Cour d’appel de Grenoble, le 5 septembre 2025, n°24/00564

Par un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 5 septembre 2025, la chambre sociale statue sur la liquidation des préjudices complémentaires consécutifs à un accident du travail. La faute inexcusable de l’employeur avait été retenue par le tribunal judiciaire le 13 janvier 2020 et confirmée par la Cour d’appel de Grenoble le 27 janvier 2023. La consolidation est fixée au 15 mai 2018. Un premier rapport d’expertise a été déposé, puis un complément a été ordonné par le jugement du 10 janvier 2024, qui a alloué diverses indemnités et sursis à statuer sur le déficit fonctionnel permanent. L’assuré a interjeté appel, sollicitant une réévaluation globale, tandis que les intimés contestaient plusieurs bases de calcul. L’expertise complémentaire du 13 mai 2025 a retenu un déficit fonctionnel permanent de 14 %. La Cour confirme l’essentiel de l’évaluation des premiers juges, ajoute l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, rejette les prétentions relatives à l’agrément, au sexuel et à la promotion, et refuse de « réserver des droits » pour une aggravation ultérieure.

I. Le sens de la décision: une liquidation mesurée et fidèle aux critères éprouvés

A. La méthode d’évaluation des atteintes à l’intégrité et des troubles temporaires
La Cour réaffirme une approche structurée du déficit fonctionnel temporaire, en conservant une base journalière de 30 euros. Les périodes d’incapacité ne sont pas discutées et résultent des hospitalisations, de la rééducation et des soins, ce qui justifie une indemnisation maintenue à 8 553 euros. Le juge d’appel retient que la gêne dans les actes essentiels et la perte de qualité de vie, appréciées in concreto, ne commandent ni hausse ni baisse de cette base. L’option retenue favorise la stabilité des évaluations, tout en s’adossant à des critères médico‑légaux et factuels homogènes.

S’agissant des souffrances endurées, l’expert les a fixées à 4/7, traduisant des interventions, une hospitalisation prolongée, une rééducation soutenue et des traitements répétés. La Cour confirme la somme de 10 000 euros. Le quantum paraît cohérent avec un degré moyen, et la motivation articule le niveau de l’atteinte, la durée des soins et l’intensité des contraintes thérapeutiques. Le préjudice esthétique est apprécié avec mesure: aucune atteinte temporaire n’est retenue, et un caractère très léger post‑consolidation justifie 1 000 euros, au regard d’une cicatrice discrète. Ce calibrage illustre un contrôle de proportion adapté à l’importance objective de la séquelle.

Le déficit fonctionnel permanent, sur lequel le premier juge avait différé sa décision, est désormais fixé à 24 500 euros sur la base d’un taux de 14 %. La Cour applique une valeur de point conforme à l’âge à la consolidation, ce qui renforce l’égalité de traitement et la prévisibilité. L’organisme social avancera la somme, avec recours contre l’employeur. Cette technique combine l’exécution rapide de la réparation et la répartition finale de la charge, en conformité avec le régime légal de la faute inexcusable.

B. L’assistance tierce personne et l’autorité de la règle prétorienne
La Cour retient trois heures et demie par jour durant vingt‑six jours, sur une base horaire de 20 euros, pour la période pré‑consolidation. L’argument tiré de l’absence de recours à un prestataire spécialisé est écarté. Le juge d’appel se réfère expressément au principe selon lequel « le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives » (Civ. 2e, 4 mai 2017, n° 16‑16.885; Civ. 2e, 15 déc. 2022, n° 21‑16.609). La solution protège la finalité réparatrice du poste, centré sur le besoin objectivement constaté et non sur l’organisation pratique retenue par la victime.

Cette fidélité à la jurisprudence de la haute juridiction évite une indemnisation aléatoire et préserve l’égalité entre victimes, quelle que soit la modalité d’assistance. La base horaire n’est pas réduite mécaniquement en l’absence de facture, mais appréciée au regard de la nature des actes essentiels, de la durée courte de la période et de l’intensité de la dépendance fonctionnelle. La Cour tient un cap clair: l’indemnité répare un besoin, non une dépense.

