Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°22/05332

Par un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel de Lyon statue sur plusieurs chefs relatifs à l’exécution et à la rupture d’un contrat de travail. Le litige porte d’abord sur l’opposabilité d’une convention de forfait en jours conclue sous l’empire d’un accord d’entreprise antérieur à 2016, puis sur des demandes de rappels d’heures supplémentaires, de repos compensateur et de restitution de RTT. Il concerne ensuite la validité d’un licenciement motivé par l’absence prolongée du salarié, au regard des exigences de perturbation du fonctionnement de l’entreprise et de remplacement définitif, ainsi que l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité.

Les faits tiennent en peu d’éléments utiles. Un salarié, embauché en qualité de commercial, exerçait en réalité des fonctions de responsable d’agence dans le cadre d’un forfait de 218 jours. Placé en arrêt maladie à compter de janvier 2018, il a été licencié fin août 2018 au motif d’une absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant un remplacement définitif. Saisi, le Conseil de prud’hommes de Lyon, le 30 juin 2022, a notamment écarté la convention de forfait, accueilli des demandes salariales et retenu l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, tout en réparant un manquement à l’obligation de sécurité. En appel, le salarié sollicitait un rehaussement des rappels au titre des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, tandis que l’employeur contestait la plupart des condamnations, soutenait la validité du forfait-jours, et revendiquait la restitution de RTT.

Plusieurs questions de droit se dégagent. D’abord, la survie pratique d’un accord collectif antérieur à 2016 en matière de forfait-jours, à la condition du respect des obligations de suivi individuel posées par la loi, et les conséquences de l’inopposabilité sur la preuve et l’évaluation des heures supplémentaires. Ensuite, les critères probatoires du licenciement fondé sur l’absence prolongée, qui impose de caractériser des perturbations avérées et la nécessité d’un remplacement définitif. Enfin, l’étendue de l’obligation de sécurité en contexte de surcharge d’activité, d’alertes répétées et de prise de fonctions insuffisamment accompagnée. La Cour confirme partiellement le jugement, déclare la convention de forfait privée d’effet, réévalue les créances salariales, ordonne la restitution de RTT, confirme le manquement à l’obligation de sécurité et l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

I – Forfait-jours et heures supplémentaires: contrôle de validité et calibrage indemnitaire

A – Une convention privée d’effet faute de garanties effectives de suivi

La Cour rappelle le régime issu de la loi de 2016, en exigeant soit un accord conforme à l’article L. 3121-64, soit, à défaut, le respect cumulatif des exigences de l’article L. 3121-65. Elle relève que l’accord d’entreprise invoqué, antérieur, ne prévoit pas les modalités nécessaires d’évaluation et de suivi régulier de la charge, ni de communication périodique ni de droit à la déconnexion conformes au texte. Surtout, l’employeur n’a pas suppléé conventionnellement par un dispositif individuel effectif. D’où la formule décisive: « l’employeur ne justifie pas avoir mis en place un outil de contrôle de la charge de travail du salarié au regard de ses temps de repos quotidiens, ni défini les modalités d’exercice du droit à la déconnexion. » En conséquence, la juridiction d’appel tranche nettement: « Dès lors, la convention de forfait doit être déclarée privée d’effet à l’égard du salarié. »

Le choix de l’inopposabilité, plutôt que de la nullité, s’inscrit dans la ligne ouverte par le texte transitoire, en maintenant la possibilité d’exécuter des conventions anciennes à condition d’un suivi réel et documenté. La Cour vérifie concrètement l’existence d’un document de contrôle, d’entretiens et d’une régulation de la charge. L’impossibilité de tenir un entretien annuel pour cause d’arrêt maladie ne suffit pas à combler l’absence de dispositifs de suivi et de déconnexion. L’analyse est rigoureuse et cohérente, car elle distingue l’obstacle conjoncturel d’un entretien et la carence structurelle de contrôle. Elle s’aligne sur l’exigence d’effectivité qui préside à la protection de la santé au travail en matière d’aménagement du temps.

