Cour d’appel de Lyon, le 1 juillet 2025, n°22/01565

L’obligation de résultat pesant sur le garagiste réparateur irrigue l’ensemble du droit des contrats de services techniques. Elle constitue une garantie essentielle pour le client profane face à un prestataire détenteur d’un savoir-faire spécialisé. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 1er juillet 2025, vient rappeler l’étendue de cette obligation et ses conséquences sur la rémunération du réparateur défaillant.

En l’espèce, un propriétaire d’une pelle mécanique a été victime d’un accident de la circulation le 25 janvier 2016. Les travaux de réparation ont été confiés à une société spécialisée, laquelle a émis trois factures pour un montant total de 31 539,62 euros. Le client a réglé 21 470,44 euros, laissant un solde de 10 069,18 euros impayé. La société réparatrice a mis en demeure son client le 18 février 2017 puis obtenu une ordonnance d’injonction de payer le 15 janvier 2018. Le client a formé opposition et sollicité une expertise judiciaire. L’expert a déposé son rapport le 2 mai 2020, constatant un dysfonctionnement de la rotation de la tourelle trouvant son origine dans l’inversion de deux tuyaux de pilotage lors des travaux de réparation. Le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône, par jugement du 24 janvier 2022, a condamné le client à payer l’intégralité du solde réclamé et l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts. Le client a interjeté appel, contestant devoir la totalité de la somme et réclamant l’indemnisation de ses préjudices.

Le client soutenait que la société réparatrice avait manqué à son obligation de résultat en inversant les flexibles hydrauliques lors du remontage du moteur. Il demandait la déduction de 8 000 euros correspondant au forfait de remise en état du moteur mal exécuté, ainsi que des dommages-intérêts pour l’immobilisation prolongée de son engin. La société réparatrice contestait toute intervention sur les flexibles litigieux et invoquait l’intervention ultérieure de tiers sur la machine.

La question posée à la Cour d’appel de Lyon était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la société réparatrice avait manqué à son obligation de résultat et, dans l’affirmative, quelles conséquences en tirer sur le montant de sa créance. Il convenait ensuite d’apprécier si le client démontrait un préjudice indemnisable résultant de cette faute.

La Cour d’appel de Lyon infirme partiellement le jugement. Elle retient que « le garagiste réparateur qui intervient sur un véhicule est contractuellement tenu d’une obligation de résultat envers son client, ce qui emporte présomption de faute et présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué ». Constatant que « l’interversion s’est produite lors des travaux réalisés » et que la société « est la seule à être intervenue sur la pelle et sur son moteur entre l’accident et l’apparition du dysfonctionnement », elle juge qu’elle « a commis une faute dans l’exécution de son obligation en n’exécutant pas correctement les travaux qui lui ont été confiés ». La Cour en déduit que la remise en état du moteur « ayant été défectueuse, il convient de la laisser à la charge de la société ». Elle confirme néanmoins le rejet des demandes de dommages-intérêts « à défaut pour lui de démontrer l’existence d’un préjudice financier en lien avec la faute commise ».

L’intérêt de cet arrêt réside dans l’articulation qu’il opère entre l’obligation de résultat du réparateur et les conséquences pratiques de son inexécution sur le droit au paiement. La Cour rappelle la double présomption attachée à cette obligation, tout en encadrant strictement la réparation du préjudice allégué.

Il convient d’examiner successivement le régime de l’obligation de résultat du garagiste réparateur et ses effets sur la créance de prix (I), puis les conditions restrictives de l’indemnisation du préjudice consécutif à la mauvaise exécution (II).

I. L’obligation de résultat du garagiste réparateur, fondement de la réduction du prix

La Cour consacre le principe de l’obligation de résultat avec ses doubles présomptions (A), avant d’en tirer les conséquences sur le droit au paiement du réparateur défaillant (B).

A. La consécration jurisprudentielle de la double présomption

La Cour d’appel de Lyon énonce que « le garagiste réparateur qui intervient sur un véhicule est contractuellement tenu d’une obligation de résultat envers son client, ce qui emporte présomption de faute et présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué ». Cette formulation reprend fidèlement la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière.

Cette qualification d’obligation de résultat se justifie par la nature même de la prestation. Le client confie son véhicule à un professionnel disposant d’une compétence technique qu’il ne possède pas. Il attend légitimement que la réparation soit effectuée correctement. Le résultat promis est précisément la remise en état de la chose. La Cour de cassation a depuis longtemps consacré cette analyse, considérant que le garagiste s’engage sur un résultat déterminé et non sur la seule mise en œuvre de moyens.

La double présomption qui en découle facilite considérablement la situation probatoire du client. Ce dernier n’a pas à prouver la faute du réparateur ni le lien de causalité entre l’intervention et le dommage. Il lui suffit de démontrer que le résultat attendu n’a pas été atteint. Le professionnel ne peut s’exonérer qu’en prouvant une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.