II. Valeur et portée: rigueur probatoire et clarifications utiles du périmètre indemnitaire

A. Une exigence de preuve resserrée pour l’agrément, le sexuel et la promotion
Le préjudice d’agrément est rappelé dans son acception stricte: il vise exclusivement le préjudice « lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ». La Cour écarte des attestations amicales non corroborées et l’absence de pièces objectivant une pratique régulière antérieure. Le raisonnement repose sur la constance jurisprudentielle: la preuve de la pratique et de sa régularité est une condition préalable, la seule évocation d’une gêne étant insuffisante pour ouvrir droit à réparation.

Le préjudice sexuel est également rejeté, les pièces produites se situant avant la consolidation. La Cour rappelle que ce poste vise des séquelles permanentes et doit être établi postérieurement à la consolidation. La solution est classique et rappelle la temporalité propre à la nomenclature des postes, qui distingue l’avant et l’après consolidation, s’agissant des atteintes à la sphère intime. La demande liée à la perte de chances de promotion professionnelle n’est pas mieux fondée: aucun élément objectif n’atteste des perspectives d’évolution sérieuses avant l’accident pour un salarié intérimaire. La Cour exige une démonstration positive de chances réelles et sérieuses, et non la seule invocation d’une reconversion imposée.

Cette rigueur probatoire présente une vertu d’alignement avec la finalité de chaque poste. Elle évite les doubles emplois avec les prestations du Livre IV et rappelle que les postes extra‑légaux, ouverts par la faute inexcusable, demeurent subordonnés à des preuves précises, distinctes et contemporaines de la période utile.

B. Portée pratique: barémisation raisonnée, rôle de l’organisme social et refus des « réserves »
La fixation du déficit fonctionnel permanent à partir d’une valeur de point liée à l’âge renforce l’intelligibilité des décisions. Cette barémisation raisonnée réduit les écarts et favorise la sécurité juridique. La Cour conserve parallèlement des marges d’appréciation pour les postes subjectifs, ce qui limite les effets mécaniques et maintient l’examen in concreto de la situation personnelle de la victime.

L’obligation pour l’organisme social d’avancer les sommes et le recours contre l’employeur assurent la lisibilité du circuit financier. Le mécanisme permet une indemnisation effective, tout en conservant la logique de responsabilisation propre à la faute inexcusable. La Cour refuse, en revanche, de « réserver des droits » à une action future en aggravation. La règle est nette: le juge n’a pas à statuer par avance sur une demande hypothétique. Cette clarification évite des dispositifs inopérants et renvoie, le cas échéant, à la voie appropriée si une aggravation survient et est médicalement constatée.

L’arrêt confirme enfin que l’assistance tierce personne demeure un poste autonome et objectif. En réaffirmant que « le montant de l’indemnité […] ne saurait être réduit […] ni subordonné à la production de justificatifs », il écarte définitivement une approche comptable et consacre la réparation du besoin. Corrélativement, la Cour maintient une ligne stricte pour l’agrément, fidèle à la définition selon laquelle il s’agit d’un préjudice « lié à l’impossibilité […] de pratiquer régulièrement » une activité spécifique. Le message adressé aux praticiens est clair: documenter tôt et précisément la pratique et son interruption, ou s’exposer au rejet.

Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble, le 5 septembre 2025, articule une décision d’équilibre. Elle confirme des montants mesurés pour les postes temporaires et subjectifs, accueille le déficit fonctionnel permanent sur une base barémisée, sécurise le traitement de l’assistance tierce personne par le rappel de la règle prétorienne, et resserre la preuve pour les préjudices spécifiques. L’ensemble conforte un contentieux de la faute inexcusable lisible, prévisible et fidèle aux finalités réparatrices sans excès.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture