Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°22/05220

Cour d’appel de Lyon, chambre sociale A, 10 septembre 2025. Une salariée, cadre dirigeant, conteste son licenciement pour absence prolongée, invoquant un harcèlement moral, des manquements aux obligations de sécurité et de loyauté, et, subsidiairement, l’absence de cause réelle et sérieuse. Les faits tiennent à une évolution de fonctions managériales, à des arrêts de travail répétés depuis 2014, puis à une rupture notifiée en 2019 pour perturbation du fonctionnement de l’entreprise et nécessité d’un remplacement définitif. Le conseil de prud’hommes a écarté le harcèlement, jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alloué des dommages et intérêts, mais rejeté l’indemnité de préavis et ordonné la restitution d’un trop‑perçu d’indemnité de licenciement.

En appel, la salariée sollicite la nullité du licenciement, à tout le moins sa requalification, l’indemnité de préavis et diverses réparations. L’employeur demande confirmation du rejet des griefs de harcèlement et d’exécution déloyale, et la validation du licenciement. La cour confirme l’absence de harcèlement et de manquement à l’obligation de sécurité, mais retient l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement faute de preuve d’un remplacement équivalent et proche. Elle accorde l’indemnité compensatrice de préavis, rectifie l’indemnité conventionnelle avec restitution partielle, et confirme une indemnisation dans les bornes du barème légal.

I. Le harcèlement moral et les obligations d’exécution du contrat

A. La méthode probatoire retenue et l’appréciation concrète des faits

La cour rappelle la construction probatoire en deux temps. D’abord, le salarié doit présenter des éléments précis laissant présumer un harcèlement. Ensuite, l’employeur doit justifier par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. L’arrêt expose cette trame et admet, à mi‑parcours, l’existence d’un faisceau d’indices. Il énonce ainsi: « Pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis au terme des développements qui précèdent, laissent présumer de l’existence d’un harcèlement moral. » Cette présomption obligeait l’employeur à une réponse circonstanciée, documentée et cohérente.

La réponse apportée est examinée point par point, avec une attention portée aux contraintes de l’organisation et aux justificatifs produits. La cour exclut d’abord la surcharge de travail, notant l’acceptation du cumul de fonctions, l’existence de renforts, l’aménagement du poste au temps partiel thérapeutique et l’absence d’indices d’horaires excessifs. Elle conclut nettement: « Il s’ensuit que la surcharge de travail alléguée n’est pas matériellement établie. » Elle analyse ensuite les mesures de contrôle, les recadrages et les échanges en arrêt de travail, pour les replacer dans le pouvoir de direction. S’agissant d’eux, l’arrêt retient: « En conséquence, chacun des faits matériellement établis rappelés ci‑dessus reçoit une explication exempte de tout harcèlement moral. »

Cette motivation, resserrée et factuelle, illustre une mise en balance classique entre contraintes managériales et atteintes alléguées à la dignité. La critique disciplinaire argumentée, dépourvue d’expressions dégradantes, reste licite. L’arrêt refuse de déduire du seul volume de courriers en arrêt maladie un processus de déstabilisation. Le raisonnement se tient, dès lors que le juge vérifie la proportion et la finalité, sans présumer d’un déséquilibre structurel.

B. L’obligation de sécurité et la loyauté dans l’exécution: portée et limites

La cour transpose son analyse aux obligations de sécurité et de loyauté, en procédant par renvoi des faits déjà discutés. Aucun élément ne révèle un défaut de prévention des risques spécifiquement attaché à la situation de la salariée. L’enquête interne évoquée ne visait pas son cas personnel et ne suffit pas, isolément, à établir un manquement. La solution se résume ainsi, de manière claire et sobre: « Ainsi, aucun des manquements allégués par la salariée au titre de l’exécution du contrat n’est caractérisé. »

La même rigueur gouverne l’examen des griefs postérieurs à la rupture, distincts de l’exécution du contrat. Les erreurs initiales de datation et de mentions ont été corrigées promptement. L’arrêt rejette l’allégation d’un retrait effectif d’avantage en nature pendant le préavis et l’absence d’assurance du véhicule. Il écarte le grief relatif à la mutuelle, faute de preuve d’une perte de droits. La formule employée synthétise logiquement l’absence de faute de résistance dans le contentieux du préavis: « Ainsi, cette résistance n’est pas fautive par elle‑même. » L’ensemble trace une ligne de partage nette entre maladresses administratives réparées et manquement générateur de responsabilité délictuelle.

