Cour d’appel de Lyon, le 18 juin 2025, n°24/03773

Par arrêt du 18 juin 2025, la Cour d’appel de Lyon, statuant en référé, a confirmé une ordonnance ordonnant à une SCI propriétaire d’une parcelle boisée de procéder à l’abattage de plusieurs peupliers et d’un frêne menaçant la propriété voisine. Cette décision illustre les tensions entre la prévention du dommage imminent et les considérations patrimoniales ou environnementales invoquées pour s’y opposer.

Les faits de l’espèce concernent deux propriétés voisines situées sur la commune de Poncin. Le 19 décembre 2022, un arbre situé sur la parcelle boisée d’une SCI s’est effondré dans la cour du propriétaire voisin. Une expertise judiciaire a été ordonnée et confiée à un expert forestier, lequel a déposé son rapport en août 2023. Le 20 novembre 2023, pendant les opérations d’expertise, un nouvel arbre est tombé sur la parcelle du voisin, détruisant une clôture.

Le propriétaire voisin a saisi le juge des référés aux fins d’obtenir la condamnation de la SCI à procéder à l’abattage de sept peupliers et d’un frêne. Par ordonnance du 26 mars 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a fait droit à cette demande, ordonnant l’abattage sous astreinte de cent euros par jour de retard. La SCI a interjeté appel, invoquant notamment la prescription trentenaire de l’article 672 du code civil, l’absence de danger établi par les rapports de l’Office national des forêts et le refus d’autorisation de l’Architecte des Bâtiments de France.

La question posée à la Cour d’appel de Lyon était celle de savoir si le risque de chute d’arbres vieillissants caractérise un dommage imminent au sens de l’article 835 du code de procédure civile, nonobstant une prescription acquisitive alléguée et un avis défavorable de l’autorité patrimoniale.

La cour a confirmé l’ordonnance déférée. Elle a retenu que l’expertise judiciaire démontrait que les peupliers, âgés de soixante-dix à quatre-vingts ans, se trouvaient en phase de sénescence, leur système racinaire ne permettant plus un ancrage suffisant. La juridiction a écarté le moyen tiré de la prescription trentenaire comme celui fondé sur l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France, ce dernier n’ayant pas compétence pour apprécier les éléments techniques du dossier.

L’intérêt de cet arrêt réside dans la caractérisation du dommage imminent en matière de troubles de voisinage liés aux arbres (I) et dans l’articulation entre l’urgence et les considérations patrimoniales ou environnementales (II).

I. La caractérisation du dommage imminent par l’expertise physiologique des arbres

La cour fonde sa décision sur une analyse approfondie de l’état des arbres litigieux (A), tout en écartant les éléments techniques contradictoires produits par l’appelante (B).

A. L’appréciation scientifique de l’état de sénescence des arbres

L’article 835 alinéa premier du code de procédure civile permet au juge des référés de prescrire les mesures conservatoires qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent, même en présence d’une contestation sérieuse. La cour a fait application de ce texte en se fondant sur les conclusions de l’expert judiciaire.

L’expert forestier a procédé à une analyse dendrométrique des sept peupliers restants. Il a estimé leur âge « entre 70 et 80 ans » par le comptage des cernes sur les souches des arbres abattus, la comparaison des diamètres et l’analyse des photographies aériennes historiques. La cour reprend cette analyse en relevant que cet âge « correspond à la phase de sénescence » pour ce type de peupliers.

Le diagnostic physiologique ne s’est pas limité à l’examen du tronc. L’expert a observé que « les branches portent peu de rameaux feuillés jeunes et des branches sèches sont présentes, témoins de la perte de vigueur des arbres ». La cour en déduit que le système racinaire de ces arbres est nécessairement affecté, compromettant leur ancrage au sol.

La juridiction relève que l’expert a conclu sans ambiguïté que « la survie des 7 peupliers est compromise à court terme (entre 0 et 10 ans, sans aléa climatique majeur) » et que deux d’entre eux « menacent directement le bâtiment de la parcelle » voisine. Le danger pour les personnes et les biens apparaît ainsi caractérisé par une analyse scientifique cohérente et circonstanciée.

B. Le rejet des analyses techniques contradictoires

La SCI appelante a produit un diagnostic réalisé par un technicien de l’Office national des forêts, lequel avait conclu à l’absence de danger après sondage au pénétromètre Résistograph. Cet appareil permet d’évaluer la qualité interne du bois par forage. La cour écarte cette analyse en des termes particulièrement nets.

