Cour d’appel de Limoges, le 11 septembre 2025, n°24/00446

Rendue par la Cour d’appel de Limoges le 11 septembre 2025, la décision tranche un litige relatif à la rupture d’un contrat de travail d’une secrétaire de cabinet dentaire. L’employeur invoquait une désorganisation née d’absences prolongées pour maladie et la nécessité d’un remplacement définitif. La salariée soutenait l’insuffisance de preuve de ces perturbations, l’illégitimité du refus d’un mi-temps thérapeutique, et des indices de discrimination en raison de l’état de santé.

Les faits utiles tiennent en une embauche en CDD puis CDI à temps complet, suivie d’un arrêt maladie long. À la reprise, la médecine du travail a préconisé un mi-temps thérapeutique, refusé par l’employeur au motif de l’organisation retenue avec la remplaçante. Une nouvelle suspension est intervenue, puis un licenciement motivé par une désorganisation alléguée et par la fin de la garantie d’emploi conventionnelle. Les documents de fin de contrat ont été ultérieurement rectifiés.

Saisi après un jugement du conseil de prud’hommes de Guéret du 17 mai 2024, l’appel ne dévolvait à la Cour que l’examen de la cause réelle et sérieuse, son indemnisation et la remise des documents. L’enjeu juridique portait sur la combinaison des conditions conventionnelles de licenciement pour absences, le contrôle du refus de mi-temps thérapeutique, et la charge de la preuve en matière de discrimination. La juridiction retient l’absence de preuve d’une désorganisation imposant un remplacement définitif, qualifie le refus du mi-temps thérapeutique d’injustifié et retient le caractère discriminatoire du licenciement, tout en allouant une indemnité dans le cadre de l’article L.1235-3 du code du travail.

I. Les conditions conventionnelles et factuelles de la rupture

A. La désorganisation du service et la nécessité d’un remplacement définitif

Le motif de la lettre de licenciement est sans ambiguïté, puisqu’elle énonce: « Compte tenu de la désorganisation engendrée par votre absence prolongée et la nécessité de vous remplacer de manière définitive, ..je suis au regret de devoir vous notifier votre licenciement ». La Cour confronte ce motif aux normes conventionnelles applicables aux cabinets dentaires, rappelant que « l’accident non professionnel ne peut être en lui-même un motif de licenciement ». Elle souligne que le licenciement peut être admis si, et seulement si, « les conséquences sur le fonctionnement du cabinet des absences continues ou discontinues, égales ou supérieures à quatre mois, peuvent justifier le licenciement […] si les deux conditions ci-après sont remplies: » — « l’absence du salarié perturbant le fonctionnement du cabinet interdit à l’employeur de compter sur l’exécution régulière du contrat de travail ; » — « l’absence rend nécessaire le remplacement définitif du salarié par un contrat de travail à durée indéterminée. »

La juridiction exige une démonstration concrète des perturbations et de la nécessité du remplacement. Or, elle constate l’absence de pièces établissant des dysfonctionnements non surmontables. Elle relève surtout la transformation rapide du contrat de la remplaçante en CDI, avec élargissement des missions et prime spécifique, au lendemain de l’envoi de la lettre. L’analyse révèle un choix de gestion privilégiant la remplaçante, antérieur à la rupture, sans preuve que l’organisation ne pouvait intégrer une reprise à temps partiel. Cette appréciation resserre la preuve exigée pour faire jouer la clause conventionnelle après l’expiration de la garantie d’emploi.

B. Le refus du mi-temps thérapeutique et son contrôle de légitimité

Le juge du fond rappelle que le refus d’un temps partiel thérapeutique n’est licite qu’en présence d’un motif légitime établi. L’argument tenant au refus de la remplaçante d’accepter un temps partiel ne caractérise pas, en soi, une impossibilité objective. Le cabinet pouvait, pour une durée limitée, recomposer l’organisation ou adjoindre un renfort à temps partiel. En l’absence de tentatives avérées d’aménagement, le contrôle juridictionnel conduit à écarter l’argument d’une contrainte organisationnelle insurmontable.

Le dossier révèle une décision de gestion déjà orientée vers la pérennisation de la remplaçante. Cette orientation, couplée au refus du mi-temps thérapeutique, fragilise le motif tiré d’une désorganisation. En resituant les faits dans l’économie de la convention collective et du droit de la santé au travail, la Cour neutralise l’invocation abstraite de la perturbation. Cette première série de constats ouvre logiquement sur l’examen de la qualification discriminatoire et de son régime probatoire.

II. La qualification de discrimination et la sanction retenue

A. Le régime probatoire et la caractérisation opérée

La juridiction énonce la règle de droit applicable: « En application des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail, il appartient au salarié qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte de présenter des éléments de fait laissant supposer son existence, et il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » Cette formulation, d’une grande clarté, guide l’appréciation des indices réunis.

Les éléments retenus convergent: refus non justifié du mi-temps thérapeutique, CDI immédiatement proposé à la remplaçante, élargissement des fonctions et prime dédiée, absence de preuve de perturbations insurmontables. La Cour en déduit que « le caractère discriminatoire du licenciement doit être retenu ». La solution se greffe sur l’article L.1132-1, rappelé expressément: « aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé ou de son handicap. » La motivation articule ainsi les indices sérieux, l’insuffisance de justification objective et la prohibition de principe, pour asseoir la qualification.

B. La mesure de réparation dans le cadre du barème légal

La Cour n’annule pas la rupture, faute de demande de nullité. Elle indemnise la salariée dans la fourchette de l’article L.1235-3, compte tenu d’une ancienneté d’un an. La décision précise: « EN CONSÉQUENCE, […] il est justifié de porter cette indemnité à la somme de 3.000 euros brut ». Le quantum, supérieur au minimum, sanctionne l’insuffisance de preuve du motif, la méconnaissance des exigences conventionnelles et l’atteinte aux droits protégés par le code du travail.

La juridiction ordonne en outre la délivrance de documents conformes, sous astreinte, afin d’assurer l’effectivité de la réparation et la sécurisation de la situation auprès de l’organisme d’indemnisation. La question d’un éventuel préjudice moral demeure renvoyée au départage, le jugement initial étant mixte sur ce point. L’ensemble dessine une solution équilibrée qui rappelle la rigueur du contrôle probatoire en matière de discrimination, tout en appliquant de manière mesurée le barème légal d’indemnisation.

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