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La mise en cause de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat à raison de son activité de conseil et de rédaction d’actes constitue un contentieux récurrent dont les contours demeurent parfois incertains. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 9 septembre 2025 en offre une illustration significative dans le contexte particulier du droit de la fonction publique territoriale.
Un président de conseil départemental, élu en avril 2015, souhaitait procéder au remplacement du directeur général des services en poste depuis 2004. Il a sollicité un avocat spécialisé en droit public afin qu’il rédige une consultation juridique et un protocole transactionnel organisant les modalités de départ de l’ancien directeur. Ce protocole prévoyait que l’intéressé serait nommé directeur général adjoint des services, bénéficierait de ses congés acquis, suivrait une formation professionnelle prise en charge par la collectivité, puis serait licencié pour perte de confiance à l’issue de cette période de transition. Le contrat de travail de directeur général adjoint fut signé le 26 août 2015 avec effet rétroactif au 1er juillet 2015.
À la suite d’un signalement de la chambre régionale des comptes, une enquête préliminaire fut ouverte. Le tribunal correctionnel de Grenoble, puis la Cour d’appel de Grenoble statuant en matière correctionnelle le 11 janvier 2021, ont déclaré le président coupable de détournement de fonds publics pour avoir consenti un emploi fictif, le condamnant notamment à une amende et à une peine d’inéligibilité. Le pourvoi formé contre cet arrêt a fait l’objet d’une déclaration de non-admission le 23 février 2022.
Estimant que sa condamnation pénale résultait de l’exécution du protocole transactionnel et des conseils prodigués par l’avocat, le président a engagé une action en responsabilité civile professionnelle contre celui-ci. Le Tribunal judiciaire de Vienne, par jugement du 7 décembre 2023, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. Il a interjeté appel de cette décision.
La question posée à la Cour d’appel de Grenoble était de déterminer si l’avocat avait engagé sa responsabilité civile professionnelle en rédigeant la consultation juridique et le protocole transactionnel, et si un lien de causalité existait entre d’éventuels manquements et les préjudices invoqués par le président au titre de sa condamnation pénale.
La Cour d’appel de Grenoble confirme le jugement déféré et déboute l’appelant de l’ensemble de ses prétentions. Elle retient que la consultation juridique n’engendrait qu’une obligation de moyens et que la mission confiée était précisément délimitée, n’incluant pas l’étude du licenciement. Concernant le protocole transactionnel, elle considère que l’avocat a mis en œuvre les modalités préalablement décidées par le président, que ce protocole prévoyait bien une contrepartie au maintien de la rémunération et que la condamnation pénale trouve sa cause non dans le protocole lui-même mais dans le contrat de travail ultérieurement établi par le président sans y mentionner les missions effectives de l’agent.
Il convient d’examiner d’abord la délimitation de l’obligation de l’avocat en matière de consultation et de rédaction d’acte (I), avant d’analyser l’appréciation du lien de causalité entre le manquement allégué et le préjudice invoqué (II).
I. La délimitation de l’obligation de l’avocat selon la nature de sa mission
La Cour opère une distinction rigoureuse entre les obligations attachées à la consultation juridique et celles découlant de la rédaction d’acte (A), tout en précisant les limites du devoir de conseil dans le cadre d’une mission strictement définie (B).
A. La distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat
L’arrêt rappelle une summa divisio fondamentale du droit de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat. La Cour énonce que « la consultation juridique qui a pour finalité de fournir un avis et éventuellement un conseil personnalisé qui serviront à résoudre une question et à prendre une décision, diffère du conseil, n’engendre qu’une obligation de moyens ». Elle ajoute que « la rédaction de l’acte engendre une obligation de résultat pour l’avocat rédacteur qui doit conseiller les parties, assurer la validité de l’acte et sa pleine efficacité, en l’adaptant à la situation des parties selon leurs prévisions ».
Cette distinction classique emporte des conséquences probatoires importantes. Dans le cadre d’une obligation de moyens, le créancier doit démontrer la faute du débiteur, tandis que l’obligation de résultat dispense de cette preuve, seul le fait que le résultat n’a pas été atteint suffisant à engager la responsabilité. L’arrêt applique ce schéma de manière orthodoxe en examinant successivement la consultation juridique sous l’angle de l’obligation de moyens et le protocole transactionnel sous celui de l’obligation de résultat.
La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui distingue selon que l’avocat intervient comme simple conseil ou comme rédacteur d’acte. Cette dualité de régime répond à une logique fonctionnelle car le rédacteur d’acte maîtrise la formalisation juridique de l’opération tandis que le conseil se borne à éclairer une décision qui demeure celle du client.
