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Le licenciement fondé sur un trouble objectif causé par des accusations de harcèlement sexuel constitue une modalité particulière de rupture du contrat de travail. La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 13 juin 2025, apporte des précisions significatives sur les conditions dans lesquelles un employeur peut légitimement se séparer d’un salarié accusé de tels faits.
Un salarié engagé en 1989 en qualité d’ingénieur a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire le 27 mars 2019, à la suite d’un courriel d’une salariée dénonçant des faits de harcèlement sexuel et moral commis depuis onze ans. L’employeur a diligenté une enquête interne avec l’assistance d’une psychologue, au cours de laquelle huit personnes ont été entendues. Les six témoins auditionnés n’ont pas confirmé les griefs exposés par la plaignante. Néanmoins, la psychologue a constaté que cette dernière présentait « des éléments caractéristiques des personnes victimes d’agissements non désirés à connotation sexuelle ». Par lettre du 15 avril 2019, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse, qui a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse tout en condamnant l’employeur au paiement d’un rappel de rémunération variable. Le salarié a interjeté appel, soutenant qu’aucun trouble au sein de l’entreprise n’était caractérisé et qu’aucun fait constitutif de harcèlement n’était établi. L’employeur a formé appel incident sur la recevabilité de la demande de rappel de salaire.
La question posée à la Cour d’appel de Lyon était double. Elle devait déterminer si une demande de rappel de rémunération variable formée en cours d’instance présentait un lien suffisant avec la contestation de la rupture du contrat de travail. Elle devait également apprécier si les accusations de harcèlement sexuel, partiellement corroborées par des éléments postérieurs au licenciement, pouvaient fonder un licenciement pour cause réelle et sérieuse sur le fondement du trouble objectif.
La cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a considéré que la demande de rappel de prime était recevable car « le paiement d’une prime due au jour du prononcé du licenciement fait partie des comptes à faire conséquemment à la rupture du contrat ». Sur le fond, elle a jugé que « les révélations faites portant sur des actes de harcèlement sexuel et moral sont partiellement établies en ce qui concerne les attouchements » et que ces révélations ont « objectivement causé un trouble au sein des équipes de travail ».
Cette décision invite à examiner les conditions d’appréciation du trouble objectif dans l’entreprise (I) avant d’analyser l’étendue de l’obligation de sécurité de l’employeur face aux accusations de harcèlement (II).
I. Les conditions d’appréciation du trouble objectif dans l’entreprise
La caractérisation du trouble objectif suppose l’examen des éléments probatoires à la disposition de l’employeur (A) ainsi que la détermination des manifestations concrètes de ce trouble (B).
A. L’appréciation des éléments probatoires par l’employeur
La cour admet que l’employeur puisse fonder sa décision sur des éléments qui ne constituent pas une preuve formelle des faits dénoncés. Elle relève que « la réalité des actes dénoncés par la salariée, eu égard à leur nature et aux circonstances dans lesquels ils auraient été commis, notamment en l’absence de témoins, ne peut être établie que par des actes d’enquête de police, voire judiciaire ».
Cette reconnaissance des limites de l’enquête interne n’empêche pas l’employeur d’agir. La cour valide le raisonnement selon lequel « les déclarations réitérées de la salariée et les observations de la psychologue constituaient des éléments suffisants d’appréciation ». L’employeur n’est pas tenu d’attendre une décision judiciaire pour prendre des mesures de protection.
La valorisation de l’expertise psychologique dans l’appréciation de la crédibilité des déclarations mérite attention. Le constat que la plaignante présentait des éléments caractéristiques des victimes d’agissements à connotation sexuelle a pesé dans la balance, alors même que les témoignages directs faisaient défaut.
La cour prend également en compte des éléments postérieurs au licenciement pour apprécier la légitimité de la décision de l’employeur. Le témoignage spontané d’une autre salariée le 17 mai 2019 et le dépôt d’une plainte pénale sont mentionnés comme confirmant l’analyse initiale de l’employeur. Cette méthode d’appréciation ex post soulève des interrogations sur la nature du contrôle judiciaire exercé.
B. La caractérisation des manifestations du trouble
Le trouble objectif ne se déduit pas automatiquement de la gravité des accusations. La cour exige des manifestations concrètes au sein de l’entreprise. Elle retient que « les effectifs ont connu de la situation comme le témoignage spontané le confirme » et que l’employeur a dû répondre « par la mise en place d’une cellule d’écoute ».
La mobilisation des salariés au cours de l’enquête interne constitue également un élément du trouble. La cour mentionne les « interrogations » suscitées parmi le personnel. Cette approche extensive du trouble objectif inclut les conséquences organisationnelles de la dénonciation.
L’employeur avait invoqué un préjudice d’image auprès de ses clients du fait de la nécessité d’éloigner le salarié. La cour ne retient pas expressément cet argument dans sa motivation. Le trouble pertinent demeure celui affectant le fonctionnement interne de l’entreprise et les relations entre salariés.
II. L’obligation de sécurité de l’employeur face aux accusations de harcèlement
L’employeur confronté à une dénonciation de harcèlement doit satisfaire à des exigences procédurales (A) tout en disposant d’une latitude dans le choix des mesures adoptées (B).
A. Les exigences procédurales de l’enquête interne
La cour pose le principe selon lequel « l’employeur devait, au titre de son obligation de sécurité, vérifier, avec les moyens dont elle disposait, si les déclarations de sa salariée étaient plausibles ». Cette obligation de vérification n’exige pas la démonstration de la véracité des faits mais seulement l’appréciation de leur vraisemblance.
Le recours à un professionnel extérieur, en l’espèce une psychologue, renforce la légitimité de l’enquête. L’audition de huit personnes, incluant la plaignante et le salarié mis en cause, satisfait aux exigences du contradictoire. La cour ne censure pas la procédure suivie malgré le caractère négatif des témoignages recueillis.
La confidentialité de l’enquête n’a pas empêché son objet d’être « connu des effectifs ». Cette divulgation, loin d’être reprochée à l’employeur, participe de la caractérisation du trouble objectif. Le paradoxe est ainsi résolu en faveur de l’employeur.
B. La latitude dans le choix du fondement du licenciement
L’employeur a initialement engagé une procédure disciplinaire par la mise à pied conservatoire. Il a ensuite opté pour un licenciement pour cause réelle et sérieuse fondé sur le trouble objectif. La cour valide cette évolution en considérant que la mise à pied était justifiée par « les nécessités de protéger la salariée et permettre la mise en œuvre d’une enquête ».
Le choix de ne pas retenir la faute grave n’invalide pas les mesures conservatoires prises. La cour juge que la mise à pied était « fondée par la preuve faite d’actes d’attouchement à caractère sexuel ». Cette formulation suggère que les faits de harcèlement sont partiellement établis, ce qui dépasse le simple constat d’un trouble.
Le salarié avait fait valoir que l’absence de licenciement pour faute démontrait l’inconsistance des accusations. La cour rejette implicitement cet argument en distinguant les exigences probatoires propres à chaque fondement. Le licenciement pour trouble objectif permet à l’employeur de se séparer du salarié sans avoir à établir formellement la réalité des faits reprochés.
La portée de cette décision réside dans l’articulation entre l’obligation de sécurité et le licenciement pour trouble objectif. L’employeur peut agir sur la base d’accusations vraisemblables sans attendre leur confirmation judiciaire. Cette solution protège les victimes potentielles mais expose les salariés accusés à des ruptures fondées sur des éléments non définitivement établis.