Cour d’appel de Limoges, le 11 septembre 2025, n°24/00465

Par un arrêt de la Cour d’appel de Limoges, chambre économique et sociale, du 11 septembre 2025, la juridiction statue sur un contentieux nourri de droit du travail. Un salarié, engagé en 2011 et licencié pour inaptitude en 2022, conteste la rupture en invoquant un harcèlement moral, des irrégularités procédurales et de nombreux manquements contractuels. Le conseil de prud’hommes de Brive avait partiellement accueilli ses demandes, notamment sur les heures supplémentaires, la formation et les entretiens professionnels, tout en rejetant la nullité fondée sur le harcèlement.

Le dossier retrace un avertissement notifié en décembre 2021, la restitution d’un véhicule d’entreprise au début de l’arrêt de travail, et une retenue de 10 000 euros sur l’indemnité de licenciement. Le salarié sollicite, en appel, à titre principal, la nullité pour harcèlement, subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse, et, à tout le moins, l’indemnisation d’une procédure irrégulière. Il réclame aussi le paiement d’heures supplémentaires, l’allocation de congés payés acquis en arrêt maladie, et des sommes liées aux obligations de formation et d’entretien professionnel.

La cour devait apprécier, d’abord, si les éléments versés faisaient présumer un harcèlement et, partant, entraînaient la nullité, puis si l’inaptitude justifiait une cause réelle et sérieuse. Elle examinait encore le respect du délai légal d’entretien préalable, l’évaluation du temps de travail selon le régime probatoire aménagé, la qualification de travail dissimulé et le bénéfice de congés payés durant la maladie. Elle tranchait enfin la portée de l’avertissement, la licéité de la retenue contestée, et l’indemnisation attachée aux obligations de développement des compétences.

La cour écarte le harcèlement, retient la cause réelle et sérieuse, répare l’irrégularité procédurale par un mois de salaire, et alloue partiellement des heures supplémentaires. Elle rejette le travail dissimulé, confirme les indemnités pour défaut de formation et d’entretiens, ordonne la restitution des 10 000 euros, reconnaît des congés payés acquis pendant l’arrêt, et réserve l’opposabilité à la garantie salariale.

I. Le sens de la décision

A. Harcèlement moral: faisceau d’indices insuffisant et inaptitude fondée

La cour rappelle la méthode probatoire, en écho à l’article L. 1154-1 du code du travail et à sa propre grille d’analyse. Elle souligne que «Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral». L’examen retient que les rapports médicaux reproduisent les dires du salarié, et que les attestations versées décrivent un contexte conflictuel nourri par des difficultés techniques et financières, sans cohérence suffisante pour former un faisceau probant.

La juridiction distingue les reproches ou propos désobligeants isolés d’agissements répétés altérant les conditions de travail au sens légal. Elle relève, par ailleurs, que la fermeture d’un établissement pendant l’arrêt ne caractérise pas un harcèlement, dès lors qu’elle répond à des contraintes économiques. Elle ajoute que la restitution du véhicule d’entreprise, durant l’arrêt, se justifie par la nature professionnelle de l’usage réservé: «Il convient de considérer que les “déplacements” visés sont des déplacements professionnels, s’agissant d’un “véhicule d’entreprise”.» La nullité de la rupture est donc écartée.

Sur le terrain de la cause, l’inaptitude, constatée par le médecin du travail avec impossibilité de reclassement, fonde la rupture. La cour note l’absence d’éléments établissant que l’inaptitude procède d’un manquement antérieur de l’employeur à son obligation de sécurité. L’argumentation relative à une surcharge de travail ou à un management déficient demeure insuffisamment étayée, au regard des pièces communiquées et du bref intervalle avant l’arrêt initial.

