Cour d’appel de Lyon, le 10 septembre 2025, n°24/04350

Cour d’appel de Lyon, 10 septembre 2025, sur renvoi après cassation prononcée par la Cour de cassation le 28 février 2024 (n° 227F-D). Cour d’appel d’Aix‑en‑Provence, 22 juillet 2022. Conseil de prud’hommes de Marseille, 24 octobre 2018. Le litige oppose une salariée, visiteuse médicale, engagée par une société de promotion, à l’entreprise cliente dont les produits étaient présentés au corps médical. Il concerne la qualification de co‑emploi et ses conséquences indemnitaires.

La relation contractuelle était structurée par un contrat de prestations exclusif et une convention d’assistance couvrant encadrement opérationnel, gestion administrative, paie et comptabilité. Après la rupture des prestations et la cessation d’activité, un licenciement économique est intervenu, la salariée ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle. Le premier juge a fixé diverses créances à la liquidation de l’employeur et jugé le licenciement fondé, tout en refusant le co‑emploi. La juridiction d’appel initiale a retenu le co‑emploi et condamné l’entreprise cliente. La Cour de cassation a cassé pour défaut de base légale, reprochant l’absence de démonstration d’interventions excédant assistance et contrôle réglementaire. La cour de renvoi devait trancher, dans le périmètre de la cassation, la qualification de co‑emploi et ses effets.

La salariée soutenait un lien de subordination de fait, une confusion d’intérêts et d’activités, ainsi qu’une immixtion anormale et permanente. L’entreprise cliente invoquait la rigueur des normes pharmaceutiques, la charte applicable à la visite médicale et l’économie de la convention d’assistance, excluant tout transfert de pouvoir de direction. La cour de renvoi a rejeté le co‑emploi, confirmé la décision prud’homale sur ce point, et déclaré irrecevables les réformations visant les créances définitivement fixées au passif de l’employeur.

I. La saisine de la cour de renvoi et la définition rigoureuse du co‑emploi

A. L’office de la cour de renvoi et l’autorité de la chose jugée

Le renvoi après cassation circonscrivait strictement le débat aux demandes dirigées contre l’entreprise cliente. Les chefs confirmés par la juridiction d’appel initiale ont acquis autorité à l’égard de la liquidation de l’employeur. La cour déclare irrecevables les tentatives de réouverture des fixations antérieures, tout en rappelant que l’autorité relative de la chose jugée n’interdit pas des demandes distinctes contre l’entreprise cliente. Cette clarification procédurale protège la stabilité des droits fixés et évite les confusions de périmètre après cassation.

La motivation articule utilement la dévolution et l’irrecevabilité, sans anticiper sur le fond. Le juge de renvoi opère un tri: seules subsistent les prétentions liées au co‑emploi et à ses suites indemnitaires contre l’entreprise cliente. Ce cadrage méthodique conditionne l’analyse matérielle et encadre la preuve attendue, conformément aux exigences dégagées par la Cour de cassation.

B. Les critères du co‑emploi hors lien de subordination

La cour rappelle d’abord la voie « subordination » du co‑emploi: « La situation de co‑emploi peut résulter de l’existence d’un lien de subordination du salarié avec l’entreprise co‑employeur, cette subordination se caractérisant par l’exercice des pouvoirs de direction et disciplinaires, soit le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements de l’exécutant. » Cette formule exige la démonstration d’ordres, de contrôle effectif et de sanction imputables au prétendu co‑employeur.

Hors subordination directe, la cour énonce le critère central d’immixtion: « Hors l’existence d’un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de co‑employeur, à l’égard du personnel employé par une autre société, que s’il existe, au‑delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l’état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. » Le standard est élevé et distinct d’une simple influence économique.

La cour ajoute que « L’absence de groupe capitalistique n’est pas exclusive de co‑emploi, le critère tenant à l’immixtion permanente d’une société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière constituant l’essence de la notion de co‑emploi hors lien de subordination. » La clé réside donc dans une immixtion durable, systémique et dépossédante, appréciée in concreto.

II. Une application exigeante au secteur pharmaceutique et la portée contentieuse

A. Le contrôle réglementaire et l’assistance sans immixtion permanente

La cour confronte les éléments invoqués à l’économie d’une activité fortement encadrée. Elle souligne que la visite médicale obéit à des obligations de qualité, de formation et de contrôle, assumées par l’entreprise dont les produits sont promus, y compris lorsque l’exécution commerciale est externalisée. Dès lors, les évaluations, l’animation de la stratégie opérationnelle, le suivi des supports et des messages, ainsi que la vérification des frais ou des indicateurs d’activité s’inscrivent dans un contrôle finaliste, compatible avec l’assistance contractuelle.

La motivation prend soin de distinguer assistance et direction. Quelques participations de représentants du client à des réunions de représentation du personnel sont relevées. Cependant, l’irrégularité ponctuelle reste insuffisante pour caractériser soit un pouvoir disciplinaire autonome, soit une dépossession structurelle de l’employeur. Le juge constate, en outre, le maintien par l’employeur des décisions relatives aux primes, aux congés et au pilotage des ressources humaines, ce qui révèle l’absence de perte d’autonomie.

La cour cristallise cette approche dans une affirmation de principe adaptée au secteur: « Par ailleurs, ni l’exécution de la convention d’assistance sus‑visée, ni les interventions assurées par le laboratoire pharmaceutique en application de la réglementation encadrant l’activité de la visite médicale ne constituent une immixtion permanente de la société … dans la gestion économique et sociale de la société … » L’exigence probatoire demeure cumulative et concrète, non satisfaite par des indices épars ou inhérents à la conformité réglementaire.

B. Les enseignements pour le contentieux du co‑emploi

La solution confirme une lecture stricte du co‑emploi, fidèle à une jurisprudence constante qui refuse de confondre surveillance normative et direction du personnel. Elle verrouille les effets d’une assistance élargie lorsque le prestataire conserve les décisions structurantes et la maîtrise de la discipline. Le risque de co‑emploi n’est pas nié en soi, mais il suppose une immixtion continue, systématiquement décisionnelle, et une véritable perte d’autonomie opérationnelle de l’employeur.

La portée pratique est nette. Dans les secteurs à haute régulation, la preuve doit établir que les prérogatives de conformité ont été détournées en un pilotage social effectif et constant. La participation occasionnelle à des instances ou des process RH ne suffit pas, si les décisions demeurent prises par l’employeur légal. À l’inverse, une présence récurrente aux procédures disciplinaires, la fixation des objectifs individuels et la validation des rémunérations, si elles étaient avérées et répétées, pourraient faire basculer l’analyse.

Enfin, la décision illustre l’importance du périmètre de renvoi après cassation. La stabilisation des créances fixées au passif de l’employeur et l’irrecevabilité corrélative évitent une re‑judiciarisation diffuse. L’arrêt consacre ainsi une double exigence: rigueur procédurale dans la dévolution, et hauteur du seuil probatoire pour admettre le co‑emploi dans des montages d’externalisation régulés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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