B. Le cantonnement du devoir de conseil aux termes de la mission
La Cour relève que « la mission confiée sur ce point à Me [Y] était très précisément délimitée » et consistait à « produire une analyse juridique indiquant les modalités juridiques à mettre en œuvre quant au recrutement et au paiement du futur Directeur Général des Services ». Elle en déduit que « cette mission ne consistait donc pas à étudier les possibilités de rupture du contrat de M. [S] et donc réaliser une étude juridique des modalités du licenciement de celui-ci ».
Cette analyse révèle que le devoir de conseil de l’avocat n’est pas illimité mais trouve sa mesure dans les termes de la mission qui lui est confiée. L’avocat n’est pas tenu de conseiller au-delà de ce qui lui est demandé, particulièrement lorsque le client a déjà arrêté sa décision et sollicite seulement une mise en forme juridique. La Cour observe à cet égard que « M. [F] avait déjà fait établir le 19 mai 2015 par le cabinet Landot Avocats une consultation juridique sur ce licenciement », ce qui démontre que l’option du licenciement avait déjà été écartée avant l’intervention de l’avocat mis en cause.
Cette solution pose néanmoins la question des limites du devoir d’alerte de l’avocat. Celui-ci peut-il se retrancher derrière les termes de sa mission lorsqu’il perçoit que l’opération envisagée par son client présente des risques juridiques majeurs ? La Cour semble admettre implicitement que l’avocat n’a pas à substituer son appréciation à celle du client dès lors qu’il a fourni une analyse exacte dans le périmètre de sa mission.
II. L’appréciation du lien de causalité entre la prestation de l’avocat et le préjudice pénal
La Cour procède à une analyse minutieuse de l’origine du dommage pour écarter tout lien de causalité (A), consacrant ainsi une approche restrictive de la responsabilité de l’avocat lorsque le préjudice résulte d’un fait du créancier (B).
A. L’identification de la cause du préjudice dans le fait du créancier
L’arrêt distingue avec netteté le protocole transactionnel du contrat de travail ultérieurement conclu. La Cour relève que « seule la mise en œuvre de ce protocole transactionnel à laquelle Me [Y] n’a pas participé (n’étant pas le rédacteur du contrat de travail de DGA) dont la responsabilité incombe à M. [F] est à l’origine de cette procédure pénale ». Elle précise que « le contrat de travail régularisé par M. [F] (en tant que président du conseil départemental) avec M. [S] le 26 août 2016 comporte aucune indication sur la mission et les attributions confiées à celui-ci ».
Cette analyse révèle que le caractère fictif de l’emploi, fondement de la condamnation pénale, ne résultait pas du protocole transactionnel mais du contrat de travail qui n’en respectait pas les termes. La Cour observe que l’avocat « avait bien mentionné dans le protocole transactionnel l’existence d’une contrepartie à la rémunération et les avantages accordés à M. [S] dans le cadre de ses fonctions de DGA (mission d’assurer la transition harmonieuse de la Direction Générale et des responsabilités afférentes, avec son successeur) ». C’est donc le président lui-même qui, en omettant de définir les missions dans le contrat de travail, a créé les conditions de sa condamnation pénale.
Cette distinction entre l’acte rédigé par l’avocat et l’acte subséquent rédigé par le client est déterminante. Elle permet d’isoler la véritable cause du dommage et de constater que celle-ci échappe au périmètre d’intervention de l’avocat.
B. L’exonération de l’avocat par le fait du créancier
La Cour conclut que « du fait du créancier, ce préjudice se serait produit même en l’absence de toute faute de Me [Y] en tant que trouvant sa cause dans le contenu du contrat de travail de DGA établi par M. [F] lui-même en méconnaissance de la mission qui avait été affectée à M. [S] dans le protocole transactionnel ».
Cette formulation consacre l’application du fait du créancier comme cause d’exonération de la responsabilité contractuelle de l’avocat. Même à supposer qu’une faute puisse être retenue, celle-ci serait privée de tout effet causal dès lors que le dommage trouve son origine dans un comportement postérieur et autonome du client. La Cour applique ici le raisonnement contrefactuel propre à l’appréciation du lien de causalité en constatant que le préjudice se serait produit même en l’absence de faute de l’avocat.
Cette solution présente une portée significative pour le contentieux de la responsabilité professionnelle de l’avocat. Elle rappelle que le client demeure maître de la mise en œuvre des actes rédigés par son conseil et ne peut lui imputer les conséquences dommageables d’une exécution défectueuse. L’avocat rédacteur d’acte n’est pas le garant de l’exécution fidèle de cet acte par son client. Sa responsabilité s’apprécie au regard du contenu de l’acte qu’il a rédigé et non au regard des actes subséquents accomplis par le client en dehors de toute intervention de sa part. L’arrêt confirme ainsi que la responsabilité civile professionnelle de l’avocat ne saurait constituer un mécanisme d’assurance contre les conséquences des propres décisions du client.