Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°22/05115

Par un arrêt rendu le 10 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour d’appel de Lyon a infirmé partiellement un jugement du juge départiteur du conseil de prud’hommes du 16 juin 2022 et jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave notifié à un salarié employé en qualité de serveur à temps partiel.

Un salarié avait été engagé le 26 octobre 2017 par contrat à durée indéterminée à temps partiel, à raison de 65 heures mensuelles, en qualité de serveur au sein d’un établissement de restauration. Par lettre du 16 mai 2018, l’employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave, lui reprochant d’avoir tenu des propos déplacés et commis des violences avec arme blanche à l’encontre de son supérieur hiérarchique le 5 avril 2018. Le salarié a été préalablement mis à pied à titre conservatoire à compter du 14 avril 2018.

Contestant son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de diverses demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, notamment au titre du manquement à l’obligation de sécurité, des heures complémentaires impayées, de l’exécution déloyale du contrat et du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le juge départiteur l’a débouté de l’ensemble de ses prétentions par jugement du 16 juin 2022, retenant que le licenciement reposait sur une faute grave.

Devant la cour d’appel, le salarié soutenait que l’employeur ne rapportait pas la preuve des griefs invoqués, que les témoignages produits étaient insuffisants à établir la réalité des faits, qu’aucune plainte pénale n’avait été justifiée et surtout que l’employeur l’avait convoqué le 9 avril 2018 à un entretien en vue d’une rupture conventionnelle sans mentionner l’altercation prétendument survenue quatre jours plus tôt. L’employeur, bien que constitué, n’a pas conclu en appel et était réputé s’approprier les motifs du jugement de première instance.

La question posée à la Cour d’appel de Lyon était de déterminer si l’employeur rapportait la preuve de la faute grave justifiant le licenciement d’un salarié lorsque les attestations produites n’identifient pas précisément le protagoniste de l’altercation, ne mentionnent pas les violences physiques invoquées dans la lettre de licenciement, et que l’employeur a proposé une rupture conventionnelle postérieurement aux faits reprochés sans y faire référence.

La cour a répondu par la négative et jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a relevé que les témoignages produits n’identifiaient pas le protagoniste de l’altercation par son nom ou sa qualité de salarié, qu’ils ne mentionnaient aucune violence physique ni usage d’arme blanche contrairement aux termes de la lettre de licenciement, qu’aucune plainte n’avait été justifiée et que la proposition de rupture conventionnelle quatre jours après les faits, sans mention de l’altercation, rendait peu vraisemblable la réalité de l’événement. La cour a également condamné l’employeur pour exécution déloyale du contrat de travail en raison de l’utilisation d’un système de vidéosurveillance sans information préalable du salarié et du comportement déplacé du supérieur hiérarchique.

Cet arrêt mérite attention en ce qu’il illustre les exigences probatoires pesant sur l’employeur en matière de licenciement pour faute grave (I) et consacre une appréciation rigoureuse de la cohérence du comportement de l’employeur dans la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire (II).

I. Les exigences probatoires du licenciement pour faute grave

L’arrêt commenté rappelle les principes gouvernant la charge de la preuve en matière de licenciement pour faute grave (A) avant d’en tirer les conséquences quant à l’insuffisance des éléments produits par l’employeur (B).

A. Le rappel des principes applicables à la preuve de la faute grave

La cour rappelle, au visa des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail, que « tout licenciement pour motif personnel est motivé » et qu’« il appartient [au juge] d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur ». Elle précise que « si un doute subsiste, il profite au salarié ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose à l’employeur invoquant une faute grave de rapporter la preuve des faits reprochés au salarié. La faute grave, définie comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, exige une particulière rigueur probatoire en raison de ses conséquences : privation de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et de la rémunération pendant la période de mise à pied conservatoire.

La cour se conforme ainsi à la règle selon laquelle la charge de la preuve de la faute grave incombe exclusivement à l’employeur, le salarié n’ayant pas à démontrer son innocence. Cette exigence se trouve renforcée par le principe selon lequel le doute profite au salarié, principe d’interprétation favorable consacré par le législateur.

