- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La participation des salariés aux résultats de l’entreprise revêt des formes multiples qui soulèvent régulièrement la question des critères d’attribution et du respect du principe d’égalité de traitement. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Limoges le 4 septembre 2025 illustre ces difficultés à travers le contentieux opposant un salarié à son employeur au sujet de dispositifs d’intéressement variés.
Un salarié avait été embauché en qualité de régleur opérateur selon un contrat à durée indéterminée en date du 24 décembre 1997, à compter du 5 janvier 1998, au sein d’une société exerçant une activité de métallurgie industrielle. Il appartenait à la classification ouvrier niveau III de la convention collective de la métallurgie. Estimant avoir subi une inégalité de traitement dans l’attribution d’actions gratuites relatives au dispositif Long Term Incentive, de primes immédiates pour les années 2018 et 2019, ainsi que d’une prime individualisée versée en 2021, il a saisi le conseil de prud’hommes par requête du 8 février 2022.
Le conseil de prud’hommes de Limoges, statuant en formation de départage le 28 juin 2024, a déclaré irrecevables les demandes relatives aux actions gratuites pour les années 2018 et 2019 ainsi que celles relatives à la prime immédiate 2018. Il a débouté le salarié de ses demandes au titre de la prime immédiate 2019 et de la prime individualisée 2021. Le salarié a interjeté appel de cette décision le 2 août 2024.
La question posée à la Cour d’appel de Limoges était de déterminer si le salarié pouvait se prévaloir d’une inégalité de traitement pour réclamer le bénéfice d’avantages réservés par l’employeur à certaines catégories de personnel selon des critères dont la transparence et l’objectivité étaient contestées.
La cour confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle retient la prescription biennale des demandes relatives aux actions gratuites, rejette au fond la demande concernant l’année 2020, déclare prescrite la demande relative à la prime immédiate 2018 et déboute le salarié de ses prétentions au titre des primes 2019 et 2021 après avoir vérifié l’application des critères d’attribution.
Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle précise le régime juridique applicable aux actions gratuites attribuées aux salariés (I) et rappelle les conditions dans lesquelles l’employeur peut différencier les avantages accordés selon les catégories professionnelles (II).
I. La qualification juridique des actions gratuites et ses conséquences sur la prescription
La cour opère une qualification déterminante des actions gratuites qui emporte des conséquences directes sur le délai de prescription applicable (A), tout en définissant strictement le point de départ de ce délai (B).
A. L’exclusion de la nature salariale des actions gratuites
La cour affirme avec netteté que « la créance de LTI n’est pas une créance de nature salariale », en se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2023. Elle qualifie ce dispositif de « forme de participation aux résultats de l’entreprise » relevant de l’exécution du contrat de travail. Cette qualification emporte application du délai biennal de l’article L. 1471-1 du code du travail, et non du délai triennal applicable aux créances salariales.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence qui distingue les éléments de rémunération proprement dits des avantages liés à la qualité d’actionnaire. Les actions gratuites constituent un mécanisme d’association du salarié au capital de l’entreprise, régi par l’article L. 225-197-1 du code de commerce. Leur attribution dépend d’une décision de l’assemblée générale et non d’une obligation contractuelle de l’employeur. Le salarié appelant soutenait que ces actions constituaient un avantage de nature salariale soumis à la prescription triennale. La cour écarte cette analyse en relevant que leur attribution est fonction de la performance du salarié et relève donc de l’exécution du contrat de travail.
B. La détermination du point de départ de la prescription
Le salarié contestait avoir eu connaissance des critères d’attribution lui permettant de savoir s’il pouvait prétendre au bénéfice des actions. La cour rejette cet argument en constatant que « les salariés dans leur ensemble ont toujours eu connaissance de l’existence de la politique de LTI menée par la société ». Elle relève que les procès-verbaux des réunions du comité social et économique mentionnaient les critères d’attribution, à savoir « le positionnement de la rémunération de la personne par rapport au marché externe mais aussi interne, la performance du salarié, le besoin de rétention du salarié en raison notamment de son expertise et de son potentiel ».
La cour en déduit qu’à chaque mois de juin, le salarié a pu vérifier qu’il ne lui était pas attribué d’actions et qu’il a eu connaissance du préjudice en résultant. Pour l’année 2020, elle déclare l’action recevable mais la rejette au fond, car « il résulte très clairement du procès-verbal du CSE du 27 novembre 2020 que seuls les cadres ont été attributaires de LTI ».
II. L’encadrement du pouvoir de différenciation de l’employeur en matière d’avantages
La cour examine les conditions dans lesquelles l’employeur peut réserver certains avantages à des catégories déterminées de personnel (A), puis applique ces principes aux primes litigieuses en vérifiant le caractère objectif et contrôlable des critères retenus (B).
A. La licéité de la différenciation entre catégories professionnelles
La cour rappelle que « le principe ‘à travail égal salaire égal’ prévu par L 2271-1 8° du code du travail n’interdit pas de réserver un élément de rémunération à une catégorie définie de personnel ». Elle valide ainsi la possibilité pour l’employeur de limiter l’attribution des actions gratuites aux seuls cadres, dès lors que cette restriction repose sur des critères objectifs. Le salarié faisait valoir que certains employés, techniciens et agents de maîtrise avaient bénéficié du dispositif, ce qui démontrait selon lui l’absence de limitation aux cadres. La cour écarte cet argument en relevant que l’intéressé avait une qualification d’ouvrier niveau III et non d’employé, technicien ou agent de maîtrise.
Cette solution confirme que l’employeur dispose d’une marge d’appréciation pour définir les bénéficiaires d’avantages particuliers, sous réserve que les règles d’attribution soient préalablement définies et contrôlables. La cour cite à cet égard la jurisprudence selon laquelle « si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables ».
B. Le contrôle des critères d’attribution des primes
La cour adopte une démarche distincte selon les primes examinées. Pour la prime immédiate 2019, elle relève que les réponses de l’employeur aux interrogations des salariés « laissent entendre que le respect des objectifs et la réalisation de performances seraient des conditions nécessaires mais insuffisantes à ce que le management décide ou pas de l’attribution de la prime ». Elle reconnaît que « les critères d’attribution manquent de transparence ». Toutefois, elle retient que le critère de performance individuelle demeure contrôlable et l’applique au cas d’espèce. Elle constate que le compte rendu d’entretien professionnel du salarié mentionne une « légère baisse de motivation » et des « difficultés pour véhiculer un message positif auprès de ses collègues ». Elle en déduit qu’il « ne remplit pas les critères devant conduire à lui octroyer le bénéfice de la prime ».
Pour la prime individualisée 2021, la cour relève que « les critères en ont été précisément définis lors d’une négociation annuelle obligatoire » selon des critères « d’implication, de niveau de performance et d’engagement ». Elle précise que « ces critères étaient transparents et vérifiables compte tenu des contraintes auxquelles ont été soumis (ou pas) les salariés durant la période considérée, la présence de chacun sur les sites étant notamment un critère objectif ». Elle rejette la demande du salarié en constatant qu’il a perçu 200 euros, soit un montant proche de la moyenne versée aux ouvriers, et qu’il « ne démontre ni même n’allègue aucun élément factuel qui permettrait de modifier l’appréciation portée par l’employeur ».