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La cession de la totalité des parts sociales d’une société holding constitue une opération dont la sécurité repose largement sur les garanties conventionnelles négociées entre les parties. La clause de garantie d’actif et de passif, devenue un instrument incontournable de la pratique des affaires, soulève régulièrement des difficultés quant à son champ d’application temporel et aux conditions de sa mise en oeuvre. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 24 juillet 2025 en offre une illustration particulièrement éclairante.
En l’espèce, par acte du 23 décembre 2010, plusieurs personnes physiques ont cédé la totalité des parts sociales d’une société holding, détenant elle-même les actions d’une société spécialisée dans la fabrication de tuiles, à une société acquéreuse. L’acte comportait une clause de garantie d’actif et de passif d’une durée de trois ans, garantie par un séquestre conventionnel de 500.000 euros, ultérieurement converti en contrat d’assurance-vie avec délégation à première demande. La société cessionnaire a notifié aux cédants la mise en oeuvre de cette garantie au titre de trois chefs de préjudice : des vices affectant les tuiles et une prétendue garantie trentenaire non déclarée, l’indemnité de licenciement d’un salarié, et des primes de casse-croûte non versées antérieurement à la cession. Les cédants ont contesté cette mise en oeuvre. La société cessionnaire a néanmoins procédé au rachat partiel du contrat d’assurance-vie pour un montant de 168.802 euros.
Les cédants ont assigné la société cessionnaire devant le Tribunal de commerce de Lyon, sollicitant la restitution des fonds prélevés et l’indemnisation de leurs préjudices. Par jugement du 5 janvier 2021, le tribunal a jugé la mise en oeuvre de la garantie régulière et fondée, débouté les cédants et les a condamnés in solidum au paiement de 125.561 euros au titre de la garantie de passif. Les cédants ont interjeté appel.
Devant la cour d’appel, les cédants soutenaient que la société cessionnaire n’avait pas respecté les modalités contractuelles de mise en oeuvre de la garantie, notamment l’obligation de notification dans le délai de soixante jours, la transmission des justificatifs et l’obtention de leur accord préalable avant tout paiement à des tiers. Ils contestaient également le bien-fondé des trois chefs de demande. La société cessionnaire répliquait que les notifications avaient été régulièrement effectuées dans le délai de trois ans, que les cédants ne pouvaient refuser leur accord sans motif raisonnable, et que le non-respect des modalités de mise en oeuvre ne pouvait entraîner la déchéance du droit à garantie en l’absence de clause contractuelle expresse.
La question posée à la Cour d’appel de Lyon était double : d’une part, le non-respect par le cessionnaire des modalités procédurales de mise en oeuvre d’une clause de garantie de passif entraîne-t-il la déchéance de son droit à indemnisation ; d’autre part, quel est le périmètre temporel des dommages susceptibles d’être couverts par une telle garantie ?
La Cour d’appel de Lyon, par arrêt du 24 juillet 2025, infirme partiellement le jugement. Elle retient que le non-respect des modalités de mise en oeuvre de la garantie ne peut entraîner la déchéance du droit à garantie en l’absence de stipulation contractuelle expresse en ce sens. Elle limite cependant le montant de l’indemnisation aux seuls dommages révélés pendant la durée de validité de la garantie, soit jusqu’au 23 décembre 2013. Elle condamne la société cessionnaire à restituer aux cédants la somme de 62.234,86 euros correspondant au trop-perçu, ainsi qu’à leur verser 8.000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral résultant du comportement fautif dans l’exécution des stipulations contractuelles.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’absence de sanction automatique du non-respect des modalités de mise en oeuvre de la garantie (I) qu’au regard de la délimitation rigoureuse du périmètre temporel des dommages indemnisables (II).
I. L’absence de déchéance en cas de non-respect des modalités procédurales de la garantie
La cour consacre le principe selon lequel le non-respect des formalités contractuelles n’emporte pas déchéance automatique (A), tout en reconnaissant au cessionnaire fautif une obligation de réparer le préjudice moral causé par son comportement (B).