B – Réparation mesurée: preuve des heures et restitution des RTT

L’inopposabilité du forfait rouvre le champ des heures supplémentaires. La Cour rappelle la règle probatoire issue de l’article L. 3171-4 en ces termes: « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis […] afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement. » Elle constate que le salarié produit tableaux, agendas, courriels, notes de frais et justificatifs, établissant une surcharge régulière. L’employeur, à l’inverse, ne verse aucun décompte et reste silencieux sur un dispositif de suivi fiable.

L’évaluation du quantum procède alors d’un pouvoir souverain, sensible au respect des pauses et à l’exclusion des temps non effectifs. La Cour tranche sobrement: « Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le salarié a accompli des heures supplémentaires […] à hauteur de 5 heures par semaine. » Elle retient ensuite la contrepartie obligatoire en repos au-delà du contingent conventionnel de 130 heures, le droit étant fixé à 100 % dans une entreprise de plus de vingt salariés. Le calibrage indemnitaire, sans détail de calcul superflu, manifeste une approche pragmatique et raisonnable, respectueuse de la méthode probatoire légale.

Enfin, corrélat logique de l’inopposabilité, la restitution des jours de RTT indûment perçus est ordonnée sur le fondement de l’indu. La solution, adossée à l’équilibre synallagmatique du forfait-jours, rappelle que l’octroi de jours de réduction du temps de travail présuppose la validité d’un régime dérogatoire. L’arrêt évite l’enrichissement sans cause et rétablit l’économie des temps et des rémunérations.

II – Licenciement pour absence prolongée et obligation de sécurité: exigences probatoires et prévention effective

A – Perturbation et remplacement: une démonstration insuffisante de l’employeur

La Cour s’inscrit dans la jurisprudence classique relative au licenciement pour absence prolongée, en exigeant la preuve de perturbations réelles et de la nécessité d’un remplacement définitif, proche du licenciement. Elle énonce d’abord la règle de preuve: « La charge de la preuve des perturbations de l’entreprise liées à l’absence du salarié, comme de la nécessité du remplacement définitif de celui-ci, incombe à l’employeur. » L’examen des éléments concrets révèle l’insuffisance de la démonstration: une fiche de poste ne suffit pas; un intérim de plusieurs mois a été assuré; les difficultés alléguées des agences ne sont étayées par aucun élément objectif.

En conséquence, la Cour conclut sans ambages: « Il en découle que l’employeur ne démontre pas davantage la nécessité du remplacement définitif du salarié malade au moment du licenciement. » La solution est mesurée et conforme au droit positif. L’entreprise doit établir des perturbations caractérisées et l’impossibilité de substitutions temporaires, par des éléments opérationnels précis. La présence d’un intérim prolongé, faute d’indications sur l’impact organisationnel et économique, affaiblit l’argument de la désorganisation durable. Le contrôle juridictionnel demeure ainsi exigeant, mais prévisible, sur un terrain probatoire qui n’admet pas les affirmations générales.

B – Sécurité et santé: la carence d’accompagnement et de moyens est caractérisée

Sur l’obligation de sécurité, la Cour retient une analyse circonstanciée, adossée aux alertes documentées et à l’insuffisance des moyens. Les courriels retracent une surcharge croissante, un défaut de tuilage à la prise de poste, des lacunes de formation et l’absence de renforts malgré des demandes explicites. L’employeur n’apporte pas d’éléments concrets de soutien, de recrutement ou de réorganisation propres à prévenir les risques connus. La motivation, d’une sobriété ferme, retient que « le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est caractérisé ».

La solution s’accorde avec les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, qui imposent une prévention planifiée et des moyens adaptés. Elle illustre l’exigence, désormais constante, d’une prévention effective, proportionnée et traçable, spécialement lors des phases sensibles de transition managériale. Sans exiger la preuve d’une pathologie professionnelle, la Cour sanctionne le défaut de mesures correctrices face à des signaux convergents. L’indemnisation retenue, modérée, marque une juste appréciation du préjudice au regard des éléments probants et du périmètre de l’obligation.

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Hassan KOHEN
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