Cour d’appel de Lyon, le 2 juillet 2025, n°22/03371

La question du point de départ du délai de péremption d’instance en procédure orale et celle de la charge de la preuve en matière de licenciement constituent deux problématiques majeures du contentieux prud’homal. La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 2 juillet 2025, apporte des précisions significatives sur ces deux points dans une affaire opposant un salarié à son ancien employeur, désormais en liquidation judiciaire.

Un salarié avait été embauché le 31 mars 2015 en qualité de conducteur routier. La prise de poste, prévue le 3 avril 2015 au matin, n’a jamais eu lieu, chaque partie imputant à l’autre la responsabilité de cette situation. L’employeur prétendait avoir procédé au licenciement pour faute grave du salarié le 27 avril 2015, tandis que ce dernier soutenait n’avoir jamais reçu les courriers afférents à cette procédure. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 22 septembre 2017 aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Entre-temps, la société a été placée en redressement judiciaire le 6 juin 2017, puis en liquidation judiciaire le 22 mars 2022.

Le conseil de prud’hommes de Lyon, par jugement du 25 avril 2022, a constaté la péremption de l’instance et prononcé l’extinction de celle-ci, déclarant les demandes du salarié irrecevables.

La cour d’appel devait déterminer si l’instance était périmée faute de diligences accomplies dans le délai de deux ans et, dans la négative, si le salarié pouvait obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La cour d’appel de Lyon infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle juge que l’instance n’était pas périmée, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription et prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur à effet du 2 juillet 2025.

La cour pose un principe important concernant la péremption en procédure orale : « en procédure orale, à moins que les parties ne soient tenues d’accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe ; qu’elles n’ont, dès lors, plus de diligence à accomplir en vue de l’audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe ». Elle en déduit que « faute de diligence mise à la charge des parties par la juridiction, celles-ci ont perdu la direction de la procédure », de sorte que la péremption ne peut leur être opposée pour cette périodeeguard.

L’arrêt se distingue par la rigueur avec laquelle il apprécie la charge de la preuve du licenciement. La cour relève que les courriers de mise en demeure, de convocation à l’entretien préalable et de notification du licenciement « ne sont pas assorties d’accusés de réception, et ne mentionnent pas un envoi en recommandé ». Dès lors, « au-delà de la question de la régularité de la procédure de licenciement, c’est (…) celle de l’existence même de celui-ci qui est remise en cause ».

Cet arrêt mérite analyse tant sur le régime de la péremption d’instance en procédure prud’homale (I) que sur les conditions de la résiliation judiciaire du contrat de travail (II).

I. Le régime renouvelé de la péremption d’instance en procédure prud’homale

La cour clarifie d’abord les conditions dans lesquelles le délai de péremption peut courir (A), avant de préciser les actes susceptibles d’interrompre ce délai (B).

A. L’exclusion de la péremption en l’absence de maîtrise procédurale par les parties

L’article 386 du code de procédure civile dispose que « l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ». La cour d’appel de Lyon fait application d’un revirement jurisprudentiel récent de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 octobre 2024. Selon cette nouvelle approche, en procédure orale, les parties perdent la direction de la procédure dès lors qu’aucune diligence particulière n’est mise à leur charge par la juridiction.

Cette solution rompt avec une jurisprudence antérieure plus exigeante. Auparavant, les parties demeuraient tenues d’accomplir des actes manifestant leur volonté de poursuivre l’instance, même entre la convocation et l’audience. La cour précise désormais qu’« il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption ».

L’application de ce principe à l’espèce conduit la cour à constater que, du 25 septembre 2017 au 15 octobre 2018, les parties n’avaient aucune diligence à accomplir puisque le greffe les avait convoquées. Par conséquent, « au 15 octobre 2018, la péremption n’avait couru que pour trois jours, du 22 au 25 septembre 2017 ». Cette computation stricte du délai témoigne du souci de protéger l’accès au juge des justiciables qui n’ont pas la maîtrise du calendrier procédural.

B. La qualification des actes interruptifs du délai de péremption

La cour procède ensuite à l’examen des actes accomplis par le salarié pour déterminer leur caractère interruptif. Elle distingue deux catégories d’actes.

