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La durée légale du travail et les heures supplémentaires constituent un contentieux récurrent devant les juridictions prud’homales. Le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis, tandis que l’employeur demeure tenu de contrôler le temps de travail. La question du caractère intentionnel du travail dissimulé reste cependant source de difficultés.
La cour d’appel de Limoges, par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, apporte des précisions sur ces différentes problématiques dans le cadre d’un litige opposant un salarié à son employeur.
Un salarié avait été embauché le 5 février 2018 en qualité de second au rayon boucherie charcuterie, agent de maîtrise, au sein d’un commerce exploité sous enseigne de grande distribution. Son contrat prévoyait une durée hebdomadaire de 36 heures 45 minutes et une rémunération mensuelle brute de 2 160 euros. Une clause de délégation de pouvoirs accompagnait ce contrat. Le 18 janvier 2021, il fut licencié pour faute grave.
Le salarié saisit le conseil de prud’hommes le 10 décembre 2021 aux fins d’obtenir un rappel de salaires pour heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et le paiement d’une prime sur objectifs.
Par jugement du 31 mai 2024, le conseil de prud’hommes de Limoges condamna l’employeur au paiement de 3 607,51 euros bruts au titre des heures supplémentaires, 300 euros de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos, 15 932 euros nets au titre de l’indemnité pour travail dissimulé et 885 euros bruts au titre de la prime d’objectifs. L’employeur interjeta appel.
Devant la cour, l’employeur soutenait que le salarié calculait ses heures supplémentaires de manière forfaitaire, que les relevés de géolocalisation produits n’étaient pas probants et que la délégation de pouvoirs conférée au salarié lui imposait de contrôler le temps de travail. Le salarié faisait valoir avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées et sollicitait la confirmation de l’indemnité pour travail dissimulé.
L’employeur peut-il s’exonérer de son obligation de contrôle du temps de travail en invoquant une délégation de pouvoirs consentie au salarié, et le défaut de paiement d’heures supplémentaires caractérise-t-il nécessairement l’intention frauduleuse constitutive du travail dissimulé ?
La cour d’appel de Limoges confirme le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement des heures supplémentaires mais l’infirme sur le travail dissimulé. Elle retient que l’employeur demeure responsable du contrôle des heures de travail malgré la délégation de pouvoirs. Elle juge néanmoins que l’intention frauduleuse n’est pas caractérisée eu égard au « nombre relativement limité d’heures supplémentaires impayées » et au « montant relativement modeste » de la créance.
Cette décision appelle un examen portant sur le maintien de l’obligation de contrôle du temps de travail par l’employeur malgré la délégation de pouvoirs (I), avant d’analyser l’appréciation du caractère intentionnel du travail dissimulé (II).
I. Le maintien de l’obligation de contrôle du temps de travail malgré la délégation de pouvoirs
La cour rappelle la répartition de la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires (A), avant de neutraliser l’effet exonératoire de la délégation de pouvoirs invoquée par l’employeur (B).
A. La répartition de la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires
La cour d’appel de Limoges reprend le mécanisme probatoire issu de l’article L. 3171-4 du code du travail, tel que précisé par la jurisprudence. Elle rappelle qu’« il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
Le salarié produisait des tableaux retraçant jour par jour ses heures de travail, des données de géolocalisation et des attestations de collègues. La cour considère ces éléments « suffisamment précis » pour permettre à l’employeur d’y répondre. Cette appréciation s’inscrit dans la continuité de l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 27 janvier 2021, qui a clarifié le régime probatoire en abandonnant l’exigence d’éléments « étayant » la demande au profit d’éléments « suffisamment précis ».
La cour refuse toutefois d’admettre le calcul forfaitaire opéré par le salarié pour les périodes non documentées. Elle relève que « cette démarche repose sur une déduction hypothétique ». Le salarié ne peut donc extrapoler à partir des données établies pour certaines périodes un volume global d’heures supplémentaires.
B. La neutralisation de l’effet exonératoire de la délégation de pouvoirs
L’employeur invoquait la délégation de pouvoirs consentie au salarié, lui confiant notamment « la gestion des horaires des salariés du rayon boucherie ». Il soutenait que le salarié aurait dû contrôler son propre temps de travail et en référer à l’employeur.
La cour écarte cette argumentation. Elle relève que « le délégant garde la responsabilité de la bonne exécution de la tâche à accomplir par le délégataire ». Cette solution s’appuie sur la propre fiche de fonction du salarié qui mentionnait expressément ce principe. La cour en déduit que « la société restait responsable de l’application de la législation du droit du travail, notamment le contrôle des heures effectivement réalisées par les salariés ».
Cette position traduit une conception stricte de l’obligation de contrôle du temps de travail qui pèse sur l’employeur. La délégation de pouvoirs en matière de gestion du personnel ne saurait transférer au salarié délégataire la responsabilité de contrôler son propre temps de travail. L’employeur demeure le débiteur de cette obligation légale. La cour conclut qu’il « ne peut donc pas faire grief » au salarié de ne pas avoir appliqué les règles relatives au temps de travail.
II. L’appréciation du caractère intentionnel du travail dissimulé
La cour rappelle l’exigence d’une intention frauduleuse pour caractériser le travail dissimulé (A), avant de retenir des critères d’appréciation fondés sur l’importance quantitative des manquements (B).
A. L’exigence d’une intention frauduleuse
L’article L. 8221-5 du code du travail répute travail dissimulé le fait de mentionner sur le bulletin de paie « un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ». L’article L. 8223-1 prévoit une indemnité forfaitaire de six mois de salaire en cas de rupture du contrat.
La cour rappelle que « la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué ». Elle souligne que « le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la simple absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ».
Cette exigence d’intentionnalité constitue une protection pour l’employeur contre une sanction automatique. Le défaut de paiement d’heures supplémentaires ne suffit pas. Il faut établir une volonté délibérée de soustraire ces heures à la rémunération et aux cotisations sociales afférentes. Le premier juge avait retenu que l’employeur « avait volontairement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celles effectivement réalisées ».
B. L’appréciation de l’intention au regard de l’importance des manquements
La cour infirme le jugement sur ce point. Elle considère qu’il s’agit « davantage d’une omission, certes fautive, mais non intentionnelle ». Elle fonde cette appréciation sur deux éléments : le « nombre relativement limité d’heures supplémentaires impayées réalisées, ramenées en moyenne par semaine sur trois années » et le « montant relativement modeste » de la créance, soit 3 607,51 euros bruts sur trois années.
Cette motivation soulève des interrogations. La cour semble introduire un critère quantitatif pour apprécier l’intention frauduleuse. Un faible volume d’heures supplémentaires impayées exclurait l’intention, tandis qu’un volume important la caractériserait. Ce raisonnement apparaît contestable.
L’intention frauduleuse devrait s’apprécier au regard du comportement de l’employeur et non du montant de la créance. Un employeur peut sciemment omettre de payer quelques heures supplémentaires. La faiblesse du montant ne démontre pas l’absence d’intention. Elle pourrait au contraire révéler une pratique délibérée consistant à ne pas comptabiliser systématiquement certaines heures. La cour retient néanmoins que cette faiblesse relative exclut le caractère intentionnel, ce qui constitue une approche pragmatique mais juridiquement fragile.