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La Cour d’appel de Limoges, par un arrêt du 11 septembre 2025, s’est prononcée sur un litige opposant un promoteur immobilier à une entreprise de gros œuvre dans le cadre de la construction de dix pavillons. La question centrale portait sur la légitimité de la retenue opérée par le maître de l’ouvrage sur le solde du marché de travaux.
Une société de promotion immobilière avait confié à une entreprise de bâtiment la réalisation du gros œuvre pour la construction de dix pavillons, selon un marché de travaux signé le 31 octobre 2017 pour un montant de 526 200 euros TTC. Les pavillons ont été vendus en l’état de futur achèvement et livrés aux acquéreurs au cours de l’été 2019. Des désordres ayant été constatés, notamment des défauts de pente de terrasses et des fissurations dues à l’absence de chaînage, deux expertises judiciaires ont été diligentées sur trois des dix pavillons. L’entreprise de gros œuvre a assigné le promoteur en paiement d’un solde impayé de 42 392,60 euros, tandis que le promoteur opposait une retenue motivée par les désordres imputables à l’entrepreneur.
En première instance, le Tribunal de commerce de Limoges avait condamné le promoteur à régler la somme de 27 907,96 euros. Le promoteur a interjeté appel, sollicitant le rejet de l’intégralité des demandes de l’entrepreneur ou, subsidiairement, la retenue de la garantie de 5 % prévue au marché, voire l’organisation d’une expertise judiciaire sur l’ensemble des pavillons. L’entreprise de gros œuvre a formé appel incident pour obtenir le paiement intégral du solde réclamé.
La question posée à la Cour était de savoir dans quelle mesure le maître de l’ouvrage peut opposer à l’entrepreneur une retenue sur le prix du marché fondée sur des désordres affectant des biens dont il n’est plus propriétaire.
La Cour d’appel de Limoges a partiellement réformé le jugement en condamnant le promoteur à payer à l’entrepreneur la somme de 34 842,60 euros TTC, après déduction des seuls montants correspondant à des travaux non exécutés.
Le litige soulève deux problématiques essentielles : d’une part, les conditions d’exercice du droit à retenue par le maître de l’ouvrage (I), d’autre part, les limites de cette retenue lorsque l’ouvrage a été transmis à des tiers acquéreurs (II).
I. Les conditions d’exercice du droit à retenue du maître de l’ouvrage
La Cour examine successivement l’exigence d’une réception contradictoire des travaux (A), puis le mécanisme de l’opposition motivée dans le cadre de la retenue de garantie (B).
A. L’exigence d’une réception contradictoire des travaux
La réception constitue l’acte par lequel le maître de l’ouvrage accepte les travaux réalisés et à partir duquel courent les garanties légales. La Cour rappelle que « en vertu des dispositions de l’article 1792-6 du code civil, la réception est un acte contradictoire ». Cette qualification emporte des conséquences probatoires déterminantes.
En l’espèce, le promoteur produisait un document intitulé « procès-verbal de réception » daté du 23 avril 2020, comportant diverses réserves imputées à l’entrepreneur. La Cour écarte cette pièce au motif qu’elle « ne peut être considérée comme probante de l’existence d’une réception et de désordres réservés imputables à la société BSA, à défaut d’être signée par cette dernière, ou qu’il soit justifié que celle-ci ait été régulièrement convoquée, et même que cette pièce lui ait été notifiée ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui subordonne l’opposabilité de la réception à l’entrepreneur à sa présence ou à sa convocation régulière. Le caractère unilatéral du document le privait de toute valeur probante quant aux désordres prétendument réservés. La Cour adopte une analyse rigoureuse des conditions formelles de la réception, refusant d’admettre un acte dépourvu des garanties procédurales inhérentes à son caractère contradictoire.
B. Le mécanisme de l’opposition motivée
La loi du 16 juillet 1971 organise un régime spécifique de retenue de garantie dans les marchés de travaux privés. L’article 2 de cette loi prévoit la libération de la caution ou le versement des sommes consignées à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la réception, sauf opposition motivée du maître de l’ouvrage notifiée par lettre recommandée.
La Cour relève que le promoteur « a appelé en extension d’expertise la société BSA et cet appel en cause équivaut à une opposition motivée ». Cette assimilation de l’appel en cause dans le cadre d’une procédure de référé-expertise à une opposition motivée témoigne d’une interprétation souple des conditions formelles posées par la loi.
L’expertise judiciaire permettait d’identifier les désordres imputables à l’entrepreneur et de justifier ainsi le maintien de la retenue au-delà du délai d’un an. La Cour valide cette démarche qui préserve les droits du maître de l’ouvrage tout en garantissant le caractère contradictoire de la constatation des désordres.
II. Les limites de la retenue fondée sur des désordres affectant des biens transmis
La Cour distingue les retenues légitimes correspondant à des travaux non exécutés (A) de celles fondées sur des préjudices dont l’appréciation relève des seuls acquéreurs (B).
A. La légitimité de la retenue pour travaux non exécutés
La Cour admet que le maître de l’ouvrage puisse déduire du prix les sommes correspondant à des prestations contractuellement prévues mais non réalisées. Elle juge ainsi le promoteur « bien fondé à retenir les sommes consécutives à l’absence d’ouvrage, puisqu’elle n’a pas à payer des travaux non exécutés : chaînages absents, joints de dilatation absents ».
Cette solution repose sur le principe d’interdépendance des obligations dans le contrat d’entreprise. L’entrepreneur qui n’exécute pas l’intégralité des prestations convenues ne peut prétendre au paiement correspondant. La Cour procède ainsi à une déduction de 7 550 euros TTC du montant réclamé, correspondant aux travaux de remise en état des chaînages absents et du joint de dilatation manquant.
La distinction entre l’absence d’ouvrage et le défaut d’ouvrage s’avère déterminante. Dans le premier cas, la retenue s’impose mécaniquement ; dans le second, elle suppose l’établissement d’un préjudice réparable.
B. L’exclusion des préjudices relevant des seuls acquéreurs
La Cour refuse que le promoteur impute sur le solde du marché les indemnisations potentiellement dues aux acquéreurs. Elle énonce que celui-ci, « n’étant plus propriétaire des ouvrages, ne pouvait imputer sur la retenue de garantie et le solde du marché les indemnisations éventuellement dues aux acquéreurs des pavillons en raison de manquements prétendus de la société BSA ».
Cette solution délimite avec précision les contours du préjudice indemnisable par voie de compensation. Le promoteur invoquait les retenues opérées par ses propres acquéreurs et les actions judiciaires intentées contre lui. La Cour écarte ces éléments au motif que ces préjudices, « dans leur principe et comme dans leurs conséquences, doivent encore être fixés par le juge chargé de statuer sur les demandes des acquéreurs ».
L’arrêt consacre ainsi une conception stricte du lien de causalité entre le manquement de l’entrepreneur et le préjudice du maître de l’ouvrage. Le transfert de propriété emporte transfert de la qualité à agir pour les désordres affectant l’ouvrage. Le promoteur ne saurait anticiper sur l’issue de litiges pendants pour justifier une retenue sur le prix du marché. Cette solution préserve les droits de l’entrepreneur tout en renvoyant à des instances distinctes l’appréciation définitive des responsabilités encourues.