A. Le refus d’une sanction automatique de déchéance
La clause de garantie d’actif et de passif prévoyait des modalités précises de mise en oeuvre. Le cessionnaire devait notifier tout événement susceptible d’activer la garantie dans un délai de soixante jours, transmettre une estimation du montant et les informations permettant d’apprécier les conséquences du sinistre, et obtenir l’accord préalable du représentant des cédants avant tout paiement à un tiers.
La cour constate que la société cessionnaire n’a pas respecté ces modalités. Elle relève qu’elle « n’a pas informé M. [O], représentant des cédants, de chaque désordre dans les soixante jours de la réclamation faite par le client », qu’elle « ne lui a pas transmis une estimation du montant possible de chaque réclamation ni aucune autre information d’ailleurs », et qu’elle « a payé les réclamations des tiers sans notifier celles-ci à M. [O] pour obtenir son accord préalable ».
Ces manquements caractérisés n’entraînent pourtant pas la perte du droit à garantie. La cour énonce qu’« aucune sanction de ces manquements n’est prévue par le contrat de cession » et qu’« en particulier, il n’est pas stipulé que le cessionnaire serait déchu de la garantie de passif ». Cette solution s’inscrit dans une conception stricte de l’interprétation des clauses de déchéance, qui ne peuvent résulter que d’une stipulation expresse des parties.
Le contrat prévoyait une seule hypothèse de déchéance : « dans le cas d’une procédure prévoyant un délai de réponse impératif ». Hors cette hypothèse, le cédant disposait uniquement de la faculté de déduire du montant du dommage le préjudice qu’il aurait subi en raison de la défaillance du cessionnaire. Or les cédants « ne démontrent pas avoir subi un préjudice qui résulterait du retard de notification dans les soixante jours de l’événement invoqué par le cessionnaire ».
Cette approche privilégie la prévisibilité contractuelle et refuse d’ajouter au contrat des sanctions que les parties n’ont pas expressément prévues. Elle impose au cédant qui entend se prévaloir des manquements du cessionnaire de démontrer le préjudice concret qu’il a subi, conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle.
B. La sanction du comportement fautif sur le terrain du préjudice moral
Si le non-respect des modalités procédurales n’entraîne pas la déchéance du droit à garantie, il n’est pas pour autant dépourvu de toute conséquence. La cour retient l’existence d’un comportement fautif du cessionnaire justifiant l’allocation de dommages-intérêts.
Elle relève que « durant le cours de validité de la garantie de passif, la société Edilians n’a adressé que deux lettres recommandées à M. [O] » et que « alors que ce dernier contestait les demandes qui lui étaient faites, la société Edilians ne lui a aucunement répondu ni communiqué le moindre document, en contradiction avec les dispositions de la clause de garantie de passif ». Elle souligne que la société a procédé à « la mise en oeuvre de la garantie à première demande dans ce contexte » pour « s’octroyer des sommes dont une partie significative n’était pas due ».
Ce « manque total de communication et de transmission d’informations malgré les demandes qui lui étaient faites et les modalités prévues au contrat » caractérise un comportement fautif dans l’exécution des dispositions contractuelles. La cour y voit une violation de l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi, consacrée par l’article 1134 ancien du code civil applicable au litige.
Le préjudice moral des cédants résulte de ce qu’ils « ont été parfaitement ignorés par la société Edilians qui a agi d’autorité et sans égard ». La cour fixe la réparation à 8.000 euros, somme qui sanctionne moins l’inexécution des formalités que l’attitude générale du cessionnaire dans la conduite du différend.
Cette solution opère une distinction entre la sanction de l’inexécution des obligations principales, qui relève des stipulations contractuelles, et la sanction du comportement déloyal dans l’exécution du contrat, qui relève du droit commun de la responsabilité. Elle rappelle que la bonne foi demeure une exigence autonome, distincte du respect formel des clauses contractuelles.
II. La délimitation stricte du périmètre temporel de la garantie
La cour procède à une analyse rigoureuse du champ d’application temporel de la garantie, tant au regard de la notion de dommages couverts (A) que de la notion de série de dommages (B).
