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La cour d’appel de Limoges, par un arrêt du 3 juillet 2025, s’est prononcée sur la responsabilité de l’employeur dans la survenance de l’inaptitude professionnelle d’une salariée. Cette décision s’inscrit dans le contentieux relatif aux manquements à l’obligation de sécurité et à leurs conséquences sur la validité du licenciement.
Une salariée a été embauchée en qualité d’hôtesse de caisse en 2002 par une société exploitant une enseigne de bricolage. En mars 2019, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, lui reprochant d’avoir détourné de l’argent lors d’un retour marchandises. La salariée a contesté ces accusations et fourni des éléments établissant son innocence. L’employeur a abandonné les poursuites le 9 avril 2019 et présenté ses excuses par courrier affiché dans l’entreprise. Le lendemain, la salariée a été placée en arrêt de travail pour accident du travail, reconnu comme tel par la caisse primaire d’assurance maladie. Le 2 novembre 2021, le médecin du travail l’a déclarée définitivement inapte à son poste, précisant qu’elle pouvait occuper un poste similaire « dans un autre contexte organisationnel ou relationnel ». Après une procédure de recherche de reclassement, l’employeur l’a licenciée pour inaptitude d’origine professionnelle le 23 février 2022.
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Limoges, qui a jugé que l’employeur avait commis une « légèreté blâmable » dans la conduite de la procédure disciplinaire et manqué à son obligation de sécurité. Les premiers juges ont retenu sa responsabilité dans l’inaptitude professionnelle et condamné la société au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour manquement à l’obligation de sécurité. L’employeur a interjeté appel, contestant avoir commis un quelconque manquement. La salariée a formé appel incident sur le quantum des dommages-intérêts alloués.
Il convenait de déterminer si l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité en engageant une procédure disciplinaire fondée sur des accusations non vérifiées et si ce manquement, à l’origine de l’inaptitude, privait le licenciement de cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel a confirmé le jugement entrepris, retenant que l’employeur avait engagé sa responsabilité en diligentant une procédure disciplinaire sur la base de soupçons insuffisamment étayés. L’analyse du lien de causalité entre le manquement et l’inaptitude (I) précède l’examen des conséquences indemnitaires de cette faute (II).
I. La caractérisation du manquement à l’obligation de sécurité
La cour a d’abord qualifié la faute de l’employeur dans la conduite de la procédure disciplinaire (A), avant d’établir le lien entre cette faute et l’inaptitude de la salariée (B).
A. La légèreté blâmable dans l’engagement de la procédure disciplinaire
L’employeur soutenait avoir légitimement engagé la procédure disciplinaire sur la base de la plainte d’une cliente et que l’entretien préalable permettait précisément à la salariée de présenter sa défense. Cette argumentation n’a pas convaincu la cour.
La juridiction d’appel a retenu que l’employeur avait agi avec une « légèreté blâmable » en convoquant la salariée sans avoir préalablement vérifié la matérialité des faits reprochés. L’accusation de détournement de fonds portait une atteinte grave à l’honneur et à la réputation professionnelle de l’intéressée. L’employeur disposait des moyens de contrôler ses propres procédures internes de retour marchandises avant d’engager une procédure disciplinaire aux conséquences potentiellement lourdes.
La cour a souligné que l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur en application de l’article L. 4121-1 du code du travail implique de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des salariés. Cette obligation s’étend à la conduite des procédures disciplinaires, qui ne doivent pas exposer inutilement le salarié à un stress psychologique évitable. L’affichage ultérieur des excuses de l’employeur, loin d’atténuer sa responsabilité, témoignait de la reconnaissance de son erreur.
B. Le lien de causalité entre la faute et l’inaptitude professionnelle
L’avis du médecin du travail revêtait une importance particulière dans l’établissement du lien de causalité. En déclarant la salariée apte à occuper « un poste similaire dans un autre contexte organisationnel ou relationnel », le praticien désignait explicitement l’environnement de travail comme étant à l’origine de l’inaptitude.
La chronologie des événements confortait cette analyse. L’arrêt de travail pour accident du travail avait débuté le lendemain même de la remise du courrier d’abandon des poursuites. La CPAM avait reconnu le caractère professionnel de cet accident. L’absence de toute autre cause susceptible d’expliquer la dégradation de l’état de santé de la salariée établissait le lien direct entre la procédure disciplinaire mal conduite et l’inaptitude constatée plus de deux ans plus tard.
La cour a ainsi confirmé que l’employeur était « responsable de l’inaptitude professionnelle » ayant conduit au licenciement. Cette qualification emportait des conséquences sur la validité même du licenciement prononcé pour inaptitude.
II. Les conséquences indemnitaires du manquement de l’employeur
La responsabilité de l’employeur dans la survenance de l’inaptitude affectait la cause du licenciement (A) et ouvrait droit à une réparation distincte au titre du manquement à l’obligation de sécurité (B).
A. La requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le licenciement pour inaptitude professionnelle suppose que cette inaptitude ne soit pas imputable à un manquement de l’employeur. La jurisprudence de la Cour de cassation retient que lorsque l’inaptitude résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, la cour a confirmé cette requalification. L’employeur ne pouvait se prévaloir d’une cause de licenciement dont il était lui-même à l’origine. Le caractère professionnel de l’inaptitude, reconnu tant par la CPAM que par le médecin du travail, ne suffisait pas à établir la légitimité du licenciement dès lors que l’employeur avait contribué à créer les conditions de cette inaptitude.
La salariée s’est vu allouer une indemnité de quatorze mois de salaire, soit 25 495,96 euros, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette indemnisation se situait dans la fourchette prévue par le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu de son ancienneté de près de vingt ans. Le rappel d’indemnité compensatrice de préavis confirmé à hauteur de 1 945,28 euros complétait cette réparation.
B. L’indemnisation autonome du préjudice moral
Le manquement à l’obligation de sécurité ouvrait droit à une indemnisation distincte de celle du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ces deux chefs de préjudice répondaient à des fondements différents et ne se confondaient pas.
La salariée sollicitait la somme de 20 000 euros à ce titre, contestant le quantum de 10 000 euros retenu par les premiers juges. La cour a maintenu l’évaluation du conseil de prud’hommes. Le préjudice moral résultant de l’accusation infondée de détournement de fonds, du stress engendré par la procédure disciplinaire et de la dégradation consécutive de l’état de santé justifiait cette indemnisation. La durée de l’arrêt de travail, supérieure à deux ans, attestait de la gravité des conséquences psychologiques subies.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant l’autonomie du préjudice résultant du manquement à l’obligation de sécurité par rapport au préjudice né de la rupture du contrat de travail. L’employeur ne saurait échapper à cette double condamnation en invoquant l’abandon de la procédure disciplinaire ou la présentation d’excuses. Ces éléments, s’ils pouvaient témoigner d’une prise de conscience tardive, ne réparaient pas le préjudice déjà causé par l’engagement précipité des poursuites. La portée de cet arrêt réside dans le rappel qu’une procédure disciplinaire, même abandonnée, engage la responsabilité de l’employeur si elle a été conduite avec légèreté et a porté atteinte à la santé du salarié.