Cour d’appel de Limoges, le 4 septembre 2025, n°24/00589

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Rendue par la Cour d’appel de Limoges le 4 septembre 2025, la décision commente un contentieux d’inégalités de traitement tenant à l’accès à des actions gratuites dites LTI, à des primes immédiates 2018 et 2019, et à une prime individualisée issue d’une NAO en 2021. Un salarié non cadre, engagé depuis 2000, avait, dans le cadre des réunions représentatives, interrogé l’employeur sur les critères d’attribution des dispositifs. Les procès-verbaux mentionnaient des critères de performance, de positionnement de rémunération et de “rétention”, ainsi que des répartitions très majoritairement favorables aux cadres. Le conseil de prud’hommes avait déclaré irrecevables plusieurs prétentions pour prescription, puis débouté le salarié du surplus. L’appel tendait à la réformation sur la nature et la prescription des LTI, sur l’égalité de traitement et sur la transparence des critères d’attribution. La Cour confirme, jugeant les LTI de 2018 et 2019 prescrites, l’année 2020 recevable mais infondée car réservée aux cadres, la prime 2018 prescrite, la prime 2019 non due faute de preuve d’objectifs atteints, et la prime 2021 régulière au regard de critères transparents et d’une modulation par catégories.

I. Le sens de la solution retenue

A. La qualification des LTI et la prescription biennale d’exécution du contrat

La Cour retient que l’attribution d’actions gratuites “est une forme de participation aux résultats de l’entreprise et à ce titre, la créance de LTI n’est pas une créance de nature salariale”. La solution s’aligne sur la jurisprudence qui rattache ces avantages à l’exécution du contrat et, partant, au délai biennal de l’article L. 1471-1 du code du travail. Le point de départ est fixé au jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d’agir. Les procès-verbaux de 2017 à 2021 établissent, pour la Cour, une connaissance suffisante de l’existence du dispositif, de son calendrier d’attribution et des critères généraux annoncés. La juridiction relève que le salarié constatait chaque mois de juin l’absence d’attribution et pouvait ainsi identifier son préjudice. Les demandes relatives aux attributions 2018 et 2019 sont donc prescrites. Pour 2020, l’action est recevable mais infondée dès lors que “seuls les cadres ont été attributaires de LTI”, ce qui écarte toute vocation du salarié non cadre à en bénéficier.

La Cour précise utilement la place du principe d’égalité de traitement dans ce cadre. Elle énonce que le principe “n’interdit pas de réserver un élément de rémunération à une catégorie définie de personnel”. Elle n’exige pas, en revanche, une information individualisée supplémentaire dès lors que les critères généraux, bien que succincts, furent portés à la connaissance des représentants. Le raisonnement distingue ainsi la nature du droit invoqué, la connaissance effective des éléments pour agir, et la portée de l’égalité de traitement entre catégories professionnelles.

B. Les primes immédiates 2018-2019 et l’exigence de critères préalables et contrôlables

S’agissant des primes immédiates, la Cour retient la nature salariale et applique la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. La demande afférente à 2018 est prescrite, le versement intervenant en mai et le bilan étant présenté en juin. Pour 2019, la Cour constate la dissociation des primes immédiates du dispositif LTI et leur ouverture à des cadres et non cadres. Elle relève cependant les réponses de l’employeur indiquant qu’“il n’existe pas de document permettant de définir les conditions préalables”, l’attribution relevant d’une décision conjointe RH-management au regard d’“éléments factuels” liés aux objectifs et à la performance.

La juridiction mobilise alors une formule classique: “si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables” (Soc., 25 octobre 2007, n° 05-45.710). Tout en pointant un déficit de transparence, la Cour se concentre sur le seul critère objectivable et commun, l’atteinte d’objectifs individuels. Elle constate que le salarié n’apporte pas la preuve d’objectifs atteints en 2019, ses éléments d’évaluation comportant des réserves. Elle en déduit l’absence de droit à la prime pour 2019, sans présumer d’une inégalité de traitement par catégories.

II. La portée et la valeur de la décision

A. La lisibilité des critères et la délicate articulation entre connaissance et prescription

La solution en matière de prescription des LTI privilégie une conception pragmatique de la connaissance des faits, fondée sur les informations synthétiques livrées en instance représentative. Cette approche a une portée opérationnelle: elle incite à contester sans délai, même en cas de critères incomplets. Elle présente toutefois une limite. L’égalité de traitement suppose des critères “préalablement définis et contrôlables” pour rendre possible la vérification contentieuse. Le raisonnement accepté par la Cour tient que la connaissance de l’existence du dispositif et du calendrier suffit à déclencher la prescription, quand bien même les paramètres concrets de sélection demeurent lacunaires. L’option se défend au regard de l’exécution du contrat, mais elle peut restreindre la fenêtre utile d’action dans des cadres de sélection peu publiés.

La décision apporte également un signal net sur la catégorie des bénéficiaires. En validant le ciblage des LTI sur les cadres, elle rappelle qu’une différence catégorielle n’est pas en soi contraire au principe d’égalité de traitement, dès lors qu’elle repose sur une logique de gestion admise et non discriminatoire. Cette orientation consolide la marge d’appréciation de l’employeur dans les politiques d’actions gratuites à visée de rétention, dans la mesure où la finalité et le périmètre sont explicites.

B. Les avantages catégoriels, la preuve des objectifs et la sécurisation des primes de performance

La décision renforce la jurisprudence de 2007 sur la nécessité de règles ex ante et contrôlables pour les avantages individuels. Le rappel express de la formule “préablement définies et contrôlables” sert de pivot. La Cour tempère toutefois l’exigence, en retenant que l’atteinte d’objectifs individuels, connue des salariés via les entretiens, constitue un critère suffisant pour trancher le litige. La charge probatoire repose alors concrètement sur le salarié, qui doit établir l’atteinte effective d’objectifs pertinents sur la période visée. L’absence de pièces probantes emporte rejet, même si l’architecture des critères manquait de précision documentaire.

La prime individualisée 2021 illustre une voie de sécurisation. Issue d’une NAO, elle est fondée sur des critères “d’implication, de niveau de performance et d’engagement” et prend en compte la présence sur site durant la crise sanitaire. La Cour estime ces critères “transparents et vérifiables”, admet une modulation par catégories et rejette la revendication d’un alignement sur le montant moyen des cadres. La portée pratique est claire: une formalisation négociée, une métrique objectivable de contexte (présence, continuité d’activité) et une répartition catégorielle cohérente assurent une bonne robustesse contentieuse. L’ensemble du raisonnement consacre un équilibre entre liberté de gestion, nécessité de critères vérifiables et exigence de preuve individuelle par le demandeur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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