Cour d’appel de Lyon, le 20 juin 2025, n°22/04337

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 20 juin 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent du forfait annuel en jours applicable aux cadres. Cette décision illustre les exigences strictes imposées aux employeurs quant au suivi de la charge de travail des salariés soumis à ce régime dérogatoire.

Un salarié a été engagé le 21 novembre 2016 en qualité de responsable commercial de zone, cadre soumis à une convention de forfait en jours de 218 jours annuels. La relation de travail relevait de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Le salarié a démissionné le 15 décembre 2017 et quitté l’entreprise le 15 janvier 2018.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon le 7 août 2019 aux fins notamment de voir priver d’effet sa convention de forfait en jours et obtenir le paiement d’heures supplémentaires. Par jugement du 12 mai 2022, le conseil de prud’hommes a rejeté l’ensemble de ses demandes, estimant la convention de forfait valable et opposable. Le salarié a interjeté appel le 9 juin 2022.

L’employeur soutenait que la convention de forfait était valide et qu’aucune heure supplémentaire n’avait été demandée au salarié. Ce dernier faisait valoir que l’employeur n’avait établi aucun document de contrôle des jours travaillés ni organisé d’entretien annuel sur la charge de travail.

La question posée à la cour était de déterminer si l’inexécution par l’employeur des obligations de suivi prévues par l’accord collectif du 28 juillet 1999 prive d’effet la convention individuelle de forfait en jours.

La cour d’appel infirme le jugement et juge que « la société Hasler Group ne rapporte pas la preuve qu’elle a établi un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées » ni « que ce dernier a bénéficié d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours de l’année 2017 ». Elle en déduit que la convention de forfait est privée d’effet et condamne l’employeur au paiement d’heures supplémentaires, d’une indemnité pour contrepartie obligatoire en repos et de dommages et intérêts pour non-respect des durées minimales de repos.

Cette décision met en lumière tant l’exigence du contrôle effectif de la charge de travail comme condition de validité du forfait jours (I) que les conséquences financières substantielles de la privation d’effet de cette convention (II).

I. L’exigence du contrôle effectif de la charge de travail comme condition de validité du forfait jours

La cour d’appel rappelle d’abord le cadre normatif applicable au forfait jours dans la métallurgie (A), avant de caractériser les manquements de l’employeur à ses obligations de suivi (B).

A. Le cadre conventionnel protecteur issu de l’accord du 28 juillet 1999

La cour se fonde sur l’article 14.2 de l’accord national du 28 juillet 1999 sur l’organisation du travail dans la métallurgie. Elle rappelle que « le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés » et que « l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ». L’accord prévoit également que le supérieur hiérarchique « assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail » et que le salarié bénéficie chaque année d’un entretien portant sur ces questions.

Ces stipulations conventionnelles traduisent une préoccupation constante du droit du travail depuis les premières conventions de forfait jours issues de la loi du 19 janvier 2000. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2005, puis la Cour de cassation, ont progressivement érigé ces garanties en conditions de validité du forfait. La chambre sociale a ainsi jugé que « le respect des stipulations de l’accord collectif du 28 juillet 1999 est de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié soumis au régime du forfait en jours » et qu’en « cas d’inobservation par l’employeur de ces stipulations, la convention de forfait en jours est privée d’effet ».

Cette exigence s’explique par la nature même du forfait jours qui exclut le salarié du décompte horaire de son temps de travail. Sans mécanisme de contrôle, le cadre autonome se trouve exposé à des durées de travail excessives sans aucune compensation. L’accord collectif institue donc un équilibre entre la souplesse organisationnelle offerte à l’employeur et la protection de la santé du salarié.

B. La caractérisation des manquements de l’employeur aux obligations de suivi

La cour constate en l’espèce que l’employeur « ne rapporte pas la preuve qu’elle a établi un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées » ni que le salarié « a bénéficié d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours de l’année 2017 ». Elle en conclut que l’employeur « n’a donc pas respecté les stipulations de l’accord collectif du 28 juillet 1999 de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité d’un salarié soumis au régime du forfait en jours ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui met la charge de la preuve sur l’employeur. La Cour de cassation a en effet précisé qu’il « incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié ». L’employeur qui se prévaut du forfait jours doit donc être en mesure de produire les documents de suivi et de justifier de la tenue des entretiens annuels.

