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La Cour d’appel de Lyon, chambre sociale, 10 septembre 2025, statue sur le licenciement d’un salarié protégé prononcé après autorisation administrative, puis annulée par le juge administratif, au motif que les griefs invoqués relevaient de la vie privée et n’étaient pas rattachables à l’exécution du contrat. Le salarié, agent de maîtrise ancien et élu, avait été mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave sur la base d’agissements qualifiés de harcèlement, décrits dans la lettre de rupture. Après décision implicite de rejet, puis autorisation expresse d’inspection, la ministre avait confirmé la mesure. La cour administrative d’appel de Paris, 2 décembre 2019, a annulé l’autorisation en relevant que les faits reprochés « relèvent exclusivement de la vie privée du salarié et, entièrement extérieurs à celui-ci, ne sont pas rattachables à l’exécution de son contrat de travail ». Le recours ultérieur a été rejeté par le Conseil d’État, 23 février 2021. Sur le versant prud’homal, le premier juge a admis la faute grave et écarté la nullité, tout en allouant l’indemnité de l’article L. 2422-4. L’appel interroge, d’une part, la portée de l’annulation administrative sur l’office du juge judiciaire saisi des mêmes faits et, d’autre part, les suites indemnitaires d’une nullité prononcée à raison d’une liberté fondamentale invoquée, cumulée avec la réparation propre au statut protecteur.
La question posée est double. Le juge judiciaire demeure-t-il libre d’apprécier la cause du licenciement d’un salarié protégé lorsque le juge administratif a annulé l’autorisation en retenant l’absence de rattachement des faits à la relation de travail. Les conséquences financières résultant tant de la nullité de la rupture que de l’article L. 2422-4 doivent-elles se cumuler et selon quelles modalités. La cour répond en retenant l’autorité attachée aux décisions administratives, y compris à leurs motifs déterminants, et en allouant, outre l’indemnité de statut, des sommes au titre de la nullité pour violation d’une liberté fondamentale, des rappels corrélatifs au rejet de la faute grave et les accessoires usuels.
I. L’emprise de l’annulation administrative sur l’office du juge judiciaire
A. L’autorité de la chose jugée administrative, motifs compris
La cour rappelle d’abord la règle de séparation des ordres et l’articulation du contentieux des salariés protégés. Elle s’appuie sur une formule bien établie, ainsi citée: « sa décision s’oppose à ce que le juge judiciaire, appréciant les mêmes faits, décide qu’ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement ». En conséquence, l’office du juge prud’homal se restreint dès lors que le juge administratif a statué, sur les mêmes griefs, quant à leur existence ou à leur aptitude à justifier la mesure.
Dans cette logique, la cour déduit l’effet contraignant des motifs déterminants de l’arrêt administratif. Elle énonce en des termes limpides: « Dès lors, contrairement à ce que soutient l’employeur, la juridiction prud’homale est tenue par l’autorité de la chose jugée qui s’attache à ces décisions en ce compris ses motifs et ne peut plus apprécier les motifs du licenciement lorsqu’ils ont été examinés par le juge administratif, mais uniquement en tirer les conséquences de droit quant à la rupture du contrat de travail. » La portée de cette clause lie le juge judiciaire sur l’appréciation des faits et leur qualification au regard du contrat, lorsque ces éléments fondent l’annulation.
Cette solution s’inscrit dans le cadre classique du contentieux des salariés protégés. L’autorisation de licencier, puis son annulation, régissent la validité de la rupture. La lettre de licenciement fixe les limites du litige et la concordance des griefs avec ceux soumis à l’autorité administrative empêche toute substitution de motif. Le juge judiciaire ne peut reconstruire un trouble objectif nouveau qui échapperait à l’emprise de la chose jugée, sauf faits distincts, étrangers à la saisine administrative, ce qui n’est ni soutenu ni retenu ici.
B. La qualification des faits comme relevant de la vie privée
Le pivot de l’annulation administrative réside dans la qualification des agissements reprochés. La juridiction administrative a jugé que ces faits « relèvent exclusivement de la vie privée du salarié et, entièrement extérieurs à celui-ci, ne sont pas rattachables à l’exécution de son contrat de travail ». Cette formule, dénuée d’ambiguïté, dessaisit l’employeur de la possibilité de s’en prévaloir pour fonder une sanction disciplinaire, en l’absence de lien avec la relation de travail.
La cour d’appel en tire une conséquence nette. La rupture est nulle, à raison de l’annulation définitive de l’autorisation et de l’atteinte au droit au respect de la vie privée, liberté fondamentale dont la violation entraîne l’application du régime de nullité. L’argument d’un trouble objectif dans l’entreprise, parfois admis pour des faits extraprofessionnels, ne peut prospérer lorsque le juge administratif, saisi en amont, a tranché la question du rattachement et disqualifié l’ensemble des griefs articulés dans la lettre.
Cette articulation renforce la cohérence du double contrôle. Au stade administratif, le filtre protège l’exercice des mandats et exige un lien professionnel avéré. Au stade judiciaire, l’autorité s’impose pour éviter des appréciations divergentes sur les mêmes faits. Elle verrouille la tentation de requalifier, sur un autre terrain, les griefs déjà disjoints de l’exécution contractuelle. La solution assure la sécurité juridique tout en rappelant la vigilance requise dans la rédaction des lettres de licenciement visant des faits situés aux confins de la sphère privée.
II. Les suites indemnitaires de la nullité et du statut protecteur
A. La réparation due pour violation d’une liberté fondamentale
La nullité ouvre droit à l’indemnité minimale lorsque la réintégration n’est pas sollicitée. La cour évalue l’atteinte subie au regard de l’âge, de l’ancienneté significative et des ressources perçues postérieurement à la rupture. Elle octroie 35 000 euros, somme supérieure au plancher de six mois de salaire, ce qui traduit une appréciation individualisée du préjudice.
Cette indemnité s’ajoute aux effets corrélatifs de l’écartement de la faute grave. Le salarié recouvre le salaire lié à la mise à pied conservatoire, et bénéficie de l’indemnité compensatrice de préavis avec congés afférents. L’indemnité conventionnelle de licenciement lui est due selon la base la plus favorable, calculée sur la rémunération de référence et l’ancienneté acquise. L’ensemble compose une réparation cohérente avec la nullité, sans chevauchement avec l’indemnité de statut protecteur, attachée à un autre chef de préjudice.
Le raisonnement ne rompt pas l’égalité avec le barème légal propre aux licenciements non nuls. Il applique un régime dérogatoire fondé sur la protection des libertés et la spécificité du statut. La prise en compte des éléments économiques et sociaux produits illustre l’exigence d’une motivation concrète, au-delà du seul plancher légal, sans excès de technicité et dans un cadre mesuré.
B. L’indemnité de l’article L. 2422-4 et la technique de calcul
La cour confirme la solution retenue quant à la période et à la méthode de calcul de l’indemnité de statut protecteur. La période court de la date de licenciement jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant l’annulation devenue définitive, en l’absence de demande de réintégration. L’assiette comprend la totalité du préjudice, avec prise en compte des revenus substitutifs et déduction des sommes perçues. La distinction entre montants nets et bruts est clairement opérée pour assurer le versement des cotisations.
La motivation précise la rémunération de référence, la différence nette constatée et sa traduction en brut. La cour souligne l’impossibilité de statuer ultra petita et confirme la somme allouée, inférieure à l’évaluation maximale résultant du calcul, en raison des limites de la demande. Cette discipline procédurale rappelle l’importance de la formulation des prétentions et l’utilité d’un chiffrage rigoureux dès l’instance prud’homale.
Les compléments habituels sont ordonnés. Les documents de fin de contrat doivent être remis dans un délai déterminé. Le remboursement d’un mois d’allocations à l’institution compétente est prononcé, sanction accessoire classique des licenciements nuls. Les frais irrépétibles sont mis à la charge de la partie succombante, dans une mesure sobre et proportionnée, sans excéder l’équité commandée par la cause.
Ainsi, la décision commente et applique avec constance le partage des offices entre ordres de juridiction. Elle consacre l’autorité attachée à l’annulation administrative, en verrouillant toute réappréciation des mêmes faits par le juge prud’homal. Elle ordonne enfin une réparation complète, distinctement articulée entre nullité pour atteinte à la vie privée et indemnisation liée au statut protecteur, selon des bases claires, contrôlables et fidèles au droit positif.