B. Mesures connexes et procédure: avertissement, véhicule, délai d’entretien

La cour examine l’avertissement du 16 décembre 2021 par le prisme de la prescription disciplinaire. Un premier grief, connu plus de deux mois avant la sanction, est prescrit. Le second, relatif à l’annulation d’une réunion d’expertise, est recevable et non contesté. L’acte disciplinaire ne manifeste pas un harcèlement et n’appelle pas réparation autonome. Sur le véhicule, la cour confirme l’absence de faute de l’employeur, l’usage étant strictement professionnel, comme déjà relevé.

La procédure de licenciement révèle, en revanche, une irrégularité. Le délai minimal de cinq jours ouvrables entre la convocation et l’entretien n’a pas été respecté. La cour énonce, dans une formule de principe, que «Le non-respect de ce délai constitue une irrégularité qui entraîne nécessairement un préjudice au salarié». Elle indemnise ce préjudice par un mois de salaire conformément à l’article L. 1235-2 du code du travail. Enfin, la retenue de 10 000 euros opérée sur l’indemnité de licenciement n’est pas justifiée: qualifiée d’avance sur prime non établie comme remboursable, elle doit être restituée.

II. Valeur et portée de l’arrêt

A. Heures supplémentaires: preuve aménagée et rejet du travail dissimulé

La cour s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle cite l’arrêt du 27 janvier 2021, selon lequel: «En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.» Le salarié produit un tableau hebdomadaire, des messages et une attestation décrivant des amplitudes significatives; l’employeur admet l’absence de contrôle effectif, mais conteste l’ampleur des dépassements.

La méthode retenue conjugue prudence et équité. Des incohérences et répétitions horaires fragilisent le décompte, sans annihiler l’existence de dépassements. La cour tranche en équité et, après analyse globale, fixe un rappel limité, cohérent avec la liberté d’organisation du poste. La phrase résume l’approche calibrée: «S’il a pu effectuer des heures supplémentaires, entre septembre 2019 et décembre 2021, leur nombre ne peut pas être retenu dans les proportions demandées.» Le travail dissimulé est écarté faute d’intention: l’employeur ne contrôlait pas la durée, mais n’a pas délibérément omis la déclaration des heures.

Cette appréciation équilibre l’exigence probatoire aménagée et la nécessaire crédibilité du décompte. Elle confirme que l’admission d’un quantum raisonnable, à défaut de traçabilité fiable, relève du pouvoir souverain d’évaluation.

B. Formation, entretiens et congés payés en arrêt: consolidation et actualisation

L’obligation d’adaptation et de maintien de l’employabilité, au sens de l’article L. 6321-1, n’a pas été satisfaite par une unique action de formation sur plus d’une décennie. La cour en déduit un préjudice certain et modéré, à la mesure des fonctions et des perspectives. Elle sanctionne pareillement l’absence d’entretiens professionnels biennaux et de l’état des lieux sexennal, rappelant la finalité de projection des compétences et l’information due au salarié.

Sur les congés payés acquis pendant la maladie, la cour articule droit processuel et droit substantiel. D’un point de vue procédural, la prétention est recevable en appel, car «Sa demande à ce titre étant accessoire à ses demandes principales, elle est recevable». Au fond, l’application combinée des articles L. 3141-5 et L. 3141-5-1 conduit à reconnaître l’acquisition de deux jours par mois dans la limite annuelle. Le calcul s’opère sur la base du dixième de la rémunération de référence, avec une liquidation proportionnée à la durée d’arrêt.

La solution illustre l’actualisation du droit des congés payés et confirme la lecture conforme aux normes supérieures, tout en ménageant la cohérence des comptes de fin de contrat. La réserve d’opposabilité à l’organisme de garantie des salaires s’inscrit dans le cadre légal de la procédure collective et n’altère pas l’économie du dispositif.

En définitive, l’arrêt maintient une ligne exigeante sur la preuve du harcèlement et la causalité de l’inaptitude, tout en consolidant les droits accessoires du salarié. L’appréciation mesurée des heures supplémentaires, la sanction de l’irrégularité procédurale, et la reconnaissance des congés payés en arrêt marquent une décision d’équilibre, attentive aux textes et à la jurisprudence de référence.

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