La sanction retenue est celle de la privation d’effet de la convention de forfait, et non sa nullité. Cette distinction n’est pas anodine. La privation d’effet permet au salarié de revendiquer l’application du droit commun de la durée du travail pour la période concernée, sans remettre en cause rétroactivement l’ensemble de la relation contractuelle. Elle produit toutefois des conséquences financières considérables pour l’employeur défaillant.

II. Les conséquences financières substantielles de la privation d’effet du forfait jours

La privation d’effet du forfait jours entraîne le retour au décompte horaire et ouvre droit au paiement des heures supplémentaires (A), tout en générant des condamnations indemnitaires complémentaires (B).

A. Le retour au décompte horaire et le paiement des heures supplémentaires

La cour rappelle que « le salarié soumis à une convention de forfait en jours qui est privée d’effets à son égard peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre conformément aux dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail ». Elle applique ensuite le régime probatoire classique selon lequel le salarié doit présenter « des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement ».

En l’espèce, le salarié avait établi un décompte hebdomadaire de ses heures pour toute la période travaillée. L’employeur, qui se bornait à souligner le caractère unilatéral de ce décompte sans produire ses propres éléments, ne pouvait utilement contester cette demande. La cour retient l’existence d’heures supplémentaires et condamne l’employeur à verser 8 700 euros de rappel de salaires, outre les congés payés afférents.

Cette décision illustre le risque financier majeur encouru par les employeurs négligents. Le salarié au forfait jours qui ne bénéficie pas du suivi conventionnel peut reconstituer a posteriori un décompte horaire et réclamer le paiement de toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires. La cour accorde également 3 500 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les heures accomplies au-delà du contingent annuel de 180 heures fixé par l’accord de branche.

La demande d’indemnité pour travail dissimulé est en revanche rejetée. La cour juge qu’au moment de la délivrance des bulletins de paie, le salarié « travaillait sous couvert d’une convention individuelle de forfait en jours » et que l’employeur « n’avait pas l’obligation de mentionner les heures supplémentaires effectuées ». L’élément intentionnel fait donc défaut, ce qui préserve l’employeur d’une condamnation à six mois de salaire.

B. Les condamnations indemnitaires complémentaires et la restitution des jours de RTT

La cour condamne l’employeur à verser 1 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire. Elle rappelle que la preuve du respect de ces repos incombe à l’employeur et que le « seul constat du fait que le salarié n’a pas bénéficié de la durée minimale du repos quotidien » ouvre droit à réparation. Cette solution, conforme à la jurisprudence de la chambre sociale du 7 février 2024, facilite l’indemnisation du salarié qui n’a pas à démontrer l’étendue de son préjudice.

Par ailleurs, la cour fait droit à la demande de rémunération variable. L’employeur ne rapportant pas la preuve d’avoir communiqué au salarié ses objectifs au début de l’année 2017, il doit verser le montant maximum de la part variable, soit 3 072,20 euros outre congés payés. Cette solution applique le principe selon lequel l’employeur qui fixe unilatéralement les objectifs doit les porter à la connaissance du salarié au début de la période de référence.

Enfin, la cour accueille la demande reconventionnelle de l’employeur tendant au remboursement des jours de RTT indûment versés. Elle rappelle que « le salarié dont la convention individuelle de forfait en jours est privée d’effet ne peut pas prétendre au paiement des jours de réduction du temps de travail prévus par cette convention ». Le salarié est donc condamné à restituer 1 345,90 euros correspondant aux jours de RTT et à l’indemnité de RTT perçus. Cette restitution, logique au regard de la disparition du cadre juridique du forfait jours, atténue partiellement le coût pour l’employeur de la privation d’effet de la convention.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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