Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°21/00585

Par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 10 septembre 2025, la chambre sociale A statue sur l’appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 8 janvier 2021. Un salarié, agent de sécurité incendie SSIAP 2 à temps partiel, avait connu un accident du travail suivi d’arrêts prolongés. Une visite de pré‑reprise a eu lieu fin avril 2019, puis une visite de reprise le 9 mai 2019 avec la mention « à revoir au plus tard le 9 août 2019 ». À la même période, l’employeur a adressé des plannings comportant une nouvelle affectation et un passage partiel en horaires de nuit. Le salarié s’est porté candidat aux élections du CSE mi‑mai 2019. Il a pris acte de la rupture le 11 septembre 2019 en invoquant plusieurs manquements. Les juges prud’homaux ont retenu les effets d’un licenciement nul et alloué diverses sommes. L’employeur a relevé appel en sollicitant la requalification en démission, tandis que le salarié demandait confirmation et une hausse de l’indemnisation.

La question posée consistait à déterminer si la modification de l’affectation et des horaires d’un candidat protégé, combinée à un défaut de suivi médical prescrit, caractérisait une discrimination syndicale et une violation du statut protecteur, justifiant que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul. La cour répond positivement, après avoir rappelé que « aucune modification de son contrat de travail ou qu’aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé ; qu’en cas de refus par celui‑ci de ce changement, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’autorité administrative d’une demande d’autorisation de licenciement. Il appartient à l’employeur de maintenir tous les éléments de rémunération antérieurement perçus par le salarié aussi longtemps que l’inspecteur du travail n’a pas autorisé son licenciement ». Elle juge en outre que « en conséquence, la discrimination syndicale est caractérisée » et que « il convient de considérer justifiée la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, et de dire qu’elle produit les effets d’un licenciement nul au regard de la violation du statut protecteur ». Les demandes indemnitaires sont ajustées, le rappel de salaire et l’indemnité pour violation du statut protecteur étant revus, et les dommages et intérêts pour nullité fixés à un montant supérieur au minimum légal.

I. Le sens de la décision: discrimination et protection du mandat

A. Le faisceau d’indices et le régime probatoire retenus
La cour applique la méthode en deux temps propre aux discriminations. Elle vérifie d’abord la matérialité des faits avancés. Elle retient la mutation sur d’autres sites peu après la candidature, l’absence de second rendez‑vous médical avant le 9 août 2019 malgré la préconisation, ainsi qu’une convocation disciplinaire en juin 2019. La mention « ADS » sur un planning de mai est neutralisée, une explication logicielle crédible et des bulletins concordants la démentant.

Appréciés dans leur ensemble, ces éléments suffisent à faire naître une présomption. La cour énonce que « dès lors, ces faits, pris dans leur ensemble, qui matérialisent une modification des conditions de travail du salarié protégé, laissent présumer d’une discrimination liée à l’appartenance syndicale du salarié ». La charge se déplace alors. L’employeur n’établit ni la perte effective du marché justifiant la mutation, ni l’inutilité du rendez‑vous médical demandé. La convocation disciplinaire, motivée par le refus d’exécuter un planning modifié sans accord, ne repose pas sur des motifs objectifs. La conclusion s’impose, « en conséquence, la discrimination syndicale est caractérisée ».

B. La portée du statut protecteur et l’obligation de sécurité
L’arrêt articule clairement protection représentative et sécurité au travail. Sur le premier point, la règle est rappelée in extenso. « Aucune modification de son contrat de travail ou qu’aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé… ». Le passage partiel en horaires de nuit et le changement d’affectation exigent donc un accord exprès, à défaut d’une autorisation administrative dans le cadre d’un licenciement. L’employeur ne peut soutenir de simples « propositions » en présence, d’une part, d’injonctions d’exécuter et, d’autre part, d’initiatives disciplinaires en cas de refus.

Sur le second point, l’obligation de sécurité est nourrie par la médecine du travail. La visite de reprise du 9 mai 2019 est reconnue valable, mais la recommandation « à revoir au plus tard le 9 août 2019 » n’a pas été suivie d’effet. Le raisonnement est pragmatique. Le libellé du compte rendu ne conditionne pas la nouvelle convocation à la reprise effective des postes. L’employeur devait s’en assurer auprès du service de santé. L’arrêt rattache ce manquement à la prévention des risques, dont la portée opérationnelle engage la responsabilité.

II. Valeur et portée: prise d’acte, nullité et indemnisation

A. La qualification de la prise d’acte et le contrôle exercé
La cour isole les griefs idoines. Les irrégularités anciennes, comme l’absence de visite de reprise fin 2017, ne suffisent plus à entraver la poursuite du contrat. En revanche, la violation du statut protecteur et l’absence du second rendez‑vous médical en 2019 sont jugées graves et concomitantes. Le syllogisme est sobre. « En conséquence, il convient de considérer justifiée la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, et de dire qu’elle produit les effets d’un licenciement nul au regard de la violation du statut protecteur ». L’articulation avec la réparation spécifique est assumée, la cour relevant encore que « il a été jugé que lorsque la prise d’acte est justifiée et qu’elle produit les effets d’un licenciement nul, elle ouvre droit au titre de la violation du statut protecteur… à une indemnité forfaitaire égale aux salaires que le salarié aurait dû percevoir jusqu’à la fin de la protection en cours ».

Sur l’exécution fautive, la cour prévient tout cumul. L’énoncé de principe est net et didactique. « Or, si le préjudice doit être intégralement réparé, nul ne peut prétendre à une double indemnisation du même préjudice ». Le refus d’une indemnisation autonome au titre de la bonne foi n’affaiblit pas l’ensemble; il évite une superposition de postes couvrant des atteintes déjà réparées par les chefs discriminatoires et protecteurs.

B. La méthode indemnitaire et les enseignements pratiques
Le rappel de salaire est accordé car l’inexécution découle des manquements de l’employeur, non d’une abstention fautive du salarié. Le calcul s’ancre dans la rémunération contractuelle, incluant la prime d’ancienneté, et couvre la période de référence arrêtée. L’indemnité pour violation du statut protecteur est strictement proportionnelle au reliquat de protection, confirmant une lecture fidèle de la jurisprudence sociale.

L’indemnité compensatrice de préavis est alignée sur la durée légale plus favorable, neutralisant une stipulation conventionnelle moins avantageuse. L’indemnité de licenciement est liquidée selon les textes, sans surcote. Pour la nullité, la cour rappelle l’inapplicabilité du barème en cas de discrimination et retient un quantum supérieur au plancher de six mois, en l’absence d’éléments probants sur une situation financière aggravée. Cette modération, adossée au profil et au secteur, s’inscrit dans une tendance mesurée des juridictions du fond.

Au total, l’arrêt renforce trois messages opérationnels. D’abord, toute modification, même partielle, des conditions de travail d’un protégé appelle un accord exprès, sous peine de voir la rupture ultérieure frappée de nullité. Ensuite, la traçabilité des motifs objectifs justifiant une réaffectation doit être étayée, pièces à l’appui, et non alléguée. Enfin, le suivi des prescriptions de la médecine du travail ne souffre pas d’hypothèses; l’employeur doit lever les incertitudes. Par cette rigueur, la Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, éclaire le maniement conjoint de la protection représentative et du contentieux de la prise d’acte, sans excès ni faiblesse.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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