Cour d’appel de Limoges, le 4 septembre 2025, n°24/00590

Par un arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 4 septembre 2025, la chambre sociale statue sur des prétentions relatives à un dispositif d’actions gratuites (LTI), à des primes immédiates et à une prime individualisée. Une salariée, embauchée en 2006 et classée employé, invoque une inégalité de traitement au regard d’attributions réservées, selon l’employeur, à certaines catégories. Des échanges en instances représentatives entre 2017 et 2021 ont porté sur les critères et la répartition des avantages en cause.

Le conseil de prud’hommes de Limoges, le 28 juin 2024, a déclaré irrecevables ou mal fondées la plupart des demandes. En appel, la salariée sollicite des dommages-intérêts pour privation d’accès aux LTI, des rappels de primes pour 2018 et 2019, ainsi qu’un complément sur la prime 2021; l’employeur oppose la prescription biennale pour les LTI, la distinction catégorielle, et l’objectivation des critères.

La question posée concerne la qualification juridique des LTI et leur régime de prescription, puis le contrôle des critères d’attribution des primes au regard de l’égalité de traitement. La cour retient la prescription biennale pour les LTI 2018 et 2019, l’absence de vocation pour 2020, la prescription de la prime 2018, l’octroi d’une prime immédiate 2019 de 600 euros, et le rejet du complément pour 2021, avec adaptation des bulletins.

I. Qualification et prescription des LTI

A. Une participation non salariale soumise au délai biennal

La cour ancre le dispositif LTI dans le droit des sociétés et la logique de participation, en s’appuyant sur une qualification claire. « Il s’agit d’une forme de participation aux résultats de l’entreprise et à ce titre, la créance de LTI n’est pas une créance de nature salariale (Cass soc, 15 nov 2023, 22-12501 ). » Cette nature emporte l’application du régime de prescription propre aux litiges d’exécution du contrat de travail. « Elle est soumise au délai de prescription biennal de l’article 1471-1 du code du travail de même que toute demande indemnitaire en découlant. »

Le raisonnement se complète d’éléments de structure du mécanisme. « L’attribution d’actions gratuites est un droit ouvert en année N qui se réalise en année N+4. » Les organes sociaux déterminent le périmètre d’éligibilité et la latitude des critères. « Les critères de l’attribution sont discrétionnaires au sein des catégories de salariés déterminées par l’assemblée générale. » La solution consacre ainsi un double ancrage, sociétaire et contractuel, commandant une temporalité et un contrôle spécifiques.

B. Point de départ du délai et distinction catégorielle

La cour précise le dies a quo par un critère de connaissance raisonnable des faits, et non par une divulgation exhaustive des critères. « Le délai de prescription court à compter de la date où celui qui exerce l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Les procès-verbaux d’instances rappelaient l’existence du dispositif, ses lignes directrices et, selon les années, sa réserve aux cadres; l’intéressée constatait chaque mois de juin l’absence d’attribution.

L’articulation avec l’égalité de traitement est exposée sans ambiguïté. Le principe n’interdit pas de réserver un avantage à une catégorie objectivement définie, lorsque cette différenciation repose sur des considérations pertinentes et contrôlables. La demande relative à 2020 est jugée recevable mais infondée, le bénéfice ayant été réservé aux cadres; l’appartenance catégorielle emporte ici l’absence de vocation. La cohérence du raisonnement tient à la fois à la qualification, à la connaissance des faits, et à la portée de la distinction professionnelle.

II. Contrôle des primes: transparence, objectivation et égalité

A. Prime immédiate 2019: critères contrôlables et réparation ciblée

La prime immédiate constitue un élément de salaire soumis à prescription triennale; la demande afférente à 2018 est prescrite, celle de 2019 demeure recevable. Le débat se concentre alors sur la contrôlabilité des critères d’attribution. L’entreprise a décrit un processus fondé sur des éléments concrets mais peu formalisés. « Le manager connaît le salarié et dispose d’élément factuel le concernant (atteintes d’objectifs, performances au poste de travail): à la lumière de ces éléments factuels, les managers et les ressources humaines définissent ces primes. »

Le contrôle juridictionnel s’adosse au principe d’égalité en matière d’avantages individuels. « Or, si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables (Soc. 25 octobre 2007, n° 05-45.710). » La cour retient alors le seul critère objectivable commun, l’atteinte des objectifs, corroborée par l’évaluation produite, pour allouer 600 euros. Le caractère exceptionnel de la prime exclut l’assujettissement aux congés payés; le rappel se limite donc au montant principal, calibré selon la classification.

B. Prime individualisée 2021: finalité, critères et marge d’appréciation

La cour valide la finalité et la grille d’appréciation issues de la négociation annuelle, en soulignant la dimension contextuelle de la prime. « Cette prime a eu pour objectif de récompenser les salariés qui avaient pris part de façon notable à la bonne marche de l’entreprise durant les périodes de confinement de l’année 2020, notamment en étant très présents sur les sites de production. » Les critères retenus combinent implication, performance et engagement, avec un ancrage factuel vérifiable. « Ces critères étaient transparents et vérifiables compte tenu des contraintes auxquelles ont été soumis (ou pas) les salariés durant la période considérée, la présence de chacun sur les sites étant notamment un critère objectif. »

La différenciation des montants selon la catégorie professionnelle est admise, dès lors que la règle procède d’une logique collective et de paramètres objectivement appréciables. La cour constate l’absence d’éléments justifiant un montant supérieur à celui versé, appréciation qui illustre la marge raisonnable d’évaluation laissée au management lorsqu’un référentiel minimum existe et que les critères sont identifiables. La décision ordonne enfin l’émission d’un bulletin rectificatif pour 2019 sous astreinte modérée, rejette les demandes au titre de l’article 700, et met les dépens d’appel à la charge principale de la salariée, en cohérence avec l’issue globale du litige.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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