Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°22/05368

Je vais rédiger le commentaire d’arrêt à partir de la décision que vous m’avez soumise.

La question de la qualification de l’abandon de poste et de ses conséquences sur la rupture du contrat de travail constitue un contentieux récurrent devant les juridictions prud’homales. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 10 septembre 2025, apporte une contribution significative à cette problématique en se prononçant sur la caractérisation de la faute grave dans un contexte d’absence injustifiée prolongée.

Une salariée avait été engagée le 1er septembre 2008 en qualité de préparatrice de commandes par une société de répartition pharmaceutique. Après avoir bénéficié d’un congé parental à temps complet du 18 décembre 2017 au 15 septembre 2019, puis de congés payés et d’un arrêt maladie, elle ne s’est pas présentée à son poste de travail le 12 novembre 2019, date de reprise prévue. L’employeur lui a adressé deux mises en demeure de justifier son absence, les 18 et 25 novembre 2019, demeurées sans réponse. Par lettre du 20 décembre 2019, la société lui a notifié son licenciement pour faute grave en raison de son abandon de poste, caractérisé par vingt-neuf jours d’absence injustifiée.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon, qui, par jugement du 28 juin 2022, a jugé que le licenciement était dépourvu de faute grave mais reposait sur une cause réelle et sérieuse. L’employeur a été condamné au versement de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement. La salariée a interjeté appel, contestant la qualification de cause réelle et sérieuse et sollicitant des dommages et intérêts pour licenciement injustifié ainsi que pour exécution déloyale du contrat de travail. L’employeur a formé appel incident, demandant la reconnaissance de la faute grave.

La cour d’appel de Lyon devait déterminer si l’absence injustifiée de la salariée pendant vingt-neuf jours, malgré les mises en demeure restées sans réponse, constituait une faute grave justifiant la privation des indemnités de rupture, ou si des circonstances particulières, notamment liées au retour de congé parental, pouvaient atténuer la gravité du comportement.

L’intérêt de cette décision réside dans l’articulation entre le contrôle de la qualification de la faute grave et l’appréciation des circonstances entourant l’abandon de poste d’une salariée de retour de congé parental. L’analyse portera d’abord sur les critères de qualification de l’abandon de poste constitutif de faute grave (I), avant d’examiner les conséquences indemnitaires de la requalification du licenciement (II).

I. La qualification de l’abandon de poste au regard de l’exigence de faute grave

La caractérisation de la faute grave suppose la démonstration d’un manquement rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’appréciation de ce manquement implique tant l’examen des éléments constitutifs de l’abandon de poste (A) que la prise en compte des circonstances susceptibles d’en atténuer la gravité (B).

A. Les éléments constitutifs de l’abandon de poste

L’abandon de poste se définit traditionnellement comme l’absence injustifiée et prolongée du salarié, manifestant une volonté de se soustraire à ses obligations contractuelles. En l’espèce, la salariée « ne s’est pas présentée à son poste de travail » à compter du 12 novembre 2019, date à laquelle son arrêt maladie prenait fin. L’employeur a respecté la procédure habituelle en adressant deux mises en demeure, les 18 et 25 novembre 2019, « restées sans réponse ».

La lettre de licenciement retient que la salariée cumule « 29 jours d’absence injustifiée » et que « cette situation a été handicapante pour l’établissement ». L’employeur souligne avoir été « obligé de trouver une solution de remplacement dans l’urgence », ce qui a généré « une perte de temps et un retard dans l’organisation du service ». Ces éléments objectifs caractérisent incontestablement un manquement aux obligations contractuelles fondamentales du salarié.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation admet que l’abandon de poste peut constituer une faute grave lorsque l’absence injustifiée se prolonge malgré les mises en demeure de l’employeur. Le comportement de la salariée, qui n’a fourni « aucune justification à cette absence » et ne s’est pas présentée à l’entretien préalable, semble répondre à cette définition. La désorganisation de l’entreprise, expressément invoquée dans la lettre de rupture, renforce a priori la qualification de faute grave.

B. L’atténuation de la gravité par les circonstances de l’espèce

Le conseil de prud’hommes de Lyon a considéré que le licenciement était « dénué de faute grave mais repose sur une cause réelle et sérieuse ». Cette position nuancée invite à examiner les circonstances susceptibles d’atténuer la gravité du comportement reproché.

La salariée bénéficiait d’une ancienneté significative de plus de onze années au sein de l’entreprise. Cette durée de collaboration sans incident disciplinaire antérieur constitue un élément que les juridictions prennent traditionnellement en compte pour apprécier la proportionnalité de la sanction. La Cour de cassation rappelle régulièrement que « la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », ce qui suppose une appréciation in concreto des circonstances.

