Cour d’appel de Lyon, le 2 septembre 2025, n°22/06046

Cour d’appel de Lyon, chambre sociale D, protection sociale, 2 septembre 2025. Le litige oppose un employeur et la caisse chargée du risque professionnel, autour de l’opposabilité du taux d’incapacité permanente fixé à la suite d’une nouvelle date de consolidation. L’assuré, manutentionnaire depuis 2010, a déclaré une maladie professionnelle en 2017. Après une première consolidation au 31 décembre 2017, un taux de 5 % lui a été attribué. Une expertise a toutefois conduit à retenir la consolidation au 31 janvier 2019, avec fixation d’un taux de 38 % à compter du 1er février 2019. L’employeur a été informé le 4 avril 2019 et son recours amiable a été rejeté.

Une juridiction de première instance a jugé la décision inopposable à l’employeur. La caisse a interjeté appel. Elle soutenait la régularité de la notification et l’exacte application des articles R. 434-32 et suivants du code de la sécurité sociale. L’employeur invoquait l’indépendance des rapports et l’article D. 242-6-7, selon lequel la première notification classe définitivement le sinistre, sans prise en compte d’une incapacité reconnue après révision ou rechute.

La question posée portait sur l’opposabilité à l’employeur du taux de 38 %, fixé après déplacement de la date de consolidation à la suite du recours de l’assuré, alors qu’un premier taux de 5 % avait été notifié. La cour d’appel admet l’opposabilité, infirme le jugement, et met à la charge de l’employeur les dépens. Elle retient la qualification de taux initial substitué et la régularité de la notification.

I. Le sens de la décision

A. Cadre procédural et exigence de notification régulière

Le raisonnement s’ouvre par la vérification de la notification et des voies de recours. L’arrêt relève que « Par notification du 4 avril 2019, l’employeur a été régulièrement informé de cette décision laquelle a été confirmée par la commission de recours amiable le 24 septembre 2019 ». La cour contrôle ainsi l’effectivité de l’information, condition de l’opposabilité, et l’existence de la faculté de contester dans le délai utile.

Le contrôle ne s’arrête pas à la forme. La cour indique encore que « L’employeur s’est vu régulièrement notifier le taux de 38% et conservait la possibilité de contester tant le taux de l’incapacité retenue que le point de départ du versement de la rente correspondante ». Cette précision éclaire l’office du juge du contentieux général, qui vérifie l’ouverture concrète des droits à contestation. Le délai court dès la notification, la sécurité juridique de l’employeur dépendant d’une réaction diligente.

B. Qualification du taux de 38 % comme taux initial substitué

La clé de voûte du raisonnement est la qualification de la seconde décision. La cour souligne que « La cour observe que le taux de 38% n’a pas été attribué suite à une rechute ou une aggravation de l’état de santé de l’assuré mais suite à l’annulation de la première évaluation du taux d’origine de 5%, après recours exercé par l’intéressé ». Elle distingue la révision pour rechute, visée par l’article D. 242-6-7, de la substitution du taux initial après correction de la consolidation.

L’arrêt ajoute que « Il ne s’agit donc pas du taux révisé après rechute ou aggravation mais bien, in fine, du taux initial retenu par la caisse dont la notification à l’employeur est par ailleurs régulière ». La conséquence est décisive. Le mécanisme de classement définitif lors de la première notification n’est pas contrarié, car la première évaluation est défaite et remplacée. Le système retrouve son équilibre autour d’un taux initial rétabli, dûment porté à la connaissance de l’employeur.

Cette approche neutralise l’argument tiré de la pérennité des catégories de tarification. En effet, « La fixation d’une date de consolidation au 31 janvier 2019 sur décision de la caisse et de son médecin-conseil ne saurait rendre inopposable à l’employeur la décision d’attribution du taux ». La qualification emporte l’opposabilité, le contrôle de régularité s’avérant suffisant. L’examen de l’inopposabilité se referme donc sur une réponse nette.

II. Valeur et portée de la solution

A. Articulation avec l’indépendance des rapports et les textes invoqués

L’employeur invoquait l’indépendance des rapports caisse/assuré et caisse/employeur, ainsi qu’une lecture extensive de l’article D. 242-6-7. La cour refuse cette extension. La distinction opérée entre révision pour rechute et substitution du taux initial s’accorde avec l’économie du texte. Elle respecte la chronologie médicale, puis juridique, sans priver l’employeur de ses droits procéduraux.

La référence administrative qui évoque l’inopposabilité de la « nouvelle fixation du taux » ne gouverne pas l’hypothèse tranchée. La cour l’indique clairement, en ciblant la source du changement et son moment procédural. Elle juge, en termes dépourvus d’ambiguïté, qu’« Aucun motif d’inopposabilité n’est donc valablement opposé par l’employeur ». L’interprétation se veut fidèle aux textes, et recentrée sur la fonction de la notification.

Cette solution paraît cohérente avec la jurisprudence relative à l’opposabilité des décisions régulièrement notifiées. Elle évite de figer un premier taux entaché d’erreur de consolidation, aux dépens du principe de réparation intégrale. Elle consacre une règle de méthode simple: le juge qualifie avant d’opposer, et n’assimile pas toute seconde décision à une révision au sens strict.

B. Conséquences pratiques pour la tarification et la sécurité juridique

La décision produit des effets concrets sur la tarification des accidents du travail et maladies professionnelles. En retenant le caractère initial du taux de 38 %, elle valide l’imputation qui en découle sur le compte employeur. Ce choix incite les employeurs à contester rapidement la notification du taux, lorsque celui-ci les affecte. Il renforce la vigilance procédurale au moment de la réception.

La solution clarifie aussi la portée de l’article D. 242-6-7. Le classement définitif lors de la première notification demeure, mais il n’est pas autonome de la validité de l’évaluation initiale. Lorsque la première évaluation est remplacée à la suite du recours de l’assuré, la nouvelle évaluation devient la référence opposable. L’équilibre entre exactitude médicale et stabilité financière se trouve ainsi réajusté.

Enfin, la décision borne utilement les hypothèses d’inopposabilité. Le critère tient à la nature du changement, non à sa simple postériorité. Cette borne préserve la sécurité juridique, tout en évitant que des situations médicales corrigées échappent artificiellement à l’imputation. La conclusion s’impose dès lors: « En conséquence, la décision de la caisse de fixer le taux d’IPP à 38% est opposable à l’employeur, le jugement étant infirmé en ses dispositions contraires ».

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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