Cour d’appel de Grenoble, le 9 septembre 2025, n°23/01538

La Cour d’appel de Grenoble, 9 septembre 2025, chambre sociale, se prononce sur la contestation d’un licenciement disciplinaire. Le litige naît d’une altercation en boutique et de griefs managériaux, intervenus après un avertissement antérieur.

Le salarié, transféré lors d’une reprise, occupait depuis 2018 la responsabilité d’un point de vente. Une mise à pied conservatoire a été suivie d’un licenciement pour faute grave après une altercation avec un collaborateur et divers reproches de désorganisation. Le contenu de la lettre de licenciement circonscrit les griefs et borne le débat, conformément à la règle selon laquelle elle fixe les limites du litige.

Le conseil de prud’hommes de Vienne, 20 mars 2023, a écarté la faute grave tout en retenant une cause réelle et sérieuse. Il a accordé le rappel du salaire durant la mise à pied, l’indemnité de préavis, et l’indemnité légale de licenciement. Le salarié a interjeté appel en contestant l’existence de la cause réelle et sérieuse et en invoquant des conditions vexatoires. L’employeur a soutenu la faute grave et sollicité l’infirmation des condamnations corrélatives.

La question posée portait sur la qualification des faits au regard de la faute grave, sur la preuve de l’impossibilité de maintien pendant le préavis, et sur les incidences indemnitaires de la requalification. La cour confirme l’existence d’une cause réelle et sérieuse, écarte la gravité suffisante, et refuse tout caractère vexatoire distinct. Elle précise la base de calcul des sommes dues et le cumul des indemnités afférentes.

I. La qualification des faits et le seuil de la faute grave

A. Des éléments factuels établis de manière incomplète

La motivation s’ouvre par un rappel des standards applicables au contrôle de la validité du motif personnel. La cour souligne d’abord la force probante inégale des attestations, qui décrivent une dispute vive, observée par des tiers, mais sans agression physique probante. L’analyse retient la matérialité d’un comportement inadapté, de tonalité agressive, aux abords du magasin, en présence de clients. La formule synthétique est nette: « Ce fait est donc partiellement établi. »

Cette appréciation nuancée s’accompagne d’une prise en compte des antécédents disciplinaires et des observations hiérarchiques. Les audits de conformité, non contextualisés et peu exploités, ne suffisent pas, à eux seuls, à caractériser une désorganisation fautive persistante. La cour met en évidence l’insuffisance d’éléments objectivés sur la pérennité des carences et l’accompagnement managérial réellement proposé. Elle en déduit que seules certaines insuffisances ont été démontrées, dans un cadre probatoire limité.

La décision globalise ces données et rappelle leur portée exacte, en affirmant: « Aussi, la cour relève, comme le conseil de prud’hommes, que les faits fautifs visés dans le courrier de licenciement sont partiellement établis. » Le constat mêle donc un fait principal retenu pour partie et des griefs de gestion demeurés trop imprécis, faute d’éléments circonstanciés et suivis d’exécution. Reste à déterminer si l’ensemble atteint le seuil de gravité rendant impossible tout maintien durant le préavis.

B. L’impossibilité de maintien et l’écartement de la faute grave

La cour applique les principes gouvernant la faute grave, en rappelant leur finalité et leur exigence probatoire. Elle énonce: « Conformément aux articles L. 1232-1, L. 1232-6, L. 1234-1 et L. 1235-2 du code du travail, l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave doit établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis. » L’exigence est élevée, car la faute grave a pour effet d’exclure le préavis et l’indemnité afférente.

La juridiction d’appel insiste aussi sur la célérité de la réaction disciplinaire: « La procédure pour licenciement pour faute grave doit être engagée dans un délai restreint après la découverte des faits. » Le critère de l’impossibilité de maintien suppose, au-delà de la faute, une désorganisation ou un risque incompatibles avec la poursuite temporaire du contrat. Or, la démonstration d’une telle impossibilité fait défaut, en dépit du caractère répréhensible et public de l’altercation.

La solution s’ensuit logiquement. La cour confirme l’absence de gravité suffisante, tout en retenant la cause réelle et sérieuse. Le faisceau d’indices ne permet pas d’atteindre le seuil qualitatif d’une rupture immédiate, particulièrement protecteur. La hiérarchie des fautes est ainsi réaffirmée, et l’économie des textes préservée, la sanction étant proportionnée à l’ampleur probatoire des faits retenus.

II. Les conséquences indemnitaires et l’absence de vexation distincte

A. Préavis, rappel de salaire et indemnité de licenciement

La requalification emporte le droit à l’indemnité compensatrice et au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée. La cour rappelle deux règles cardinales. D’une part: « L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L. 1235-2. » D’autre part: « L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. »

S’agissant de l’assiette, la solution s’inscrit dans le cadre de l’article R. 1234-4, en privilégiant la formule la plus favorable. La cour retient la moyenne des douze derniers mois, écarte l’argument tiré de l’activité partielle devenue sans pertinence, et vérifie la cohérence des retenues opérées sur les bulletins. La rigueur de la méthode de calcul garantit l’effectivité du droit à réparation, dans une stricte logique de restitution.

Ces rappels soulignent une cohérence d’ensemble. La requalification neutralise l’éviction du préavis et rétablit le régime indemnitaire ordinaire. Elle consacre l’idée que la gravité manquante n’autorise ni sanction maximale, ni minoration de l’assiette salariale, en l’absence de base légale.

B. Conditions vexatoires et exigence d’une preuve spécifique

La demande indemnitaire distincte est examinée à l’aune d’un principe récurrent en droit du travail. La cour rappelle que « Le licenciement prononcé dans des conditions vexatoires peut causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi, justifiant une réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil, dès lors que la faute de l’employeur est démontrée. » La charge de la preuve porte ici sur des circonstances de rupture portant atteinte à la dignité ou excédant les nécessités du pouvoir de direction.

L’argumentation fondée sur un stress ancien, des menaces de mutation alléguées, et une prétendue brutalité d’exécution n’est pas corroborée par des éléments objectifs. Les pièces médicales produites sont antérieures à la rupture, et aucun fait précis n’atteste de modalités vexatoires lors de la notification. Faute de preuve, la demande est rejetée, au bénéfice d’une stricte différenciation entre griefs d’exécution du contrat et circonstances de la rupture.

La portée de l’arrêt est claire. La solution illustre l’exigence probatoire double, tant pour l’exclusion du préavis que pour la réparation d’une vexation distincte. Elle incite les employeurs à documenter rigoureusement l’impossibilité de maintien, et les salariés à établir précisément les conditions de la rupture. Elle consacre une ligne d’équilibre qui privilégie la proportion et la preuve, sans dénaturer le régime disciplinaire ni les droits pécuniaires attachés à la requalification.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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