En l’espèce, la Cour relève que la société réparatrice « est la seule à être intervenue sur la pelle et sur son moteur entre l’accident et l’apparition du dysfonctionnement ». Elle écarte l’argument tiré de l’intervention ultérieure d’un tiers, l’expert ayant constaté que « le fonctionnement anormal de la tourelle a été signalé dès le 27 juillet 2016 », soit avant cette intervention. La chronologie des faits suffit à établir l’imputabilité du désordre au réparateur initial.

B. L’imputation au réparateur du coût de la prestation défectueuse

La Cour tire les conséquences de la faute établie sur le montant de la créance de prix. Elle relève que « la remise en état du moteur a été facturée 7.500 euros HT, soit 8.000 euros TTC » et juge que « celle-ci ayant été défectueuse, il convient de la laisser à la charge de la société ». Le solde dû est ainsi ramené de 10 069,18 euros à 2 069,18 euros.

Cette solution procède d’une logique contractuelle élémentaire. Le prix est la contrepartie de l’exécution correcte de la prestation. Lorsque cette prestation n’a pas été correctement exécutée, le créancier ne peut prétendre au paiement intégral. L’exception d’inexécution permet au client de refuser de payer la partie du prix correspondant à la prestation défaillante. La réduction du prix sanctionne l’inexécution partielle du contrat.

La Cour procède ici à une ventilation de la facture. Elle identifie la prestation défectueuse, à savoir la remise en état du moteur, et la distingue des autres prestations correctement exécutées. Le client reste tenu de payer ces dernières. Cette approche analytique respecte l’économie du contrat tout en sanctionnant la seule partie défaillante.

Cette solution est conforme à l’article 1217 du code civil qui prévoit la possibilité d’une réduction proportionnelle du prix en cas d’exécution imparfaite. Elle s’inscrit également dans la jurisprudence traditionnelle qui refuse au prestataire défaillant le droit de percevoir la rémunération d’un travail mal fait. Le réparateur qui n’atteint pas le résultat promis perd son droit au prix de la prestation défectueuse.

II. L’exigence rigoureuse de preuve du préjudice consécutif

Le client débouté de ses demandes de dommages-intérêts se heurte aux exigences probatoires du droit de la responsabilité (A), ce qui révèle les limites de la protection offerte par l’obligation de résultat (B).

A. L’insuffisance des justificatifs produits

La Cour confirme le rejet des demandes de dommages-intérêts « à défaut pour lui de démontrer l’existence d’un préjudice financier en lien avec la faute commise ». Le client réclamait le remboursement des mensualités d’emprunt payées pendant l’immobilisation de la pelle, le coût de l’assurance, des frais de location d’engins de remplacement et une facture de 451,20 euros.

Cette dernière demande est écartée au motif que le client « ne fournit à l’appui de sa demande qu’un devis et non une facture acquittée ». L’exigence est classique en matière de préjudice matériel. La victime doit prouver non seulement l’existence du dommage mais également son quantum. Un devis ne démontre pas que la dépense a été effectivement engagée. Seule une facture acquittée établit le décaissement.

Concernant les autres postes de préjudice, la Cour adopte la motivation du tribunal par référence. Les mensualités d’emprunt restaient dues indépendamment de l’utilisation effective du bien financé. L’assurance devait être maintenue sur un engin dont le client restait propriétaire. Quant aux locations d’engins de remplacement, le lien avec l’immobilisation de la pelle n’était pas établi.

Ces exigences probatoires traduisent le principe de la réparation intégrale du préjudice. La victime doit être indemnisée de tout son préjudice mais rien que de son préjudice. Elle ne peut obtenir réparation de dépenses qu’elle aurait de toute façon supportées ou qui ne présentent pas de lien certain avec la faute commise.

B. La portée limitée de l’obligation de résultat en matière d’indemnisation

L’arrêt révèle un paradoxe apparent. L’obligation de résultat facilite la preuve de la faute et du lien de causalité pour établir la responsabilité du débiteur. En revanche, elle ne dispense pas la victime de prouver l’existence et l’étendue de son préjudice selon les règles du droit commun.

La double présomption attachée à l’obligation de résultat joue uniquement sur le terrain de la responsabilité. Une fois la faute présumée et le lien de causalité établi entre l’intervention et le dysfonctionnement, il appartient encore au demandeur de démontrer les conséquences dommageables de cette faute. Le préjudice ne se présume pas. Il doit être prouvé dans son principe et dans son montant.

Cette exigence probatoire explique le résultat contrasté de l’arrêt. Le client obtient une réduction du prix car la preuve de l’inexécution suffit à priver le créancier de sa rémunération. Il est débouté de ses demandes de dommages-intérêts car il ne prouve pas de préjudice distinct et certain. La faute contractuelle ne génère pas automatiquement un droit à indemnisation au-delà de la réduction du prix.

L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 1er juillet 2025 offre une illustration pédagogique du régime de l’obligation de résultat du garagiste réparateur. Il confirme la sévérité du régime probatoire imposé au professionnel défaillant tout en rappelant que la victime reste soumise aux exigences du droit commun pour obtenir réparation de son préjudice. La décision contribue à l’équilibre entre protection du client et exigence de rigueur probatoire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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