Cour d’appel de Grenoble, le 5 septembre 2025, n°24/00429

Par un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 5 septembre 2025, la chambre sociale statue sur l’opposabilité d’une décision de prise en charge d’un accident du travail. Les faits tiennent à un incident déclaré lors d’un geste de manutention, suivi d’un certificat médical initial décrivant un lumbago, et à l’inscription de l’événement sur un registre des accidents bénins. Après instruction, la caisse primaire a retenu le caractère professionnel. L’employeur a invoqué une atteinte au contradictoire, obtenant en première instance l’inopposabilité, au motif qu’un courriel et la copie du registre ne lui auraient pas été communiqués pendant l’instruction. Sur appel, la juridiction réexamine la procédure issue du décret de 2019, centrée sur la consultation dématérialisée du dossier et la formulation d’observations dans des délais déterminés. La question porte sur l’étendue de l’obligation d’information au titre des articles R.441-8 et R.441-14 du code de la sécurité sociale, et sur la distinction entre « information » et « preuve » pendant l’instruction. La cour infirme la décision, juge le contradictoire respecté et déclare la prise en charge opposable à l’employeur: « INFIRME le jugement RG n° 22/00337 rendu le 21 décembre 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy ».

**I. Le Contradictoire Dans L’Instruction AT/MP**

**A. Le cadre procédural et la finalité d’information**
La cour situe le débat sur le terrain des articles R.441-8 et R.441-14, en rappelant la logique des délais et la mise à disposition du dossier. Elle relève que l’employeur avait précisément articulé son grief au regard des textes procéduraux: « L’employeur soulève une irrégularité sur la forme sur le fondement des articles R.441-8 et R.441-14 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction en vigueur depuis le 1er décembre 2019, issue du décret n°2019-356 du 23 avril 2019. » L’instruction AT/MP vise une information loyale et en temps utile des intéressés, afin qu’ils consultent le dossier et fassent valoir des observations. La cour souligne la différence de fonction entre l’espace de consultation, qui centralise des données nécessaires à l’échange contradictoire, et l’apport probatoire complet, débattu ensuite devant le juge du fond.

Cette approche recentre l’exigence de communication sur l’accessibilité de l’information pertinente plutôt que sur la remise de chaque pièce matérielle avant décision. Elle s’inscrit dans la rationalisation voulue par la réforme, qui articule une période de consultation déterminée, un contenu minimal du dossier et un mécanisme d’observations annexées. L’office du juge consiste alors à vérifier la connaissance effective, par les intéressés, des éléments déterminants et la possibilité concrète d’y répondre dans les délais.

**B. L’appréciation concrète de la connaissance effective**
La décision retient que l’employeur a eu connaissance, durant la période de consultation, de l’existence et du contenu pertinent de l’inscription au registre des accidents bénins, évoquée dans les échanges et accessible via la plate-forme. La cour relève l’historique des consultations et les commentaires croisés, établissant une information suffisante et exploitable. Le raisonnement opère une distinction décisive entre la diffusion d’informations nécessaires et la production intégrale des supports probatoires. La formule adoptée est nette: « L’information se distinguant des éléments de preuve débattus devant la juridiction de plein contentieux saisie en cas de recours contre la décision de prise en charge, les dispositions de l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale ont été respectées de sorte que la société intimée est mal fondée à se prévaloir d’une violation du principe du contradictoire à son égard, non caractérisée en l’espèce. » En conséquence, l’irrégularité alléguée n’est pas caractérisée, la cour écarte l’inopposabilité et valide la solution administrative.

**II. Portée Et Valeur De La Solution Retenue**

**A. Consolidation du seuil d’exigence en matière d’opposabilité**
La cour conforte une lecture fonctionnelle du contradictoire en matière d’AT/MP: l’exigence essentielle tient à l’accès en temps utile aux informations déterminantes, non à la transmission systématique de toutes pièces avant décision. Une telle solution réduit le risque d’inopposabilités fondées sur des omissions purement formelles, dès lors que la connaissance effective est établie par les traces de consultation et les échanges. Elle sécurise la procédure dématérialisée, promeut la diligence des acteurs et circonscrit le grief au seul défaut d’information concrète, appréciée in concreto. La portée est pratique: le contentieux se recentre sur la matérialité de l’accès et la substance des informations, plutôt que sur l’exhaustivité documentaire en amont.

Ce positionnement nourrit la prévisibilité des décisions et allège la charge procédurale des caisses, sans priver l’employeur de ses droits. L’information suffisante permet des observations pertinentes, tandis que la preuve complète, contestable, demeure réservée au débat de plein contentieux. Le contrôle juridictionnel s’exerce ainsi au bon moment et sur la bonne matière, ce qui favorise la lisibilité du processus et l’efficacité du règlement des litiges.

**B. Appréciation critique et garanties d’équilibre**
La distinction opérée entre « information » et « preuve » requiert une vigilance soutenue pour ne pas fragiliser la défense des employeurs lorsque des éléments déterminants restent seulement évoqués. La solution demeure équilibrée parce qu’elle exige la preuve de la connaissance effective, vérifiée par les connexions, la chronologie des dépôts et les commentaires consignés. Elle incite les organismes à une consignation claire des éléments portés à la connaissance, et les employeurs à formuler des observations dans le délai utile. L’économie générale de la décision montre qu’un grief d’inopposabilité suppose un défaut d’accès concret, et non la seule absence de copie formelle pendant l’instruction.

Cette clarification s’accompagne d’un rappel procédural sur les conséquences financières, qui parachève l’économie de l’arrêt: « En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société intimée supportera les dépens de première instance et d’appel. » La solution est donc cohérente avec le droit positif issu de la réforme de 2019, protège l’effectivité du contradictoire et limite les invalidations procédurales lorsque l’information a été suffisamment portée à la connaissance et exploitée par les parties.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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