A. La distinction entre les différents fondements de la garantie
La clause de garantie d’actif et de passif comportait plusieurs dispositions distinctes susceptibles de fonder une demande d’indemnisation. La cour en examine deux principales : la clause relative aux inexactitudes dans les déclarations du cédant et celle relative aux vices des produits.
S’agissant de la prétendue garantie trentenaire non déclarée, la cour observe que la clause 14.19 du contrat était « tout à fait claire en ce qu’elle énonce que la garantie des produits est de deux ans sauf cas exceptionnel où un certificat de garantie trentenaire aurait été remis au client à sa demande ». Dès lors, « la société Edilians n’avait pas à prendre en charge les réclamations des clients qui s’avéraient être hors garantie contractuelle ».
La cour relève que la société cessionnaire a fait le choix, « pour des raisons commerciales », d’indemniser des clients qui ne bénéficiaient plus de la garantie contractuelle. Elle juge qu’« elle ne peut en demander l’indemnisation aux cédants que dans les strictes limites de la [garantie d’actif et de passif] ». Cette solution sanctionne une confusion entre la politique commerciale du cessionnaire et les obligations du cédant au titre de la garantie conventionnelle.
La clause relative aux vices des produits offre un fondement plus large puisqu’elle couvre « tout dommage résultant d’un vice apparent ou caché des produits fabriqués » sans référence à la durée de la garantie contractuelle. La cour en déduit que « la société Edilians est fondée à réclamer aux consorts [O] la prise en charge, au titre de la [garantie d’actif et de passif], de tous les remplacements de tuiles qu’elle a été amenée à faire en raison d’un vice affectant ces produits ».
Cette analyse distingue soigneusement les fondements contractuels de la demande et refuse d’étendre artificiellement le champ d’un fondement par référence à un autre. Elle impose au cessionnaire de rattacher précisément chaque chef de préjudice au fondement contractuel approprié.
B. Le rejet de la notion extensive de série de dommages
La garantie ayant une durée limitée à trois ans, « seuls les dommages révélés au cours de cette période, soit jusqu’au 23 décembre 2013, sont couverts par celle-ci ». La société cessionnaire tentait de contourner cette limitation en invoquant la notion de « série de dommages ayant des origines communes » prévue au contrat.
La cour rejette cette argumentation. Elle relève que la société cessionnaire « ne démontre pas que les tuiles affectées de désordres postérieurement à cette date ont une origine commune avec les désordres constatés antérieurement », par exemple « en ce que ces tuiles proviendraient d’un même lot présentant un vice de fabrication démontré ».
La société soutenait que l’existence d’une prétendue garantie trentenaire non déclarée constituait cette origine commune. La cour écarte cet argument en relevant que « la question de la durée de la garantie contractuelle du produit ne constitue pas un critère de l’article 15.1 (a) (VI), lequel porte sur les dommages résultant d’un vice du produit, qu’il soit apparent ou caché ». Elle ajoute que la clause relative aux inexactitudes dans les déclarations « ne prévoit pas la possibilité de couvrir une série de dommages, contrairement au point (VI) ».
Cette analyse interdit au cessionnaire de cumuler les avantages de deux clauses distinctes. La notion de série de dommages, prévue uniquement pour les vices des produits, ne peut être transposée à la garantie des déclarations inexactes. Le cessionnaire ne peut donc pas réclamer aux cédants « la prise en charge des désordres survenus postérieurement au 23 décembre 2013, en faisant valoir que les clients se sont prévalu, sans certificat, d’une garantie trentenaire alors que la garantie contractuelle est de deux ans ».
La cour procède ensuite à un réexamen méthodique des trois chefs de préjudice invoqués. Pour les vices des tuiles, seuls les dommages mentionnés dans la lettre du 18 décembre 2013 sont retenus, soit 90.769 euros. Pour le licenciement, seule l’indemnité de licenciement stricto sensu est admise, soit 13.639,98 euros. Pour les primes de casse-croûte, les primes postérieures à la cession et celles prescrites sont exclues, ramenant ce poste à 12.158,16 euros. Après déduction de la franchise de 10.000 euros, la garantie s’établit à 106.567,14 euros, conduisant à la condamnation de la société cessionnaire à restituer 62.234,86 euros.