Cour d’appel de Lyon, le 2 juillet 2025, n°24/04384

Un contrat de réfection d’un véhicule de collection peut engendrer des difficultés particulières lorsque le prestataire est soumis à une procédure collective. La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 2 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre le référé et les règles gouvernant les procédures collectives.

En l’espèce, deux personnes physiques domiciliées aux États-Unis ont confié à une société française la réfection d’un véhicule de collection Facel Vega de 1958. Un devis avait été établi le 7 mars 2022 pour un montant de 16 324,80 euros, et un acompte de 6 000 euros avait été versé. Les propriétaires, estimant ne plus avoir de nouvelles ni des travaux ni de leur véhicule, ont saisi le juge des référés.

Par ordonnance du 18 avril 2024, le président du tribunal judiciaire de Roanne a ordonné à la société la restitution du véhicule sous astreinte, l’a condamnée à verser 6 000 euros de provision et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La société a interjeté appel le 27 mai 2024. Entre-temps, elle a été placée en redressement judiciaire le 23 octobre 2024, puis en liquidation judiciaire le 28 mai 2025.

La question posée à la cour était de déterminer dans quelle mesure l’ouverture d’une procédure collective affecte le sort d’une instance en référé portant à la fois sur une demande de restitution et sur une demande de provision.

La cour d’appel de Lyon infirme l’ordonnance entreprise. Elle déclare irrecevables les demandes en paiement de provision et de prise en charge des frais de constat. Elle constate que la demande de restitution est devenue sans objet. Les intimés sont condamnés aux dépens de première instance et d’appel.

Cet arrêt illustre les conséquences processuelles de l’ouverture d’une procédure collective sur une instance en référé (I), tout en précisant le régime applicable aux demandes de restitution (II).

I. L’incidence de la procédure collective sur l’instance en référé

La cour rappelle les principes gouvernant l’arrêt des poursuites individuelles (A) avant d’en tirer les conséquences sur la demande de provision (B).

A. Le rappel du principe de l’arrêt des poursuites individuelles

La cour fonde son raisonnement sur l’article L. 622-21 du code de commerce. Elle énonce que « le jugement d’ouverture d’une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ».

L’arrêt opère une distinction fondamentale entre l’instance au fond et l’instance en référé. La cour précise que « l’instance en cours interrompue jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de créance, est celle qui tend à obtenir de la juridiction saisie du principal une décision définitive sur le montant l’existence de cette créance ». Elle ajoute aussitôt qu’« il est de jurisprudence constante que ce n’est pas le cas de l’instance en référé laquelle tend à obtenir une condamnation provisionnelle ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence établie de la Cour de cassation. L’instance en référé n’est pas interrompue par l’ouverture de la procédure collective car elle ne statue pas définitivement sur l’existence de la créance. Le juge des référés ne tranche pas le fond du droit.

Toutefois, l’absence d’interruption de l’instance ne signifie pas que le juge des référés conserve tous ses pouvoirs.

B. L’irrecevabilité de la demande de provision

La cour tire les conséquences de la distinction qu’elle vient d’opérer. Elle affirme que « si l’instance en référé provision n’est pas interrompue par la survenance d’une procédure collective, l’arrêt des poursuites individuelles s’applique ». Elle en déduit que « le juge des référés ne peut donc pas statuer sur la demande de provision ».

Cette solution peut paraître paradoxale. L’instance se poursuit mais le juge ne peut statuer sur l’objet principal de la demande. L’explication réside dans la nature même de l’arrêt des poursuites. Ce principe vise à protéger le débiteur contre les actions individuelles de ses créanciers et à garantir l’égalité entre eux. Accorder une provision reviendrait à permettre à un créancier d’obtenir un paiement en dehors de la procédure de vérification des créances.

La cour précise que « la créance faisant l’objet d’une telle instance est soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge commissaire ». Le créancier n’est pas privé de tout recours. Il doit simplement emprunter la voie de la déclaration de créance.

L’ordonnance est donc infirmée sur ce chef et la demande de provision déclarée irrecevable. La même solution s’applique à la demande de mise à la charge de la société des frais de constat, qui constitue également une créance de somme d’argent.

II. Le sort de la demande de restitution du véhicule

La cour examine la demande de restitution selon un régime distinct (A), avant de constater qu’elle est devenue sans objet (B).

A. L’inapplicabilité de l’arrêt des poursuites à la demande de restitution

La cour pose un principe clair : « Les actions qui ne sont pas en relation avec le paiement d’une somme d’argent ne sont pas interrompues. » Elle en déduit que « la procédure n’est pas interrompue concernant la restitution du véhicule qui n’a pas pour cause un non-paiement ».

Cette distinction est conforme à la lettre de l’article L. 622-21 du code de commerce qui ne vise que les actions tendant à la condamnation au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement. La demande de restitution d’un bien ne relève d’aucune de ces hypothèses.

La solution est cohérente avec le droit des procédures collectives. Le propriétaire d’un bien confié au débiteur conserve son droit de revendication. L’ouverture de la procédure collective ne saurait priver le propriétaire de son droit de propriété sur un bien qui ne fait pas partie du gage des créanciers.

La cour se déclare donc valablement saisie de la demande d’infirmation de l’ordonnance sur ce chef. Elle examine les conditions du référé posées par l’article 835 du code de procédure civile, notamment l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’une obligation non sérieusement contestable.

B. Une demande devenue sans objet par l’évolution du litige

L’examen au fond de la demande de restitution se heurte à une difficulté d’un autre ordre. La cour constate que le véhicule a été restitué postérieurement à l’ordonnance de référé. Elle relève que les échanges par SMS entre les conseils des parties établissent « une restitution du véhicule prévue le 19 juin 2024 ».

La cour applique alors la théorie de l’évolution du litige. Elle « ne peut que constater en considération de l’évolution du litige que la demande de restitution est désormais devenue sans objet ». L’infirmation de l’ordonnance sur ce chef n’est pas prononcée au motif que le premier juge aurait commis une erreur, mais parce que la situation factuelle a changé.

Cette solution illustre le caractère provisoire du référé. La restitution ordonnée sous astreinte a produit son effet puisque le véhicule a été rendu. L’objet du litige a disparu. La cour ne statue pas sur le bien-fondé de l’ordonnance initiale mais prend acte de son exécution.

Sur les dépens, la cour infirme l’ordonnance et condamne les intimés aux dépens de première instance et d’appel. L’équité ne commande pas d’allouer une indemnité à la société au titre des frais irrépétibles. Cette solution se justifie par le contexte particulier de l’affaire. La société, désormais en liquidation judiciaire, n’a pas véritablement obtenu gain de cause sur le fond mais bénéficie des effets de la procédure collective.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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