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Le travail temporaire constitue une forme d’emploi dont le cadre juridique fait l’objet d’un contrôle rigoureux par les juridictions sociales. La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 2 juillet 2025, est venue préciser les conditions de la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée et les conséquences qui en découlent tant à l’égard de l’entreprise utilisatrice que de l’entreprise de travail temporaire.
Un salarié avait été mis à disposition d’une société de construction par une entreprise de travail temporaire à compter du 9 juillet 2007. La relation de travail s’est poursuivie pendant plus de dix années par la conclusion de nombreux contrats de mission successifs pour des travaux de coffrage et de maçonnerie. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon le 20 juillet 2018 aux fins de voir requalifier l’ensemble des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée et d’obtenir diverses indemnités consécutives à la rupture de la relation contractuelle.
Par jugement du 9 mars 2021, le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes, estimant qu’il n’y avait pas lieu de requalifier les contrats de mission. Le salarié a interjeté appel de cette décision. Devant la cour, il soutenait que les contrats de mission avaient pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice et que l’entreprise de travail temporaire n’avait pas respecté ses obligations de transmission des contrats dans le délai légal.
La question posée à la cour était double : d’une part, les conditions de requalification des contrats de mission étaient-elles réunies à l’égard de chacune des deux sociétés et, d’autre part, quelles conséquences devaient être tirées d’une telle requalification sur la rupture de la relation contractuelle ?
La cour d’appel de Lyon infirme partiellement le jugement entrepris. Elle requalifie les contrats de mission en contrat à durée indéterminée avec l’entreprise utilisatrice à compter du 7 juillet 2007 et avec l’entreprise de travail temporaire à compter du 20 juillet 2016, après avoir déclaré prescrite la demande dirigée contre cette dernière pour les contrats antérieurs. Elle juge que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne les deux sociétés in solidum au paiement de diverses indemnités.
L’arrêt présente un intérêt particulier en ce qu’il illustre le régime dualiste de la requalification des contrats de mission (I) et ses conséquences sur la qualification de la rupture (II).
I. Le régime dualiste de la requalification des contrats de mission
La cour distingue nettement les conditions de requalification selon qu’elle est dirigée contre l’entreprise utilisatrice (A) ou contre l’entreprise de travail temporaire (B).
A. La requalification à l’égard de l’entreprise utilisatrice fondée sur le défaut de justification du motif de recours
La cour rappelle le cadre légal applicable en visant les articles L.1251-5 et L.1251-6 du code du travail. Elle énonce que « le contrat de mission quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pouvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ». Elle précise ensuite la répartition de la charge probatoire : « la charge de la preuve de l’accroissement temporaire d’activité appartient à l’entreprise utilisatrice alors que la preuve que le contrat a pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice appartient au salarié qui s’en prévaut ».
En l’espèce, la cour constate que le salarié « ne justifie aucunement qu’il était affecté sur chacun de ces chantiers du démarrage à la livraison ou sur l’intégralité des périodes d’intervention » de l’entreprise utilisatrice. Elle en déduit que « la preuve que les contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice n’est pas rapportée ».
La cour prononce néanmoins la requalification en se fondant sur un autre motif. Elle relève que « la société n’apporte aucun élément pour justifier que chacun des contrats était justifié par un accroissement temporaire d’activité, que ce soit lié au démarrage de chantier ou par des délais à respecter ». L’entreprise utilisatrice ne pouvait se retrancher derrière la confidentialité des informations « dès lors que la production des marchés n’est pas nécessaire au regard de la liberté de la preuve en matière prud’homale ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose à l’entreprise utilisatrice de démontrer la réalité du motif de recours invoqué dans chaque contrat de mission. Le simple énoncé d’un accroissement temporaire d’activité ne suffit pas ; encore faut-il que ce motif corresponde à une réalité vérifiable.
B. La requalification à l’égard de l’entreprise de travail temporaire fondée sur le défaut de transmission des contrats
À l’égard de l’entreprise de travail temporaire, la cour procède d’abord à l’examen de la prescription. Elle retient que « lorsque l’action en requalification est fondée sur l’absence d’établissement d’un écrit, le délai biennal court à compter de l’expiration du délai de deux jours ouvrables impartis pour transmettre au salarié le contrat de travail ». Le salarié ayant saisi la juridiction le 20 juillet 2018, « la demande en requalification des contrats antérieurs au 20 juillet 2016 est prescrite ».
