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Par un arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 4 septembre 2025, chambre sociale, un salarié ouvrier conteste l’absence d’attribution d’actions gratuites (LTI) et de primes. Le litige naît de débats récurrents en instance représentative sur les critères d’allocation des LTI, des primes immédiates 2018 et 2019, puis d’une prime individualisée 2021 issue de la négociation annuelle obligatoire. L’employeur indiquait une distribution essentiellement réservée aux cadres, selon des critères mêlant positionnement de rémunération, performance et besoin de rétention, tandis que les représentants exigeaient des critères préalables vérifiables.
Saisi en 2021, le conseil de prud’hommes de Limoges, formation de départage, le 28 juin 2024, a déclaré certaines demandes irrecevables et a débouté le salarié du surplus. En appel, le salarié réclame des dommages-intérêts pour privation des LTI, des rappels de primes 2018 et 2019, et la prime individualisée 2021. L’employeur oppose la prescription des demandes relatives aux LTI et à la prime 2018, puis invoque, au fond, une réserve catégorielle des LTI et des critères objectivés pour les primes.
La question posée tient, d’une part, à la qualification des LTI et au point de départ de la prescription, d’autre part, à la compatibilité des avantages litigieux avec l’égalité de traitement et l’exigence de critères préalables et contrôlables. La Cour d’appel de Limoges confirme le jugement, retient la prescription biennale pour les LTI 2018 et 2019, écarte la demande au titre de 2020 faute d’appartenance à la catégorie bénéficiaire, juge la prime 2018 prescrite, et écarte les demandes 2019 et 2021 au regard de la preuve des performances et de critères jugés objectivés.
I – La qualification et la prescription des LTI
A – L’assimilation aux modalités d’exécution du contrat et le délai biennal
La cour qualifie les LTI au regard de leur finalité et de leur régime collectif. Elle cite que « Il s’agit d’une forme de participation aux résultats de l’entreprise et à ce titre, la créance de LTI n’est pas une créance de nature salariale (Cass soc, 15 nov 2023, 22-12501) ». Ce rappel aligne la motivation sur la jurisprudence récente, qui rattache les attributions gratuites à la sphère de l’exécution contractuelle, non à la rémunération due.
La conséquence procédurale est assumée avec clarté. La cour énonce que « En conséquence, toute action diligentée à ce titre est soumise au délai de prescription biennal de l’article L1471-1 du code du travail ». Elle fixe ensuite le point de départ à la connaissance des faits allégués, conformément à la formule de principe selon laquelle « Le délai de prescription court à compter de la date où celui qui exerce l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Le raisonnement retient l’information disponible en CSE, où la politique LTI et ses temporalités étaient discutées chaque année.
L’option est cohérente avec la Cour de cassation, chambre sociale, 15 novembre 2023, n° 22-12.501, qui écarte la nature salariale et valide l’application de l’article L. 1471-1. Elle se discute toutefois au regard de la densité de l’information, la cour estimant suffisantes des indications générales sur l’existence, les calendriers et l’orientation des critères. Le caractère lacunaire des critères précis n’empêche pas, selon elle, la connaissance du fait générateur au mois de juin de chaque année.
B – La réserve catégorielle des bénéficiaires et l’égalité de traitement
Après avoir déclaré prescrites les années 2018 et 2019, la cour rejette la demande au titre de 2020 car la mesure était réservée aux cadres. Elle rappelle que « Le principe ‘à travail égal salaire égal’ prévu par les dispositions de l’article L2271-1 8° n’interdit pas de réserver un élément de rémunération à une catégorie définie de personnel ». Elle fonde l’analyse sur l’autonomie des catégories et l’objectif de rétention, déjà documentés en réunions.
La solution s’inscrit dans la ligne classique selon laquelle un avantage peut être réservé à une catégorie, si la différence repose sur des raisons objectives et pertinentes au regard de l’avantage. Le critère catégoriel est admis pour des dispositifs de fidélisation liés à des fonctions d’encadrement, notamment lorsque la performance attendue et la mobilité stratégique justifient une sélectivité. La mention ponctuelle d’attributions à des ETAM, relevée en 2018, n’est pas jugée de nature à étendre le cercle des ayants droit aux ouvriers.
La portée de l’arrêt confirme une jurisprudence exigeante sur la preuve d’une situation identique et sur l’objectivation de la différence. L’office du juge demeure de contrôler la cohérence des motifs de réserve avec la nature de l’avantage. Ici, la cour tient l’objectif de rétention et la classification comme motifs suffisants, sans exiger une grille de pondération interne plus détaillée.
II – Le régime des primes immédiates et de la prime 0,6 %
A – L’exigence de critères préalables et contrôlables et la preuve de la performance
Pour 2018, la prescription triennale s’applique aux créances salariales, conformément à l’article L. 3245-1 du code du travail. La cour examine alors la demande 2019. Elle reproduit les réponses de l’employeur, dont « il n’existe pas de document permettant de définir les conditions préalables » et ajoute qu’ »Il n’existe donc pas un document proposant une liste de critères ».
Elle rappelle le standard jurisprudentiel de l’égalité de traitement: « Or, si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables (Soc. 25 octobre 2007, n° 05-45.710) ». Puis, elle constate un socle commun d’objectifs individuels, en relevant que « Aucun des appelants ne conteste toutefois avoir eu des objectifs personnels à atteindre, ces objectifs étant rappelés à chacun lors des entretiens d’évaluation ».
La motivation opère alors un déplacement: malgré l’insuffisante formalisation des critères, l’existence d’objectifs mesurables autorise un contrôle minimal de l’allocation. Le salarié n’apporte pas d’éléments suffisants attestant l’atteinte de ses objectifs en 2019; la demande est rejetée. La solution, pragmatique, privilégie un critère vérifiable commun, mais elle relativise la portée de l’exigence de critères préalables et contrôlables, pourtant posée en principe.
B – La prime individualisée 2021 issue de la NAO et le contrôle d’objectivation
S’agissant de la prime NAO 2021, l’arrêt insiste sur la formalisation conventionnelle des critères et leur objectivation. Il souligne que « Les critères en ont été précisément définis lors d’une négociation annuelle obligatoire (procès-verbal de désaccord du 10 mars 2021): enveloppe de 0,6% de la masse salariale brute à répartir par les managers au regard de la contribution individuelle du salarié, selon des critères d’implication, de niveau de performance et d’engagement ». Le contrôle des juges porte sur la vérifiabilité des situations au regard de la période de crise sanitaire.
La cour retient que « Ces critères étaient transparents et vérifiables compte tenu des contraintes auxquelles ont été soumis (ou pas) les salariés durant la période considérée, la présence de chacun sur les sites étant notamment un critère objectif ». L’absence d’éléments factuels produits par le salarié pour établir sa contribution particulière justifie le rejet. La démarche confirme l’exigence probatoire pesant d’abord sur le demandeur, invitant ensuite l’employeur à justifier l’allocation selon des critères prédéfinis.
La portée de la décision sécurise les primes négociées lorsque la grille de répartition est annoncée et rattachée à des indicateurs simples, comme la présence effective ou des contributions identifiables. Elle entérine un contrôle raisonnable de la marge managériale, à condition que les critères soient suffisamment lisibles et que la preuve de leur application soit opposable aux salariés comparables. L’équilibre est ici assumé au bénéfice d’une politique d’entreprise stabilisée par la négociation.