Cour d’appel de Lyon, le 20 juin 2025, n°22/04108

Par un arrêt du 20 juin 2025, la Cour d’appel de Lyon, chambre sociale, statue sur l’appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de Lyon. Le litige porte sur l’application du statut d’assimilé cadre et de la convention des ingénieurs et cadres de la métallurgie au calcul des indemnités de rupture et de la durée du préavis. Le salarié, engagé en 1981, a vu son contrat transféré à la suite d’une décision commerciale en 2018. Un avenant de 2019 l’a désigné responsable de production, classé « assimilé cadre » niveau V, échelon 3, coefficient 335, avec un forfait en jours. Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte en 2020, suivie d’un licenciement économique en septembre de la même année.

Le conseil de prud’hommes, saisi en 2021, a rejeté les prétentions relatives à l’application du statut pour les indemnités de rupture. Le salarié a relevé appel. Il demandait la reconnaissance du statut d’assimilé cadre, la fixation des soldes d’indemnité de licenciement et de préavis au passif, des dommages et intérêts, ainsi qu’une indemnité de procédure. L’employeur et les organes de la procédure sollicitaient la confirmation et une indemnité sur le fondement procédural. L’organisme de garantie des salaires n’a pas conclu. La clôture est intervenue en février 2025, l’audience s’est tenue en mars. La question de droit était la suivante. La mention « assimilé cadre » appuyée par des fonctions d’encadrement permet-elle d’appliquer la convention collective des ingénieurs et cadres, malgré une grille de classification des mensuels retenant la catégorie agents de maîtrise. La cour répond positivement, en retenant la volonté de l’employeur d’accorder les droits attachés au statut cadre. Elle applique la convention des ingénieurs et cadres pour le préavis et l’indemnité, calcule un solde de préavis après contrat de sécurisation, fixe l’indemnité conventionnelle plafonnée, rejette le préjudice distinct, et déclare la décision opposable à l’organisme de garantie, avec dépens et frais.

I. Le sens de la solution retenue

A. La volonté de l’employeur comme vecteur de la qualification cadre

La décision fonde d’abord la solution sur l’expression explicite de la volonté contractuelle. La cour affirme que « La Cour retient que l’employeur a ainsi exprimé la volonté de reconnaître au salarié les droits attachés à la qualité de cadre et que ce dernier est donc fondé à revendiquer l’application de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie (IDCC 650) pour le calcul de l’indemnité de licenciement (en ce sens : Cass. Soc., 19 mai 2010, n° 08-45.469), ainsi que pour la durée du préavis. » Le raisonnement articule la stipulation contractuelle « assimilé cadre » et les responsabilités exercées, révélées par l’animation d’une équipe et un forfait en jours. La hiérarchie des normes conventionnelles ne fait pas obstacle à l’efficacité de cette stipulation lorsque l’employeur l’a consacrée et appliquée. La cour en déduit légitimement l’accès au statut, non comme simple étiquette, mais comme source de droits précis.

L’argument adverse, tiré de la grille des mensuels, est explicitement rappelé, puis relativisé. Il est relevé que « L’annexe I de ce texte mentionne qu’un emploi classé au niveau V, échelon 3, coefficient 335 fait partie de la catégorie des agents de maîtrise. » La cour refuse toutefois d’en faire un verrou rigide, en privilégiant la cohérence entre l’engagement contractuel et la réalité des attributions. Cette lecture valorise la sécurité des engagements pris et évite une déqualification a posteriori par le seul jeu de tableaux conventionnels. Elle s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle qui admet la prévalence de la volonté claire et des fonctions effectives pour déterminer le régime applicable.

B. Les conséquences conventionnelles en matière de préavis et d’indemnité

La reconnaissance du statut entraîne des effets précis, que la décision expose de manière méthodique. Pour la durée du préavis, la cour énonce que « En application de l’article 27 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, le délai-congé est fixé à six mois, en cas de licenciement d’un ingénieur âgé de plus de cinquante-cinq ans et ayant un an de présence dans l’entreprise. » La conclusion s’articule avec le contrat de sécurisation professionnelle, conduisant à un solde de préavis dû, après imputation de la contribution employeur. La logique retenue respecte l’économie du dispositif légal, sans priver l’intéressé des effets du statut conventionnel plus favorable.

Pour l’indemnité de licenciement, la cour applique le barème spécifique, plus avantageux que le minimum réglementaire. Elle rappelle la prévalence du texte conventionnel lorsque ses dispositions sont plus favorables, et en déduit un montant dans la limite du plafond de dix-huit mois. La solution assure l’effectivité de la faveur attachée au statut cadre reconnu. Le refus d’allouer un préjudice distinct est conforme à l’exigence de démonstration d’un dommage autonome, l’exécution pécuniaire des droits statutaires ayant déjà été ordonnée. La cohérence d’ensemble renforce la lisibilité de la solution et stabilise les effets des engagements contractuels sur les droits de rupture.

II. La valeur et la portée de l’arrêt

A. Conformité au droit positif et critique mesurée de l’articulation des grilles

La solution s’accorde avec les principes d’interprétation des contrats de travail, attachés à la commune intention et à la pratique suivie. La référence expresse à une décision antérieure de la juridiction suprême consolide l’assise de l’arrêt. En faisant primer la volonté claire, la cour évite une approche formaliste qui figerait la qualification sur la seule grille initiale. Cette orientation respecte aussi le principe de faveur, dès lors que le statut cadre conduit à des droits plus élevés, et que l’engagement de l’employeur ne souffre pas d’ambiguïté. La motivation, concise et ciblée, satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile.

Une réserve peut toutefois être discutée. L’éviction de la grille des mensuels pourrait susciter des tensions dans les entreprises où les classifications coexistent et se superposent. La décision ne tranche pas la question délicate des effets d’une mention « assimilé cadre » lorsque les fonctions seraient moins nettement managériales. Elle invite les employeurs à une vigilance accrue lors de la rédaction des avenants, pour prévenir des requalifications coûteuses et des divergences avec les classifications internes. Cette prudence normative préserve l’équilibre entre sécurité contractuelle et clarté des régimes applicables.

B. Portée pratique en contexte de procédures collectives et sécurisation des statuts

La portée de l’arrêt dépasse le cas d’espèce en sécurisant le sort des salariés qualifiés « assimilés cadres » lors des ruptures. La reconnaissance des droits attachés au statut emporte des conséquences budgétaires significatives, notamment en présence d’un contrat de sécurisation professionnelle, où seul un solde reste exigible. L’arrêt précise l’articulation entre contributions légales et dettes salariales, ce qui favorise une liquidation correcte des créances en période de difficultés. La déclaration d’opposabilité à l’organisme de garantie s’inscrit dans ce schéma, en ordonnant efficacement la prise en charge selon les plafonds.

L’impact normatif se lit également dans la dynamique conventionnelle. En retenant des textes cadres plus favorables, la décision encourage une harmonisation par le haut lorsque le statut a été conféré sans équivoque. Elle incite, par ricochet, à mettre en cohérence les classifications internes avec les mentions contractuelles, pour éviter des contentieux futurs. La solution, ferme mais mesurée, conforte une jurisprudence de responsabilité rédactionnelle et de fidélité aux engagements pris, tout en ménageant l’exigence probatoire d’un préjudice distinct pour l’octroi de dommages et intérêts. Ainsi l’arrêt clarifie la trajectoire applicable et stabilise les anticipations des acteurs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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