B. L’insuffisance des attestations produites par l’employeur

La cour procède à une analyse minutieuse des deux témoignages produits par l’employeur pour constater leur insuffisance à établir la réalité des griefs. Elle relève que « le protagoniste de M. [K] au cours de l’altercation n’est pas identifié, ni par son nom, ni même par sa fonction (salarié) » et qu’« il ne peut être exclu que le protagoniste de M. [K] soit un tiers, et notamment un client ».

Cette observation révèle une carence fondamentale dans l’administration de la preuve. Les attestations évoquent un individu désigné par la seule lettre « X » sans préciser les raisons de cette désignation ni établir de lien avec la qualité de salarié de l’intéressé. La cour souligne qu’« aucun élément de ces courriers ne renvoie à la qualité de salarié de l’intéressé » et qu’« aucune précision n’est apportée pour savoir si les clientes connaissaient elles-mêmes ledit protagoniste, ou si c’est M. [K] qui leur a donné son nom ».

La cour relève également une discordance majeure entre les faits invoqués dans la lettre de licenciement et ceux relatés dans les attestations. Alors que la lettre de licenciement mentionne des « violences avec arme blanche », les témoignages ne font état que d’une « altercation principalement verbale ». Cette contradiction substantielle affecte la crédibilité même des griefs invoqués et justifie que la cour écarte la qualification de faute grave.

II. L’appréciation de la cohérence du comportement de l’employeur

La cour ne se limite pas à l’examen des preuves produites mais apprécie la cohérence globale du comportement de l’employeur, tant dans la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire (A) que dans l’exécution du contrat de travail (B).

A. L’incohérence procédurale révélatrice du défaut de cause réelle et sérieuse

La cour relève une incohérence déterminante dans le déroulement de la procédure suivie par l’employeur. Elle observe qu’« il apparaît en effet peu vraisemblable qu’en présence d’un tel événement qui rend impossible la poursuite du contrat de travail, l’employeur n’ait pas immédiatement initié une procédure de mise à pied conservatoire, mais ait proposé à l’intéressé une rupture conventionnelle quatre jours plus tard sans faire mention de ladite altercation ».

Cette analyse chronologique constitue un élément essentiel du raisonnement de la cour. L’employeur prétendait qu’une altercation grave s’était produite le 5 avril 2018. Pourtant, le 9 avril suivant, il a convoqué le salarié à un entretien en vue d’une rupture conventionnelle sans évoquer cet incident. Ce n’est que le 14 avril, soit neuf jours après les faits prétendus, qu’une mise à pied conservatoire a été notifiée.

Ce décalage temporel et cette proposition de rupture amiable sans mention de l’altercation alléguée constituent des indices sérieux remettant en cause la réalité même des faits invoqués. La cour en tire la conséquence que « l’existence même d’une altercation entre M. [K] et M. [G] sur le lieu de travail, en présence de clients, est remise en question ». L’absence de plainte pénale, alors que la lettre de licenciement affirmait qu’une plainte avait été déposée, renforce cette analyse.

B. Les manquements de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail

La cour sanctionne également l’employeur pour exécution déloyale du contrat de travail sur deux fondements distincts. Elle retient d’abord que l’employeur a utilisé un système de vidéosurveillance sans en informer préalablement le salarié, en violation de l’article L. 1222-4 du code du travail qui dispose qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».

La cour note que l’employeur n’a pas contesté l’existence de ce dispositif mais uniquement son caractère fautif. Elle en déduit qu’« il revient à l’employeur de démontrer qu’il a satisfait à son obligation d’information individuelle du salarié, ainsi qu’à la déclaration de ce dispositif auprès de la CNIL, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».

La cour retient ensuite le comportement inapproprié du supérieur hiérarchique du salarié. Elle s’appuie sur un témoignage faisant état de « l’état d’ébriété de M. [K] à maintes reprises étant incapable d’assurer la gérance de son établissement, parlant fort et avec vulgarité, menaçant envers son employé ». Ces éléments, combinés au défaut de contestation de l’employeur, conduisent la cour à caractériser un second manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail.

Cette double condamnation présente un intérêt particulier au regard du contentieux du licenciement. Elle permet de contextualiser l’altercation alléguée et d’éclairer les conditions dans lesquelles le salarié exerçait ses fonctions. La cour établit ainsi un lien implicite entre le comportement du supérieur hiérarchique et les circonstances ayant pu entourer l’incident invoqué à l’appui du licenciement, ce qui renforce l’analyse selon laquelle le doute doit profiter au salarié.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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