Cour d’appel de Grenoble, le 5 septembre 2025, n°24/00481

Par un arrêt du 5 septembre 2025, la Cour d’appel de Grenoble (chambre sociale – protection sociale) tranche un litige opposant des allocataires à l’organisme débiteur des prestations familiales. La décision traite d’abord de la recevabilité d’un recours au regard des délais préalables, puis de l’ouverture des droits à prestations familiales avant janvier 2020.

Les faits sont simples et précis. Une demande de prestations familiales a été déposée le 13 décembre 2019. L’organisme a ouvert des droits à compter du 1er janvier 2020. Par une réclamation du 4 février 2022, les allocataires ont sollicité l’ouverture rétroactive des droits à compter de 2017. L’organisme a opposé la forclusion au motif que la décision du 17 janvier 2020 aurait été notifiée et lue en avril 2020. Saisi, le pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy, par jugement du 14 décembre 2023, a déclaré le recours irrecevable et a débouté les demandeurs. Un appel a été interjeté le 2 février 2024.

Devant la cour, les appelants demandent la recevabilité du recours et la réformation du jugement, ainsi que l’allocation de droits à compter du 26 novembre 2017. Ils soutiennent n’avoir pas reçu de notification régulière de la décision du 17 janvier 2020, de sorte que les délais n’auraient pas commencé à courir. L’organisme conclut à l’irrecevabilité au regard des articles R. 142-1 et R. 142-1-A du Code de la sécurité sociale, invoque la preuve d’une lecture dématérialisée, et, subsidiairement, conteste toute ouverture antérieure à janvier 2020 faute de régularité de séjour et d’activité.

La question posée est double. D’une part, un délai préalable de recours peut-il être opposé à défaut de notification probante de la décision de prestations familiales ? D’autre part, des droits antérieurs à janvier 2020 peuvent-ils être reconnus au regard des exigences de régularité de séjour et d’affiliation, notamment au vu des instruments bilatéraux applicables ? La Cour d’appel répond en deux temps. Elle retient que « La caisse ne prouve pas l’envoi par recommandé avec accusé de réception, ou par un moyen permettant de s’assurer de la date de réception du courrier, de cette décision du 17 janvier 2020 ». Elle décide ensuite que « Cet élément […] n’est pas une preuve suffisante pour faire courir leur délai de contestation, et le jugement sera donc infirmé ». Sur le fond, elle juge cependant que « Ainsi, les appelants ne justifient pas que les conditions d’ouverture de droit étaient réunies », puis précise : « Dans ces conditions, les appelants seront déboutés de leur demande d’ouverture de droit avant janvier 2020 ».

I. Le contrôle de la forclusion préalable

A. La charge de la preuve de la notification et le cadre des délais
Les délais préalables de l’article R. 142-1 du Code de la sécurité sociale ne sont opposables qu’en cas de notification régulière. La cour rappelle la règle d’articulation avec l’article R. 142-1-A, qui exige la mention des voies et délais et, surtout, une notification établissant la réception. L’organisme se prévalait d’une « lecture » sur l’espace dématérialisé, déduite d’une capture d’écran interne, pour soutenir la connaissance effective de la décision. La cour énonce que « La caisse ne prouve pas l’envoi par recommandé avec accusé de réception, ou par un moyen permettant de s’assurer de la date de réception du courrier, de cette décision du 17 janvier 2020 ». La formulation souligne la finalité probatoire : seule compte la certitude de la date de réception, conditionnant le point de départ du délai.

La solution s’inscrit dans un principe constant en contentieux de sécurité sociale : la forclusion se prouve strictement, par un mode de notification fiable. Un indice technique interne ne suffit pas. La cour isole la question probatoire, sans s’arrêter aux échanges nombreux et à l’accompagnement social évoqués, étrangers au point de départ légal du délai.

B. L’insuffisance probatoire et ses effets procéduraux
La juridiction d’appel contrôle ensuite la portée de l’élément numérique produit. Elle estime que « Cet élément […] n’est pas une preuve suffisante pour faire courir leur délai de contestation, et le jugement sera donc infirmé ». La censure vise le raisonnement des premiers juges, qui avaient admis la forclusion à partir de ce seul indice.

Le raisonnement préserve l’accès au juge en cas de doute sur la notification opposée. La recevabilité est rétablie, ce qui permet d’examiner le fond du droit. La cour rejette par ailleurs la demande d’écarter des débats des écritures tardives, au regard du contradictoire et de la nature orale de la procédure, sans que cela n’influe sur l’appréciation du point de départ des délais.

II. L’ouverture des droits à prestations et sa temporalité

A. Régularité du séjour, affiliation et instruments applicables
Sur le mérite, la cour confronte la prétention rétroactive à la structure du droit positif. L’article D. 512-1 du Code de la sécurité sociale impose, pour l’étranger, la justification de la régularité du séjour par un titre en cours de validité. Les appelants avaient établi cette régularité en décembre 2019. Par ailleurs, l’organisme invoquait l’articulation avec la convention franco-yougoslave du 5 janvier 1950, applicable aux ressortissants concernés via les accords de succession, conditionnant le bénéfice à l’exercice d’une activité salariée et à l’affiliation au régime général. Les éléments au dossier faisaient ressortir un début d’activité au 13 janvier 2020.

Ce cadre normatif entraîne une temporalité stricte des droits : en application de l’article R. 552-2, les prestations mensuelles sont dues à partir du premier jour du mois suivant la réunion des conditions. La prescription biennale de l’article L. 553-1 ne crée aucun droit en l’absence de conditions réunies ; elle limite l’action de paiement. La cour constate ainsi l’absence d’argumentation juridique précise quant à une ouverture au 26 novembre 2017 et énonce que « Ainsi, les appelants ne justifient pas que les conditions d’ouverture de droit étaient réunies ».

B. Temporalité des droits et portée de la solution
La cour en déduit la solution de rejet : « Dans ces conditions, les appelants seront déboutés de leur demande d’ouverture de droit avant janvier 2020 ». La motivation articule clairement la régularité de séjour démontrée en décembre 2019 et le début d’activité en janvier 2020, qui fondent l’ouverture à compter du mois suivant la production des justificatifs. La prétention rétroactive se heurte à la nature conditionnelle des prestations familiales et à la hiérarchie des sources, où les instruments bilatéraux complètent le droit interne.

La portée de l’arrêt est nette sur deux plans. Sur le plan procédural, il réaffirme l’exigence d’une preuve certaine de notification pour opposer une forclusion, les traces techniques internes demeurant insuffisantes. Sur le plan matériel, il confirme une ligne constante : la réunion des conditions de séjour et, le cas échéant, d’affiliation, gouverne l’ouverture des droits, la prescription n’étant qu’un plafond d’action et non un vecteur d’acquisition rétroactive. L’arrêt renforce ainsi la sécurité juridique des délais et la lisibilité des conditions d’ouverture des prestations familiales.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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