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La Cour d’appel de Lyon, chambre sociale A, 10 septembre 2025, tranche un contentieux de requalification né de travaux réalisés dans un local destiné à un bar‑restaurant. Après l’exécution de plusieurs mois de chantier sans écrit, l’appelant a adressé une prise d’acte, puis saisi le Conseil de prud’hommes de Villefranche‑sur‑Saône. Il sollicitait la reconnaissance d’un contrat de travail, des rappels de salaires et heures supplémentaires, des dommages pour travail dissimulé, ainsi que l’indemnisation de la rupture. Par jugement du 15 janvier 2024, le Conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent matériellement, retenant l’absence de contrat, et a renvoyé devant le tribunal judiciaire de Villefranche‑sur‑Saône. Devant la Cour d’appel de Lyon, l’appelant invoquait des bulletins CESU et des virements, l’intimé opposant sa qualité d’entrepreneur individuel et l’absence de subordination caractérisée. La question posée tenait à la qualification juridique de la relation de travail alléguée, en présence d’une présomption de non‑salariat et d’éléments salariés ambivalents. La cour rappelle d’abord que « le conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître des litiges s’élevant à l’occasion d’un contrat de travail ». Elle rejette l’exception d’incompétence, puis constate l’absence de lien de subordination et déboute l’appelant, après avoir réformé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
I. La qualification du lien de travail et ses critères
A. Présomption de non‑salariat et portée des CESU
En l’absence d’écrit, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail de prouver sa réalité, au moyen des critères jurisprudentiels classiques. Selon l’arrêt, « il revient à celui qui l’invoque de rapporter la preuve de son existence ». La cour rappelle l’exécution d’une prestation, une rémunération corrélative et un lien de subordination, appréciés in concreto, indépendamment de la qualification choisie par les parties. Elle rappelle la présomption de non‑salariat de l’article L. 8221‑6, « sont présumés ne pas être liés […] par un contrat de travail ». Le profil d’entrepreneur individuel déclaré en maçonnerie, et la nature des tâches réalisées, confortent cette présomption en l’espèce. Les bulletins CESU et les virements n’emportent pas preuve décisive, car « il ne constitue pas à lui seul la preuve de l’existence d’un contrat de travail ». La cour précise que « le cadre du CESU n’a pas vocation à s’appliquer au type de prestation réalisée ». La mention « emploi familial » est en outre « manifestement erronée », eu égard à l’objet professionnel du chantier. Des reçus signés, mentionnant un « donneur » et un « receveur » et corrélés à l’avancement, rapprochent la relation d’un contrat d’entreprise plutôt que d’un salariat. La rémunération s’explique donc, mais le critère déterminant demeure le pouvoir de direction, dont la matérialité devait être précisément démontrée.
B. Lien de subordination et rigueur probatoire
Les attestations versées se contredisent et restent lacunaires quant à la fréquence des visites, aux consignes, et aux contraintes imposées pendant l’exécution. L’arrêt observe l’absence d’éléments circonstanciés établissant des instructions hiérarchiques, en rappelant l’activité habituelle de l’intimé étrangère à la direction d’un chantier de rénovation. Aussi, « n’est pas démontrée l’existence d’un lien de subordination », malgré une présence ponctuelle sur site et un contrôle de l’avancement allégués par l’appelant. Le refus de poursuite du chantier, motivé par retards ou malfaçons, « ne saurait à lui seul caractériser l’exercice d’un pouvoir disciplinaire ». La cohérence de l’ensemble, factures réclamées et devis de reprise produits, conforte l’analyse d’une relation d’affaires et non d’un salariat subordonné. Dès lors, la cour conclut que « l’existence d’un contrat de travail […] n’est pas démontrée », ce qui emporte rejet des prétentions indemnitaires invoquées. La solution adoptée éclaire aussi la manière de traiter la compétence et l’économie du litige lorsque la qualification fait défaut.
II. Portée contentieuse et enseignements pratiques
A. Compétence prud’homale et jugement au fond
L’arrêt infirme la décision de première instance et refuse le renvoi, estimant que le juge prud’homal demeure compétent pour trancher l’incident sur l’existence du contrat. Cette démarche s’accorde avec l’énoncé selon lequel « le conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître des litiges s’élevant à l’occasion d’un contrat de travail ». Plutôt que de dessaisir, la cour « rejette l’exception d’incompétence matérielle soulevée » et statue au fond pour clore promptement l’entier litige. Ce choix renforce la sécurité juridique, évite une multiplication des saisines, et réaffirme la compétence fonctionnelle du juge naturel du contrat allégué. Reste la portée pratique, notamment lorsque des outils de simplification brouillent la frontière entre entreprise et salariat.
B. Enseignements pour les relations de chantier
L’arrêt invite les donneurs d’ordre à proscrire l’usage du CESU hors emploi à domicile, source d’ambiguïtés et d’apparences juridiques sans portée probatoire. La formalisation d’un contrat d’entreprise, devis et factures à l’appui, demeure essentielle pour décrire l’objet, le prix et les étapes de livraison. Pour le prestataire, la démonstration du pouvoir de direction exige des preuves concrètes: consignes écrites, horaires imposés, contrôle hiérarchique, avertissements, et sanctions effectives. À défaut, l’articulation prestation‑rémunération ne suffit pas, l’essence du salariat résidant dans une subordination juridiquement caractérisée et régulièrement exercée. Enfin, la solution rend sans objet les demandes relatives à la rupture, y compris les griefs de travail dissimulé et la contestation de l’article L. 1235‑3. L’économie du litige s’en trouve clarifiée, la cour déboutant l’appelant et le condamnant aux dépens et frais irrépétibles.