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Je vais d’abord lire intégralement la décision que vous m’avez soumise pour en saisir tous les éléments avant de rédiger le commentaire d’arrêt.
La décision soumise concerne un arrêt de la Cour d’appel de Lyon, chambre sociale, du 13 juin 2025. Je dispose de l’ensemble des éléments nécessaires pour procéder au commentaire.
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Par un arrêt du 13 juin 2025, la chambre sociale de la Cour d’appel de Lyon s’est prononcée sur une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par une salariée à l’encontre d’un office public d’habitat, dans le contexte particulier d’une fusion de quatre organismes de logement social.
Une salariée avait été engagée en 2006 en qualité de responsable de paie. Elle avait progressivement évolué pour occuper, à compter du 1er janvier 2020, un poste de responsable de service activités fonctionnelles au statut de cadre. Dans le cadre de la fusion de quatre offices publics d’habitat, effective au 1er janvier 2021, la salariée s’était vu proposer un avenant prévoyant un emploi de gestionnaire support ressources humaines, relevant d’une catégorie inférieure et d’un statut de non-cadre. La salariée avait refusé de signer cet avenant. Placée en arrêt de travail à compter de février 2021, elle avait été déclarée inapte à tout poste en novembre 2021 puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La salariée avait saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire fondée sur un harcèlement moral, subsidiairement sur une exécution déloyale du contrat de travail. Le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne, par jugement du 27 septembre 2023, avait prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamné l’office à diverses sommes. L’employeur avait interjeté appel, contestant tant le harcèlement que les manquements invoqués. La salariée sollicitait la confirmation de la résiliation judiciaire et demandait que celle-ci produise les effets d’un licenciement nul en raison du harcèlement allégué.
La question posée à la Cour d’appel de Lyon était double : d’une part, les faits invoqués par la salariée étaient-ils constitutifs d’un harcèlement moral justifiant une résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement nul ; d’autre part, à défaut de harcèlement, l’employeur avait-il commis un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.
La cour d’appel a écarté le harcèlement moral mais a confirmé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, celle-ci produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a considéré que la proposition de modification du contrat résultait légitimement de l’opération de fusion, mais que l’employeur avait manqué à ses obligations en ne tirant pas les conséquences du refus de la salariée, qui aurait dû être maintenue à son statut de cadre ou faire l’objet d’une procédure de licenciement.
L’analyse de cet arrêt conduit à examiner successivement le rejet du harcèlement moral malgré les griefs invoqués par la salariée (I), puis l’appréciation du manquement contractuel de l’employeur dans le contexte d’une fusion d’entreprises (II).
I. Le rejet du harcèlement moral : une appréciation stricte des éléments constitutifs
A. L’insuffisance des sollicitations professionnelles volontairement acceptées
La salariée invoquait une surcharge de travail résultant de sollicitations durant ses arrêts maladie. Elle produisait des échanges de messages téléphoniques attestant de demandes de travail pendant la période de septembre à décembre 2020. La cour relève que « la teneur des échanges montre que [la salariée] souhaitait aider ses collègues sans contrainte ». Cette constatation est corroborée par une attestation précisant que l’intéressée « autorisait des appels téléphoniques durant ses arrêts de travail pour aider ses collègues ».
La cour en déduit que « la réponse d’un salarié à des sollicitations de collègues, sans contrainte aucune de l’employeur, pendant la suspension de son contrat de travail ne peut constituer un acte matériel de harcèlement ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant que les agissements de harcèlement soient imputables à l’employeur ou à ses préposés agissant dans l’exercice de leur pouvoir de direction. L’initiative personnelle du salarié, fût-elle motivée par un sentiment de loyauté envers ses collègues, ne saurait fonder une accusation de harcèlement.
La cour ajoute que « ces sollicitations ne peuvent être qualifiées de surcharge d’activité, cette notion étant propre à une situation d’activité en cours ». Cette précision terminologique revêt une importance pratique : la surcharge de travail suppose l’existence d’une prestation de travail effective dans le cadre de l’exécution du contrat, ce qui exclut par définition les périodes de suspension.
