 août 2025, la cour d’appel de Grenoble a infirmé partiellement le jugement, jugeant la rupture abusive et condamnant l’employeur au paiement de 5 000 euros de dommages-intérêts ainsi qu’à une indemnité compensatrice au titre du délai de prévenance.

La décision mérite examen tant au regard de la finalité de la période d’essai et des motifs de rupture (I) que des conséquences indemnitaires d’une telle rupture irrégulière (II).

I. La finalité de la période d’essai comme limite au pouvoir de rupture de l’employeur

La cour rappelle d’abord le principe de libre résiliation avant d’en sanctionner le détournement par l’invocation d’un motif économique.

A. Le principe d’un droit de résiliation discrétionnaire

La cour d’appel de Grenoble rappelle que « chacune des parties dispose, en principe, d’un droit de résiliation discrétionnaire du contrat de travail pendant le cours de la période d’essai, sans avoir ainsi à alléguer des motifs de sa décision ». Cette formulation reprend la conception traditionnelle de la période d’essai comme temps de liberté contractuelle, durant lequel ni l’employeur ni le salarié ne sont tenus de justifier leur décision de mettre fin à la relation de travail.

Cette liberté trouve son fondement dans l’article L. 1221-20 du code du travail qui définit la période d’essai comme permettant « à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail » et « au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ». La finalité probatoire de ce mécanisme justifie l’absence d’obligation de motivation et la dispense des règles protectrices du licenciement.

La jurisprudence a cependant progressivement encadré cette liberté. La cour le souligne en précisant que « la rupture pendant la période d’essai peut se révéler abusive notamment si l’employeur fait preuve de légèreté blâmable en ne laissant pas au salarié le temps de faire ses preuves ». La Cour de cassation exige ainsi que la rupture soit intervenue après un temps suffisant pour permettre une évaluation effective des aptitudes professionnelles.

La charge de la preuve repose sur le salarié qui conteste la rupture. Celui-ci doit établir le caractère abusif de la décision, renversant ainsi la logique habituelle du contentieux du licenciement où l’employeur supporte le fardeau de la justification.

B. L’exclusion des motifs étrangers à l’évaluation professionnelle

La cour affirme avec netteté que « la rupture est abusive lorsqu’elle intervient pour un motif non inhérent à la personne du salarié ». Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation, citant expressément l’arrêt du 24 novembre 1999 relatif à la conjoncture économique et celui du 20 novembre 2007 concernant la suppression de poste.

La motivation de l’arrêt est particulièrement explicite sur ce point : « la période d’essai ne saurait avoir pour objet de tester la viabilité d’un emploi. Et la rupture ne peut avoir lieu que pour un motif en rapport avec la finalité de l’essai, lequel consiste à vérifier l’adéquation de la personne choisie à la tâche confiée. » Cette formulation rattache directement la validité de la rupture à la finalité légale de la période d’essai.

En l’espèce, la lettre de rupture mentionnait explicitement que « le marché de construction est en baisse et ne me permet pas une projection plus en avant financièrement ». La cour en déduit que « l’employeur a clairement rompu la période d’essai pour un motif non inhérent à sa personne ».

L’employeur a tenté de démontrer que ce motif n’était qu’apparent, alléguant que la salariée avait elle-même rédigé la lettre et qu’il existait des insuffisances professionnelles. La cour rejette ces arguments faute de preuves. Elle relève notamment que l’employeur ne produit « aucune pièce, ni aucun élément établissant que cette lettre a effectivement été établie sous la dictée de la salariée ». Quant aux prétendues carences professionnelles, la cour examine chaque grief et conclut que les éléments produits « ne permettent pas de démontrer les carences professionnelles de la salariée alléguées ».

II. Le régime indemnitaire spécifique de la rupture abusive en période d’essai

La reconnaissance du caractère abusif emporte des conséquences pécuniaires, mais dans un cadre distinct du licenciement.

A. L’indemnisation de la rupture abusive hors du régime du licenciement

La cour reconnaît que la salariée est « fondée à prétendre à la réparation du préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi ». Elle précise cependant immédiatement que « le régime du licenciement est exclu pendant la période d’essai ».

Cette affirmation emporte des conséquences pratiques importantes. La salariée réclamait une indemnisation de 16 833 euros en prenant en compte notamment « la perte de rémunération afférente au délai de préavis, la perte de rémunération afférente à la durée nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure de licenciement, la perte afférente au non-respect de l’obligation de reclassement inhérente à la mise en œuvre d’un licenciement pour motif économique ». La cour écarte cette méthode de calcul.

L’indemnisation retenue est fondée sur le préjudice effectivement subi, évalué souverainement par les juges du fond. La cour relève que « la rupture abusive de la période d’essai a causé un préjudice à la salariée qui a perdu, de ce fait, un emploi dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ». Elle prend également en considération les démarches entreprises par la salariée et le fait qu’elle a retrouvé un emploi ultérieurement.

Le montant alloué de 5 000 euros apparaît modéré au regard des prétentions initiales. Cette évaluation illustre la différence fondamentale entre la rupture abusive de la période d’essai et le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont l’indemnisation obéit aux barèmes de l’article L. 1235-3 du code du travail.

B. Le caractère autonome de l’indemnité de prévenance

Distinctement de la question de l’abus, la cour examine le respect du délai de prévenance prévu par l’article L. 1221-25 du code du travail. Ce texte impose un délai de deux semaines après un mois de présence, l’inexécution ouvrant droit à « une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du délai de prévenance ».

La cour constate que « l’employeur n’a respecté aucun délai de prévenance » puisque la rupture notifiée le 15 juillet prenait effet dès le lendemain. Elle condamne donc l’employeur au paiement de 1 465 euros brut, correspondant à deux semaines de salaire, outre 146,50 euros de congés payés afférents.

Cette indemnité présente un caractère automatique, distinct de l’appréciation du caractère abusif de la rupture. La cour ne s’interroge pas sur l’existence d’un préjudice : le seul constat de l’absence de prévenance suffit à fonder la condamnation. Cette solution résulte de la nature même de l’indemnité compensatrice, qui vise à placer le salarié dans la situation où il se serait trouvé si le délai avait été respecté.

L’arrêt illustre ainsi la dualité des sanctions applicables à une rupture de période d’essai irrégulière : d’une part, l’indemnisation du préjudice résultant de l’abus, soumise à l’appréciation souveraine des juges ; d’autre part, l’indemnité compensatrice de prévenance, calculée objectivement en fonction de l’ancienneté acquise.

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Hassan KOHEN
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