Cour d’appel de Grenoble, le 5 septembre 2025, n°24/00476

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 5 septembre 2025 tranche une question procédurale relative à la reconnaissance des maladies professionnelles. Une salariée, agent de service depuis juillet 2020, a déclaré une épicondylite du coude droit le 7 janvier 2022. Le médecin-conseil a estimé que la condition relative à la liste limitative des travaux du tableau 57 n’était pas remplie. Le dossier a donc été transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lequel a rendu un avis favorable le 27 juillet 2022. L’employeur a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble, qui a déclaré la prise en charge inopposable par jugement du 16 janvier 2024, au motif que le délai de consultation n’avait pas été respecté. Le tribunal avait retenu que l’employeur, ayant reçu le courrier d’information le 12 mai 2022, n’avait bénéficié que de 27 jours francs pour consulter le dossier au lieu des 30 jours exigés.

La caisse primaire a interjeté appel de ce jugement. L’employeur soutenait à titre principal l’irrecevabilité de l’appel et, subsidiairement, demandait confirmation du jugement.

La question posée à la Cour d’appel était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la déclaration d’appel était recevable. Il s’agissait ensuite de définir le point de départ du délai de quarante jours prévu par l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale : ce délai court-il à compter de la date de saisine du comité régional ou à compter de la réception effective du courrier d’information par l’employeur ?

La Cour d’appel de Grenoble infirme le jugement. Elle juge que le délai de quarante jours a pour point de départ la date de saisine du comité, soit le 9 mai 2022, et non la date de réception du courrier par l’employeur. Elle précise que seule l’inobservation du délai de dix jours au cours duquel les parties peuvent accéder à un dossier complet et formuler des observations est sanctionnée par l’inopposabilité.

Cette décision invite à examiner le régime procédural de l’instruction des maladies professionnelles hors tableau (I), avant d’analyser la sanction attachée à la méconnaissance des délais de consultation (II).

I. Le régime procédural de l’instruction devant le comité régional

L’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale organise une procédure d’instruction spécifique lorsque la maladie ne remplit pas toutes les conditions du tableau applicable (A). L’arrêt commenté précise le point de départ des délais impartis aux parties (B).

A. L’architecture des délais de l’article R. 461-10

L’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 23 avril 2019, prévoit que la caisse dispose de cent vingt jours francs à compter de la saisine du comité régional pour statuer. Le texte organise une mise à disposition du dossier pendant quarante jours francs. Durant les trente premiers jours, les parties peuvent consulter le dossier, le compléter et formuler des observations. Durant les dix jours suivants, seules la consultation et la formulation d’observations demeurent possibles.

Cette architecture procédurale vise à garantir le caractère contradictoire de l’instruction. La caisse doit informer la victime et l’employeur des dates d’échéance de ces différentes phases par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information.

B. La détermination du point de départ des délais

La cour énonce que « l’économie générale de la procédure d’instruction à l’égard de la victime ou ses représentants et de l’employeur impose la fixation de dates d’échéances communes aux parties ». Elle en déduit que « le délai de 40 jours, tout comme celui de 120 jours dans lequel il est inclus, a pour point de départ la date de saisine du [comité], soit le 9 mai 2022, non celle de présentation ou de retrait du courrier d’information de la caisse par l’employeur ».

Cette solution se justifie par la nécessité d’assurer une cohérence procédurale. Si le délai devait courir à compter de la réception effective par chaque partie, les dates d’échéance varieraient selon les aléas postaux. La cour relève qu’un tel système pourrait conduire à une paralysie de l’instruction en cas d’absence volontaire de retrait du courrier. Cette analyse pragmatique permet de concilier le respect du contradictoire avec l’impératif d’une instruction dans un délai raisonnable.

II. La sanction de l’inobservation des délais de consultation

La cour distingue les différentes phases de la procédure et leurs sanctions respectives (A). Cette distinction s’appuie sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation (B).

A. La distinction entre les phases de constitution et de consultation du dossier

La caisse primaire soutenait que « la phase préalable de 30 jours d’enrichissement du dossier n’a pas pour objet de garantir le contradictoire, mais de constituer le dossier complet à soumettre au comité ». La cour retient cette analyse en jugeant que « seule l’inobservation du délai de 10 jours au cours duquel les parties peuvent accéder à un dossier complet et figé et formuler des observations, est sanctionnée par l’inopposabilité ».

Cette solution opère une hiérarchisation des exigences procédurales. La phase initiale de trente jours permet aux parties de contribuer à la constitution du dossier. La phase finale de dix jours garantit un accès à un dossier désormais complet. Le contradictoire s’exerce véritablement durant cette seconde phase, lorsque toutes les pièces sont réunies et que chaque partie peut formuler des observations en connaissance de cause.

B. La consécration jurisprudentielle de cette analyse

La cour vise expressément deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juin 2025, numéros 23-11.391 et 23-11.392. Ces décisions consacrent la distinction entre les deux phases de la procédure et confirment que seul le non-respect du délai de dix jours emporte inopposabilité de la décision de prise en charge.

Cette jurisprudence clarifie le régime contentieux de l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale. Elle évite que des irrégularités mineures affectant la première phase de constitution du dossier n’entraînent systématiquement l’inopposabilité de la décision. La sanction est ainsi proportionnée à la gravité de l’atteinte au contradictoire. En l’espèce, l’employeur avait consulté le dossier le 18 mai 2022 sans formuler d’observations. La cour pouvait légitimement considérer que le principe du contradictoire n’avait pas été méconnu, dès lors que la société avait effectivement pu accéder au dossier et faire valoir ses arguments.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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