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Par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 19 juin 2025, statuant sur l’appel d’une ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon le 23 janvier 2024, la juridiction se prononce sur la recevabilité d’une action en restitution fondée sur des clauses prétendument abusives dans deux prêts immobiliers libellés en francs suisses. Deux emprunteurs avaient souscrit en 2008 et 2010 des prêts destinés à l’acquisition et à l’amélioration de leur résidence principale, dont le remboursement s’effectuait par échéances trimestrielles selon des modalités fixées à taux fixe puis variable.
Assigné le 28 février 2023, l’établissement de crédit a saisi le juge de la mise en état d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en restitution. Celui-ci a déclaré irrecevables les restitutions réclamées pour les versements antérieurs au 28 février 2018, au motif que les emprunteurs avaient connaissance, dès un courriel du 6 janvier 2015, d’un déséquilibre significatif. Les emprunteurs ont interjeté appel, soutenant que la prescription ne pouvait courir qu’à compter de la constatation judiciaire du caractère abusif des clauses. L’établissement intimé a conclu à la confirmation, faisant valoir que la connaissance des faits remontait à 2015.
La question posée tient au point de départ du délai quinquennal applicable à l’action en restitution des sommes payées en exécution de clauses potentiellement abusives dans un contrat de prêt en devises. S’agit‑il de la date à laquelle des éléments factuels laissent apparaître un déséquilibre, ou de la date de décision constatant juridiquement l’abus? La cour retient la seconde branche, à la lumière de la directive 93/13 et de la jurisprudence européenne et nationale, et déclare recevable l’action en restitution, y compris pour les versements antérieurs au 28 février 2018.
I. La fixation du point de départ conforme au droit de l’Union
A. Le cadre normatif et l’exigence d’effectivité
Le délai de droit commun est régi par l’article 2224 du code civil, selon lequel: « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » En matière de clauses abusives, l’interprétation de ce texte doit respecter l’effectivité des droits conférés par la directive 93/13, telle que dégagée par la jurisprudence européenne.
La cour reprend la solution dégagée par la Cour de justice le 10 juin 2021, selon laquelle les dispositions pertinentes « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive. » L’arrêt rappelle aussi la solution du 9 juillet 2020, suivant laquelle les mêmes dispositions « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l’action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l’exécution intégrale de ce contrat, lorsqu’il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu’à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions. »
La Cour de cassation a pris acte de cette exigence. L’arrêt reproduit explicitement que « Par arrêt du 12 juillet 2023, la Cour de Cassation a déduit des arrêts de la CJUE susvisés que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du code civil et à l’article L. 110-4 du code de commerce, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. » La cour d’appel s’inscrit dans ce sillage, en refusant tout mécanisme de départ anticipé pouvant priver le consommateur d’un exercice effectif de ses droits.
B. Le contrôle in concreto de la connaissance du consommateur
La cour examine également l’argument factuel tiré d’un courriel ancien, indiquant un encours élevé malgré des paiements réguliers. Elle juge que la simple perception d’un effet de change défavorable ne révèle pas, à elle seule, l’abus au sens de la directive 93/13. Elle l’énonce nettement: « Néanmoins, ce seul élément n’est pas suffisant pour établir qu’à cette date, les emprunteurs étaient en mesure d’apprécier eux-mêmes le caractère abusif des clauses des prêts considérés au sens de la directive 93/13 CEE du 5 avril 1993 ou avaient connaissance du caractère abusif de ces clauses. » Le contrôle s’opère donc au regard de la capacité concrète du consommateur à identifier un manquement d’information ou un déséquilibre normatif, et non à partir d’un simple constat économique.
Cette appréciation in concreto complète la solution de principe. Elle neutralise les présomptions irréfragables de connaissance posées par certains raisonnements de fait, trop sévères en présence de contrats techniquement complexes, et préserve l’égalité de traitement avec des actions similaires du droit interne.
II. La portée pratique et la valeur de la solution
A. Une consécration de la jurisprudence convergente
En confirmant le départ du délai à la date de la décision constatant l’abus, la cour sécurise l’articulation entre droit interne et droit de l’Union. La citation selon laquelle « le point de départ du délai de prescription quinquennale […] doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses » confère une clarté appréciable aux acteurs. Elle écarte les lectures fondées sur une connaissance présumée, évoquées par l’arrêt du 9 juillet 2020, qui heurteraient à la fois l’effectivité et l’équivalence.
La solution est également cohérente avec l’économie de la directive 93/13. La qualification d’abus suppose une analyse de la transparence matérielle et des conséquences du mécanisme en devises, hors négociation, ce qui excède les perceptions ordinaires du consommateur. Le choix opéré rétablit une symétrie entre l’exigence d’information loyale et le délai utile pour agir.
B. Conséquences contentieuses et limites
La décision entraîne la recevabilité de restitutions couvrant des périodes antérieures significatives, ce qui élargit l’office du juge du fond dans les dossiers de prêts en devises. Elle favorisera une consolidation du contentieux autour d’examens au fond des clauses de risque de change, des mécanismes d’indexation et de la transparence des marges. Les établissements concernés devront anticiper la conservation probatoire et l’ajustement de leurs défenses.
L’arrêt ménage toutefois un équilibre procédural. La cour refuse d’élargir son office au-delà de l’incident tranché, en déclarant irrecevable la demande tendant à voir juger recevable, en tant que telle, l’action en constatation du caractère abusif, qui n’avait pas été soumise au juge de la mise en état. Le contentieux se trouve ainsi ordonné: la temporalité de la prescription est fixée de manière protectrice, tandis que la discussion sur l’abus sera tranchée au fond, sous le contrôle des principes d’effectivité et de sécurité juridique.