D’une part, la décision de radiation prononcée le 15 octobre 2018 sur le fondement de l’article 381 du code de procédure civile n’a pas d’effet interruptif. La cour rappelle cette solution constante par référence à un arrêt de la deuxième chambre civile du 24 septembre 2015. La radiation sanctionne le défaut de diligence des parties mais ne constitue pas elle-même une diligence susceptible de relancer le délai.

D’autre part, le courrier du 4 décembre 2019 par lequel le salarié a sollicité la réinscription de l’affaire au rôle est qualifié d’acte interruptif. La cour estime que « ce courrier, de nature à faire progresser l’affaire, est interruptif du délai de péremption ». Cette qualification s’inscrit dans une conception téléologique de la diligence : seul compte le fait que l’acte manifeste la volonté de poursuivre l’instance et de la faire aboutir.

La cour ajoute que les écritures transmises les 27 juillet et 6 août 2021 « sont interruptives de péremption », confirmant que le dépôt de conclusions constitue une diligence par excellence. Elle conclut qu’« à l’audience du 6 septembre 2021 (…) la péremption d’instance n’était pas acquise ».

II. Les conditions de la résiliation judiciaire du contrat de travail

La cour examine successivement la recevabilité de l’action (A) puis les conditions de fond de la résiliation judiciaire (B).

A. Le rejet de la prescription et l’inexistence du licenciement

Le liquidateur judiciaire soulevait la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail, faisant valoir que plus de deux ans s’étaient écoulés entre le licenciement prétendu du 27 avril 2015 et la saisine du 22 septembre 2017.

La cour rejette cette fin de non-recevoir en s’attachant au point de départ de la prescription. Elle relève qu’« il n’est pas justifié de ce qu’ont été effectivement portés à la connaissance du salarié » les différents courriers de la procédure de licenciement. Ces lettres « ne sont pas assorties d’accusés de réception, et ne mentionnent pas un envoi en recommandé ». Le salarié contestant les avoir reçues, « il est considéré qu’elles ne lui ont pas été adressées ».

La cour va plus loin en contestant l’existence même du licenciement. Elle observe que le courrier de l’employeur du 12 novembre 2015 « n’évoque pas le licenciement » mais dénonce une prétendue escroquerie. Ce courrier « ne peut constituer le point de départ de la prescription de l’article L. 1471-1 à l’égard du salarié ». La cour en déduit que « l’existence même du licenciement du 27 avril 2015 n’est pas établie ».

Cette analyse renverse la charge de la preuve. L’employeur qui prétend avoir licencié un salarié doit établir que ce licenciement lui a été notifié conformément aux exigences de l’article L. 1232-6 du code du travail, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. À défaut, le licenciement est réputé inexistant.

B. La caractérisation des manquements justifiant la résiliation

La cour examine ensuite les conditions de fond de la résiliation judiciaire. Elle rappelle que « les manquements doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail ».

L’employeur soutenait que le salarié ne s’était pas présenté le 3 avril 2015 et que le contrat avait été conclu pour lui éviter une incarcération. La cour écarte ces moyens avec méthode. Elle relève que les attestations produites émanent de salariés « sous la subordination de l’employeur » et que les prétendues difficultés judiciaires « sont contredites par l’extrait néant du bulletin n° 3 du casier judiciaire de l’intéressé ».

Surtout, la cour s’appuie sur les démarches accomplies par le salarié pour démontrer qu’il se tenait à la disposition de l’employeur : SMS du 30 mai 2015, entretien avec Cap Emploi du 27 octobre 2015, courrier recommandé du 29 octobre 2015. Elle en conclut que « ces éléments ne permettent pas d’établir que le salarié n’a pas pris son poste ».

La cour caractérise ensuite le manquement de l’employeur : « il ne lui a été confié aucune prestation de travail ni ne lui a été versé aucune rémunération (…) ce qui constitue des manquements graves de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail prévue à l’article L. 1221-1 du code du travail ». Elle prononce donc la résiliation judiciaire à effet du 2 juillet 2025, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et fixe les créances salariales correspondant à plus de dix années d’inexécution du contrat.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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