B. La modification contractuelle résultant d’une réorganisation collective
La salariée invoquait également une rétrogradation constitutive de harcèlement moral. La cour examine ce grief au regard du contexte de la fusion des quatre offices publics d’habitat. Elle constate que « la création du nouvel office a entrainé la dénonciation des accords relatifs au temps de travail et l’établissement d’une nouvelle classification des emplois ». Les salariés avaient pu candidater à différents postes et la salariée avait elle-même postulé pour l’emploi litigieux.
La cour juge que « la proposition de modification du contrat de travail ne constitue ni un acte de harcèlement moral ni une exécution déloyale du contrat de travail mais résulte de l’opération de fusion, de la création d’un nouvel établissement et des conséquences quant à la restructuration des effectifs ». Cette analyse distingue l’intention de nuire, caractéristique du harcèlement, de la mise en œuvre d’une réorganisation collective négociée avec les partenaires sociaux.
La qualification de harcèlement moral suppose des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail. L’existence d’une cause objective et légitime, ici la fusion d’entreprises encadrée par des accords collectifs, exclut que les mesures prises puissent être regardées comme ayant un tel objet. Le harcèlement moral ne peut servir de fondement à la contestation de toute décision défavorable au salarié.
II. Le manquement contractuel de l’employeur : les limites du pouvoir de direction dans le transfert d’entreprise
A. L’impossibilité d’imposer une modification du contrat résultant d’une candidature du salarié
La cour reconnaît que la proposition de poste faite à la salariée était conforme aux modalités de la fusion et aux accords collectifs applicables. Elle relève que l’intéressée avait elle-même candidaté à l’emploi proposé. Cette candidature spontanée ne valait cependant pas acceptation définitive des nouvelles conditions contractuelles.
La cour énonce que « dès lors que [la salariée] refusait les modifications de son contrat, après l’avoir demandé en candidatant au dit emploi, il appartenait à l’employeur de tirer les conséquences de ce refus ». Cette formulation rappelle le principe selon lequel la modification du contrat de travail requiert l’accord du salarié. La candidature à un poste dans le cadre d’une réorganisation ne constitue qu’une manifestation d’intérêt, non un engagement contractuel irrévocable.
L’employeur se trouvait alors devant une alternative : « soit en maintenant [la salariée] à son statut de cadre, soit en engageant une procédure de licenciement s’il estimait que le refus n’était pas légitime ». Cette analyse met en lumière l’articulation entre le transfert légal du contrat de travail prévu par l’article L. 1224-1 du code du travail et la protection du salarié contre les modifications unilatérales de son contrat.
B. La qualification du manquement et ses conséquences sur la résiliation judiciaire
La cour précise la nature du manquement retenu. Elle juge que celui-ci « ne constitue pas une exécution déloyale en ce qu’il résulte d’une appréciation erronée des conséquences de la fusion et de l’accord d’adaptation qui ne pouvait pas priver [la salariée] du bénéfice de son statut de cadre ». Cette qualification écarte l’intention de nuire tout en reconnaissant la faute de l’employeur.
L’erreur d’appréciation de l’employeur portait sur l’étendue de ses pouvoirs dans le cadre de la fusion. L’accord d’adaptation anticipé et les négociations collectives ne pouvaient avoir pour effet d’autoriser une modification unilatérale des éléments essentiels du contrat de travail. Le statut de cadre, élément déterminant de la relation contractuelle, ne pouvait être supprimé sans l’accord exprès du salarié ou sans mise en œuvre d’une procédure de licenciement pour motif économique.
La résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette solution confirme que le manquement, bien que non intentionnel, était suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat. La cour valide ainsi le quantum des dommages et intérêts fixé par les premiers juges, manifestant une appréciation mesurée du préjudice subi par la salariée dans ce contexte de réorganisation collective.