La juridiction retient que ce diagnostic a été établi « sans aucune précision » et que la note complémentaire du technicien, « consistant à commenter le rapport de M. [P] qu’il juge sans fondement, sans éléments techniques et sans analyse technique ne suffit nullement à remettre en cause les conclusions de ce dernier ». La formulation révèle une critique méthodologique sévère.

La cour s’appuie sur les explications de l’expert judiciaire concernant les limites du pénétromètre. Cet instrument, « s’il peut constituer un élément de diagnostic mécanique en donnant une bonne idée de l’intérieur du tronc à la hauteur du forage, n’est en rien un déterminant essentiel de ce diagnostic dès lors que l’absence de cavité au niveau du forage ne signifie pas que tout le tronc est sain ». L’analyse ponctuelle ne saurait ainsi se substituer à un examen physiologique global.

La juridiction observe enfin que le technicien de l’ONF a lui-même fini par « conclure à la nécessité d’abattre deux des 7 peupliers », ce qui achève de discréditer son analyse initiale. Cette contradiction interne justifie qu’il n’y ait « pas lieu de tenir compte » de son premier rapport.

II. La primauté de l’urgence sur les considérations patrimoniales et environnementales

La cour écarte successivement le moyen tiré de la prescription acquisitive trentenaire (A) et celui fondé sur la protection du patrimoine architectural (B).

A. L’inapplicabilité de la prescription trentenaire en présence d’un danger avéré

La SCI appelante invoquait les dispositions de l’article 672 du code civil, aux termes desquelles le propriétaire d’arbres plantés à une distance non réglementaire peut se prévaloir de la prescription trentenaire pour s’opposer à leur arrachage. Ce moyen de défense tendait à rendre les arbres litigieux inabattables par l’écoulement du temps.

La cour écarte ce moyen sans développement particulier, retenant simplement qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte. Cette solution se justifie par la nature même du référé et de l’action exercée. Le propriétaire voisin ne sollicitait pas l’arrachage des arbres sur le fondement de l’article 672 du code civil pour non-respect des distances de plantation. Il agissait sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile pour prévenir un dommage imminent.

La prescription trentenaire, qui consolide une situation de fait contraire aux règles de distance, ne saurait faire obstacle à la prévention d’un danger. Un arbre prescrit n’en devient pas moins dangereux avec le temps. La sénescence qui justifie le risque de chute est précisément la conséquence de l’ancienneté des arbres. Retenir la prescription comme obstacle à l’abattage conduirait au paradoxe de protéger d’autant plus un arbre qu’il serait devenu menaçant.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une logique de responsabilité. Le propriétaire d’un arbre demeure tenu des dommages qu’il cause, indépendamment de toute prescription. Le dommage imminent constitue une situation distincte de la simple violation des règles de distance.

B. L’absence de compétence de l’autorité patrimoniale en matière de sécurité

La SCI faisait valoir que les arbres litigieux se trouvaient dans le périmètre de protection du château de Poncin, monument historique, et que l’Architecte des Bâtiments de France avait rendu deux avis défavorables à leur abattage les 9 octobre 2024 et 3 avril 2025. Ces avis soulignaient que l’abattage « appauvrirait de façon définitive l’écrin paysager et l’environnement bâti protégé du domaine du château ».

La cour neutralise ce moyen par une distinction fondée sur les compétences respectives des autorités administratives. Elle rappelle que l’Architecte des Bâtiments de France « se prononce au regard des enjeux bâtis et paysagers constitutifs de la préservation de l’écrin du monument historique, mais n’a pas compétence pour se prononcer sur les éléments d’expertise technique fournis dans le dossier, lesquels sont laissés à l’appréciation du Maire au titre de ses compétences propres ».

Cette motivation distingue clairement la compétence patrimoniale de la compétence technique. L’Architecte des Bâtiments de France apprécie l’impact visuel et historique d’un projet. Il ne lui appartient pas d’évaluer si un arbre présente un danger de chute. La sécurité des personnes relève d’une autre autorité et, en cas de contentieux, du juge.

La cour relève au surplus que l’avis de cette autorité a été « fluctuant », un avis favorable ayant été rendu le 15 novembre 2024, suivi d’une décision de non-opposition de la mairie le 18 novembre 2024. La SCI avait d’ailleurs elle-même fait procéder à l’abattage de trois arbres en janvier 2025 par une équipe de l’ONF. Cette exécution partielle témoigne de ce que l’appelante reconnaissait implicitement le bien-fondé de l’injonction prononcée.

La solution retenue préserve l’efficacité du référé. Les considérations patrimoniales ne sauraient paralyser la prévention d’un dommage imminent caractérisé par une expertise judiciaire. La protection du patrimoine architectural trouve sa limite dans la protection des personnes.

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Hassan KOHEN
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