Sur le fond, la cour examine le respect des dispositions de l’article L.1251-17 du code du travail qui impose la transmission du contrat de mission au salarié dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition. Elle constate que « la société Adequat 015 n’apporte aucun élément justifiant de leur date de transmission » et qu’« à défaut de produire les contrats de mission signés du salarié pour cette période et de toute réclamation de sa part auprès du salarié pour qu’il lui fasse retour des documents signés, l’entreprise de travail temporaire échoue à démontrer qu’elle s’est déchargée de son obligation de transmission ».
La cour précise que les dispositions de l’ordonnance du 22 septembre 2017, qui ont modifié les conséquences du défaut de transmission, « ne sont pas applicables pour les contrats antérieurs au 23 septembre 2017 ». Cette précision temporelle présente un intérêt pratique considérable puisqu’elle détermine le régime applicable selon la date de conclusion du contrat litigieux.
II. Les conséquences de la requalification sur la rupture de la relation contractuelle
La requalification emporte des conséquences tant sur la qualification de la rupture (A) que sur l’indemnisation du salarié (B).
A. La qualification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse
La cour examine les circonstances de la cessation de la relation de travail. Elle relève qu’aucun avenant de prolongation n’avait été signé pour la dernière période et que le salarié avait sollicité ses documents de fin de contrat par courriel. Elle écarte la thèse de la démission en l’absence de lettre de démission. Elle rejette également celle de l’abandon de poste en relevant que « la feuille de pointage BLB-Adequat mentionne pour le salarié à la date du 22 mai 2018 : abandon de poste à 8h » mais qu’« elle n’est aucunement signée par les salariés dont les noms y figurent ».
La cour en déduit que « l’employeur ne saurait alors se prévaloir d’une rupture anticipée aux torts du salarié » et que « la rupture est intervenue sans forme ni lettre de licenciement exposant les griefs invoqués à l’encontre du salarié ». Elle en conclut qu’« elle est donc constitutive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
Cette analyse procède d’une application classique des règles relatives à la requalification. Dès lors que les contrats de mission sont requalifiés en contrat à durée indéterminée, la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur sans respect des formes du licenciement s’analyse nécessairement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour écarte par ailleurs la demande du salarié tendant à voir écarter le barème d’indemnisation prévu à l’article L.1235-3 du code du travail. Elle juge que ces dispositions « sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT ». Elle ajoute que « l’examen régulier des modalités d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du code du travail est effectif » en visant plusieurs rapports d’évaluation.
B. La condamnation in solidum des deux sociétés et le mécanisme de garantie
La cour retient que « les deux sociétés ont chacune manqué à des obligations qui étaient spécifiquement mises à leur charge respective, en sorte qu’elles seront condamnées in solidum ». Cette condamnation solidaire est toutefois limitée « pour la société Adequat 015, des droits de M. [D] à son encontre ».
La cour procède à une distinction selon l’ancienneté du salarié auprès de chaque société. Auprès de l’entreprise utilisatrice, « l’ancienneté de M. [D] remonte au 7 juillet 2007 et correspond donc à une ancienneté de 10 ans et 10 mois au jour de la rupture ». Auprès de l’entreprise de travail temporaire, en raison de la prescription, l’ancienneté « remonte au 20 juillet 2016, soit à une ancienneté d’une année et 10 mois lors de la rupture ».
Cette différence d’ancienneté emporte des conséquences pratiques sur le quantum des condamnations. L’indemnité compensatrice de préavis due par l’entreprise utilisatrice est de deux mois tandis que celle due par l’entreprise de travail temporaire est limitée à un mois. L’indemnité légale de licenciement due par l’entreprise utilisatrice s’élève à 5 631,47 euros tandis que celle due par l’entreprise de travail temporaire est limitée à 952,37 euros.
La cour organise enfin un mécanisme de garantie entre les deux sociétés. Elle condamne l’entreprise de travail temporaire « à garantir la société Demathieu Bard bâtiment sud-est venant aux droits de la société BLB constructions dans la limite des montants auxquels elle est condamnée in solidum et à hauteur de 10% pour le restant ». Ce partage de responsabilité traduit la faute respective de chaque société dans le recours irrégulier au travail temporaire.