Le contexte de retour de congé parental mérite également attention. La salariée avait été absente de l’entreprise pendant près de deux années, du 18 décembre 2017 au 15 septembre 2019. Cette longue période d’éloignement pouvait légitimement créer des difficultés de réintégration que l’employeur aurait pu anticiper. La succession du congé parental, des congés payés et de l’arrêt maladie a conduit à une reprise effective prévue le 12 novembre 2019, soit plus de vingt-trois mois après le début de l’absence.

L’employeur ne produit pas d’éléments démontrant avoir accompagné ce retour de la salariée, conformément aux dispositions de l’article L. 1225-57 du code du travail qui prévoit un entretien professionnel au retour de congé parental. Cette carence dans l’accompagnement, sans excuser l’abandon de poste, peut expliquer la décision des premiers juges de ne pas retenir la faute grave.

II. Les conséquences indemnitaires de la requalification du licenciement

La disqualification de la faute grave emporte des conséquences financières significatives pour l’employeur. Il convient d’examiner les indemnités de rupture dues à la salariée (A) avant d’analyser les demandes complémentaires formées au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail (B).

A. Le droit aux indemnités de rupture

Le conseil de prud’hommes a fixé le salaire de référence à 1 605,46 euros bruts mensuels et l’ancienneté à 9,27 années. Ces éléments conditionnent le calcul des indemnités de rupture. La salariée conteste ces montants, sollicitant un salaire de référence de 1 937,62 euros.

L’exclusion de la faute grave ouvre droit au bénéfice de l’indemnité compensatrice de préavis. Le conseil de prud’hommes a alloué une somme de 3 210,92 euros correspondant à deux mois de préavis, outre 321,09 euros de congés payés afférents. La convention collective de la répartition pharmaceutique détermine la durée du préavis applicable selon le statut et l’ancienneté du salarié.

L’indemnité de licenciement a été fixée à 6 484,02 euros par les premiers juges. Ce montant correspond à l’application des dispositions légales ou conventionnelles compte tenu de l’ancienneté retenue. La salariée demande la confirmation de ce chef de jugement, ce qui atteste de son accord sur ce calcul.

La question de la cause réelle et sérieuse demeure en débat devant la cour d’appel. Si le licenciement était jugé dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, la salariée pourrait prétendre à des dommages et intérêts dont le montant, au regard du barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail, serait compris entre trois et dix mois de salaire compte tenu de son ancienneté. La salariée sollicite 20 345,01 euros à ce titre, soit environ dix mois de salaire.

La reconnaissance d’une cause réelle et sérieuse par les premiers juges apparaît cohérente avec la matérialité des faits reprochés. L’absence injustifiée pendant vingt-neuf jours, l’absence de réponse aux mises en demeure et la désorganisation engendrée constituent des éléments objectifs justifiant la rupture du contrat de travail. L’atténuation de la qualification de faute grave en cause réelle et sérieuse traduit une appréciation mesurée des circonstances de l’espèce.

B. La demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

La salariée sollicite la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Cette demande a été rejetée par le conseil de prud’hommes qui l’a « déboutée du surplus de ses demandes ».

L’article L. 1222-1 du code du travail dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Cette obligation pèse sur les deux parties au contrat. La salariée reproche vraisemblablement à l’employeur un défaut d’accompagnement lors de son retour de congé parental. L’article L. 1225-57 du code du travail impose à l’employeur d’organiser un entretien professionnel à l’issue du congé parental d’éducation.

La caractérisation d’une exécution déloyale suppose la démonstration d’un préjudice distinct de celui réparé par les indemnités de rupture. En l’espèce, le lien de causalité entre un éventuel manquement de l’employeur à ses obligations d’accompagnement et le comportement de la salariée n’est pas établi avec certitude. L’absence de la salariée à l’entretien préalable a privé les parties d’une occasion de dialogue qui aurait pu éclairer les motivations de son comportement.

La jurisprudence de la Cour de cassation exige que le salarié démontre l’existence d’un préjudice spécifique résultant du manquement allégué. Le simple constat d’une absence d’entretien professionnel au retour de congé parental ne suffit pas à caractériser une exécution déloyale causant un préjudice indemnisable de 5 000 euros. Le rejet de cette demande par les premiers juges apparaît conforme aux exigences jurisprudentielles en la matière.

La portée de cet arrêt réside dans l’équilibre qu’il établit entre la sanction légitime d’un comportement fautif et la prise en compte du contexte particulier du retour de congé parental. La distinction entre faute grave et cause réelle et sérieuse permet de sanctionner le manquement contractuel tout en préservant les droits indemnitaires du salarié dont l’ancienneté et les circonstances de l’absence méritaient considération.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture