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Par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon, chambre sociale A, du 10 septembre 2025, il est statué sur deux questions liées, la recevabilité d’actions indemnitaires au regard de la prescription annuelle et le régime applicable à un licenciement pour inaptitude contestée comme non professionnelle. Le litige naît d’un accident du travail survenu en 2014, suivi d’arrêts prolongés sans reprise, puis d’un avis d’inaptitude avec impossibilité de reclassement rendu en 2019, et d’un licenciement prononcé immédiatement. Le salarié sollicitait l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité spéciale de licenciement prévues en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, l’employeur s’y opposant en invoquant la prescription et l’absence de lien professionnel.
La procédure connaît une première saisine en référé fin 2019, conduite à un désistement, puis une saisine au fond en 2020. Le conseil de prud’hommes de Lyon, le 12 juillet 2022, déclare les demandes prescrites. La liquidation judiciaire de l’employeur est ouverte par le tribunal de commerce de Lyon le 24 octobre 2023, le liquidateur est appelé dans la cause, tandis que la clôture de l’instruction en appel intervient sans rabat. La Cour d’appel de Lyon infirme la prescription, mais déboute le salarié de ses demandes indemnitaires au fond, après avoir rappelé les exigences relatives à l’origine professionnelle de l’inaptitude et à la connaissance de l’employeur.
Le cœur de l’arrêt articule ainsi l’effet interruptif de la saisine en référé malgré l’incompétence, et l’appréciation probatoire du lien causal entre l’accident ancien et l’inaptitude tardive, combinée à l’exigence de connaissance par l’employeur au jour du licenciement.
I) La recevabilité des demandes au regard de la prescription annuelle
A) L’interruption par la saisine en référé et l’exception liée au désistement pour incompétence
La cour rappelle avec netteté la règle issue du code civil, en des termes qu’elle reprend littéralement: « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, même lorsque la juridiction est incompétente ; que, cependant, l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ». Ce rappel s’adosse à une jurisprudence constante nuançant l’effet du désistement lorsqu’il résulte de l’incompétence reconnue de la juridiction initialement saisie.
Le raisonnement retient ensuite l’objet réel du désistement. La motivation relève que « l’ensemble de ces éléments permet d’établir que l’incompétence matérielle de la juridiction des référés est la raison du désistement du salarié ». L’analyse combine les écritures antérieures, la teneur de l’ordonnance de référé et la cohérence du parcours procédural, sans exiger une mention expresse dans le dispositif de l’ordonnance. Cette démarche préserve l’effet interruptif lorsqu’un justiciable rectifie sa voie de droit après une saisine inappropriée en urgence.
B) La recomposition du délai annuel et l’écartement de la fin de non‑recevoir
La cour applique ensuite la règle aux dates du dossier, en fixant les points de départ et de reprise avec précision. Elle énonce que « la prescription ayant commencé à courir le lendemain du jour du licenciement (7 mars 2019) a été valablement interrompue par la saisine de la juridiction des référés le 21 novembre 2019 », puis qu’elle a « recommencé à courir du jour de l’ordonnance de référé le 17 juin 2020, pour être à nouveau interrompue par la saisine de la juridiction au fond le 23 septembre 2020 ». L’enchaînement chronologique exclut toute acquisition de la prescription annuelle, ce qui conduit logiquement au rejet de la fin de non‑recevoir.
La solution est cohérente avec la finalité de l’article L. 1471‑1 du code du travail, protecteur mais bref, et avec l’économie des articles 2241 et 2243 du code civil. La cour exige toutefois une démonstration sérieuse du lien entre désistement et incompétence, évitant qu’une stratégie dilatoire ne bénéficie indûment de l’interruption. L’équilibre ainsi recherché concilie la sécurité juridique des employeurs avec l’accès effectif au juge du fond pour les salariés.
II) L’exclusion du régime protecteur de l’inaptitude d’origine professionnelle
A) Le standard de rattachement causal et la connaissance de l’employeur
Au fond, la cour rappelle d’abord la conditionnalité du régime renforcé. Elle cite le principe suivant: « les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ». Deux éléments cumulatifs priment donc, la causalité au moins partielle et la connaissance effective au jour de la rupture.
L’arrêt confronte ensuite ce standard aux éléments médicaux produits. La consolidation intervenue en 2017 n’a pas été contestée, les arrêts de 2018 sont établis au titre d’une maladie non professionnelle, et l’avis d’inaptitude de 2019 s’inscrit dans ce cadre. Surtout, en réponse écrite et immédiate à l’interrogation de l’employeur, le médecin du travail a indiqué: « J’ai considéré que cette aptitude avait été prononcée dans le cadre de l’arrêt maladie », puis a refusé l’indemnité temporaire d’inaptitude au motif que « l’inaptitude est en lien avec la maladie et pas l’accident de travail ». La cour en déduit « qu’il ne peut être considéré que l’employeur avait connaissance du caractère professionnel de l’inaptitude ».
B) La valeur et la portée de la solution au regard du droit positif
La décision retient une ligne de partage nette. L’absence de pièces médicales probantes couvrant la période déterminante et l’éclairage explicite du médecin du travail font obstacle au bénéfice des articles L. 1226‑10 et L. 1226‑14. Par voie de conséquence, l’article L. 1226‑4 trouve à s’appliquer, de sorte que le préavis n’est ni exécuté ni indemnisé en cas d’inaptitude non professionnelle. La solution est juridiquement solide et conforme à l’exigence de preuve d’un lien causal actuel, même partiel, complétée par la connaissance imputable à l’employeur.
Cette rigueur soulève néanmoins deux observations. D’une part, la connaissance requise est factuelle et contextualisée, appréciée au moment de la notification de la rupture; l’arrêt valorise ici un échange écrit récent et dénué d’ambiguïté. D’autre part, la charge probatoire pèse fortement sur le salarié lorsque l’inaptitude survient longtemps après la consolidation, surtout si la chaîne médicale comporte des périodes qualifiées de maladie ordinaire. La portée pratique de l’arrêt incite ainsi à documenter précisément la continuité symptomatique et son lien avec l’accident initial, afin de ne pas laisser s’installer une césure probatoire défavorable.
Enfin, la cour refuse de suppléer les carences de preuve par des présomptions tirées de circonstances anciennes ou d’allusions médicales générales. En maintenant ce seuil, elle conforte la distinction entre inaptitude « professionnelle » et « non professionnelle », ce qui sécurise l’application différentielle des indemnités. Ce faisant, elle prévient une extension incertaine du régime protecteur et confirme l’exigence cumulative du lien causal et de la connaissance, conditions qui structurent utilement le contentieux de l’inaptitude.