II. Le licenciement pour absence prolongée et ses effets indemnitaires

A. Désorganisation, remplacement définitif et charge de la preuve

La cour rappelle le cadre légal et jurisprudentiel du licenciement pour absence prolongée. Le motif est étranger à l’état de santé et tient à la désorganisation objective nécessitant un remplacement définitif, intervenu à une date proche de la rupture. Le principe est repris dans l’arrêt, sous une forme didactique: le salarié ne peut être licencié que si les perturbations « entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié ».

Appliquant ces exigences, la cour admet la désorganisation en raison du niveau hiérarchique du poste et du contexte de réorganisation. L’achoppement provient de la preuve du remplacement équivalent. Le contrat produit ne permet pas la comparaison utile des attributions, faute de définition de poste annexée et d’équivalence fonctionnelle démontrée. L’arrêt souligne l’impasse probatoire ainsi créée, en termes parfaitement clairs, en relevant qu’il est impossible « de vérifier qu’elle a effectivement été définitivement remplacée ». Le licenciement est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse. La solution épouse une ligne constante exigeant un parallélisme des fonctions, non un simple voisinage des intitulés.

Cette exigence probatoire est salutaire. Elle évite de transformer l’argument de réorganisation en simple commodité narrative et contraint l’employeur à documenter précisément la continuité fonctionnelle. Elle s’accorde avec l’exigence d’un remplacement « dans un délai raisonnable » et d’une équivalence substantielle des responsabilités.

B. Préavis, indemnité conventionnelle et barème: articulation des réparations

L’absence de cause réelle et sérieuse emporte le droit au préavis, y compris en cas d’inaptitude temporaire, selon une jurisprudence désormais bien installée. L’arrêt le rappelle en ces termes, sans ambiguïté: « le salarié peut valablement solliciter l’indemnité compensatrice de préavis, bien qu’il se trouve en arrêt de travail pour maladie au cours de cette période ». La cour en tire une conséquence directe, financièrement nette: « En conséquence, et dans les limites de la demande il convient de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 18 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 800 euros au titre des congés payés afférents. »

S’agissant de l’indemnité de licenciement, la cour applique la règle de non‑prise en compte des périodes de suspension pour le calcul de l’ancienneté, puis la grille conventionnelle, incluant les avantages en nature. Elle constate un versement excédentaire et fixe précisément la restitution: « Il s’ensuit que le trop‑perçu de la salariée s’élève à 7 031,59 euros. » Cette rectification illustre une cohérence d’ensemble entre statut légal, convention collective et pièces salariales.

Enfin, la réparation du licenciement injustifié s’inscrit dans le barème légal, dont la cour rappelle la validité. Le quantum s’accorde à l’ancienneté et à la taille de l’entreprise: « Dès lors, le montant de l’indemnisation est compris entre 3 et 9 mois de salaire. » L’évaluation retient des circonstances de la rupture et l’âge de la salariée, sans élément aggravant particulier. La cour maintient ainsi une approche sobre et prévisible, compatible avec la sécurité juridique des acteurs et la lisibilité du contentieux social.

Cette décision articule avec constance méthode probatoire, discipline de la preuve et cohérence des effets. Après avoir écarté le harcèlement et les manquements d’exécution, elle rappelle avec fermeté l’exigence de preuve du remplacement équivalent, puis déroule mécaniquement les conséquences indemnitaires qui en découlent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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