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La Cour d’appel de Lyon, 1re chambre civile B, 17 juin 2025, tranche un contentieux de voisinage né de l’édification d’une construction mitoyenne. Les propriétaires du fonds ancien se plaignaient d’une perte de vue et d’une atteinte à l’ensoleillement, fondant des demandes indemnitaires et des mesures de remise en état. Une expertise judiciaire a été ordonnée. Le tribunal judiciaire de Lyon, le 23 mai 2023, a rejeté les demandes indemnitaires, ordonné la suppression de réseaux au droit de la limite séparative, et refusé la nullité du rapport d’expertise. En appel, les demandeurs sollicitent la reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage, la nullité de l’expertise, et la réparation corrélative. Les défendeurs concluent à la confirmation, en contestant tout trouble et en invoquant la normalité des inconvénients en zone urbaine.
La question posée portait d’abord sur la validité du rapport d’expertise au regard de l’exigence d’impartialité et de l’absence de grief procédural. Elle portait ensuite sur la caractérisation d’un trouble anormal de voisinage en milieu périurbain, au prisme de la densification, de l’atteinte aux vues et de l’ensoleillement, et enfin sur l’existence d’une servitude d’écoulement d’eaux usées. La cour confirme le jugement, à l’exception de la suppression de la canalisation d’eaux usées, en retenant l’existence d’un titre de servitude ; elle écarte tout trouble anormal, refuse toute indemnisation, et maintient la suppression du câble téléphonique.
I. Le contrôle de l’expertise et la charge de la preuve du trouble
A. Les conditions de nullité de l’expertise et l’exigence d’impartialité
La cour rappelle le cadre procédural des nullités. Elle cite utilement le principe selon lequel « La nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure ». Elle ajoute la règle de fond de l’article 114 du code de procédure civile, selon laquelle « La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité ». Le standard d’exercice de la mission technique est réaffirmé : « le technicien doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ».
Au vu de ces critères, le grief allégué de partialité est écarté. La décision retient que les appréciations sur la volumétrie, l’implantation et l’intégration au site relèvent de la mission, et ne traduisent pas une prise de parti. La divergence entre l’expert et un sapiteur sur le quantum d’une perte de valeur n’emporte pas, à elle seule, suspicion de subjectivité. La cour souligne que l’expert n’a conclu ni à une violation du permis, ni à un trouble juridiquement qualifié, mais s’est borné à fournir des éléments techniques. Ce faisant, elle neutralise le moyen de nullité par défaut d’irrégularité caractérisée et d’atteinte démontrée aux droits de la défense.
B. L’office du juge face aux appréciations techniques et la preuve du trouble
La cour assume un contrôle sur la portée des observations techniques, sans se substituer à l’expert dans ses compétences. Elle énonce que « le fait que l’expert n’aille pas dans le sens des prétentions d’une partie ne rend pas le rapport subjectif ». Cette mise au point articule clairement la frontière entre opinion technique motivée et partialité, et recentre le débat sur l’objet du litige.
S’agissant de la charge probatoire, la formule de principe est reprise et appliquée : « Il appartient à celui qui prétend subir un tel trouble d’en rapporter la preuve, sans être tenu de prouver la faute de l’auteur de ce trouble ». Le standard probatoire gouverne l’analyse du trouble dans toutes ses composantes. La cour constate l’insuffisance des éléments de preuve d’un excès par rapport aux inconvénients normaux du voisinage, en raison notamment de la topographie, des distances réglementaires et de l’état antérieur des lieux. L’expertise éclaire, mais la qualification demeure judiciaire et centrée sur l’anormalité objectivement mesurée.
II. L’anormalité du trouble en milieu urbanisé et les incidences réelles
A. Vue, ensoleillement et densification en zone urbaine
La cour rappelle le principe directeur, en ces termes : « En droit, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Elle précise la méthode en signalant l’autonomie du droit des troubles par rapport à l’urbanisme : « un éventuel non respect par le permis de construire de l’article UE11 du PLU ne caractérise pas en lui-même l’anormalité du trouble ». La conformité au PLU n’absout pas, mais l’illégalité urbanistique n’institue pas, en elle-même, un trouble.
La densification du bâti constitue ici un élément déterminant de normalité. La cour énonce qu’« il n’existe pas de droit imprescriptible à jouir d’un panorama, surtout en milieu urbanisé ». Elle relève l’absence d’atteinte qualitative à la lumière du bâti principal, la présence au plus d’ombres matinales limitées sur une portion de terrain, et l’existence de cônes de vue résiduels. Elle rappelle, pour la chaîne des responsabilités, que « Les locateurs d’ouvrage ayant exécuté des travaux à l’origine du trouble peuvent voir leur responsabilité engagée en qualité de voisins occasionnels ». L’affirmation conserve cependant une portée théorique dès lors que l’anormalité fait défaut. L’ensemble conduit à qualifier les gênes d’inconvénients normaux, exclusifs d’une indemnisation.
B. Servitude d’écoulement des eaux usées et démantèlement des réseaux
Le contentieux accessoire sur les réseaux est résolu par le droit des biens. À la lecture coordonnée des titres, la cour décide que « Il résulte suffisamment de ces dispositions non démenties en appel qu’une servitude de passage d’écoulement des eaux usées a été créée ». La suppression de la canalisation d’eaux usées est donc refusée, la servitude garantissant le passage. La solution préserve l’équilibre des fonds par le jeu d’un droit réel antérieur et opposable.
La décision maintient, en revanche, la suppression du câble téléphonique, en relevant l’absence de titre spécifique et l’imprécision du tracé. La solution distingue avec justesse le régime des deux réseaux, en fonction des preuves rapportées par titres. Elle illustre une articulation nette des branches du droit : les troubles anormaux sont écartés au fond, tandis que la circulation des ouvrages enterrés se jauge au regard des servitudes établies. L’arrêt confirme ainsi une approche sobre et pragmatique, où l’anormalité ne se déduit ni d’une perte de vue relative ni de la seule morphologie d’un projet conforme aux prescriptions urbanistiques.