Cour d’appel de Lyon, le 25 juin 2025, n°22/03382

L’existence d’un contrat de travail demeure une question fondamentale en droit social, car elle conditionne l’application du régime protecteur du code du travail. La difficulté s’accroît lorsque les relations entre les parties n’ont fait l’objet d’aucun écrit et que le contexte factuel mêle plusieurs qualités juridiques. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 25 juin 2025, s’est prononcée sur la requalification d’une relation en contrat de travail revendiquée par une personne qui était par ailleurs dirigeante d’une société tierce.

Un individu prétendait avoir été employé en qualité d’agent d’entretien par une société de traiteur du 1er septembre 2017 au 31 décembre 2018, sur le fondement d’un contrat oral. Il sollicitait la reconnaissance de ce contrat ainsi que diverses indemnités. La société contestait toute relation salariale, faisant valoir que l’intéressé était en réalité président d’une société exploitant les locaux dans lesquels il prétendait avoir travaillé. Le conseil de prud’hommes de Lyon, par jugement du 4 avril 2022, avait rejeté l’ensemble des demandes du requérant, considérant qu’il n’avait pas la qualité de salarié.

La question posée à la Cour d’appel de Lyon était de déterminer si les éléments produits permettaient d’établir l’existence d’un contrat de travail entre les parties, en l’absence de tout écrit et alors que le demandeur exerçait parallèlement des fonctions de dirigeant social.

La Cour confirme le jugement entrepris. Elle rappelle qu’en l’absence de contrat écrit, il appartient à celui qui invoque le contrat de travail d’en rapporter la preuve par la réunion des trois éléments constitutifs. Elle constate que les attestations produites ne sont ni suffisamment circonstanciées ni probantes pour établir une prestation de travail pour le compte de la société intimée. Elle relève surtout l’absence de tout élément démontrant un lien de subordination et retient que l’intéressé, en qualité de président de société, avait un intérêt propre au fonctionnement de l’établissement.

Cette décision invite à examiner les exigences probatoires en matière de contrat de travail non écrit (I) avant d’analyser l’incidence de la qualité de dirigeant social sur la caractérisation du lien de subordination (II).

I. Les exigences probatoires en matière de contrat de travail verbal

La Cour rappelle le principe directeur de la charge de la preuve (A) puis procède à une appréciation rigoureuse des attestations produites (B).

A. Le rappel du principe de la charge de la preuve

La Cour d’appel de Lyon énonce avec précision la règle applicable en l’absence de contrat de travail écrit. Elle indique qu’il revient « à celui qui l’invoque de rapporter la preuve de son existence ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui fait peser sur le demandeur la charge d’établir les éléments constitutifs du contrat de travail lorsque aucun écrit ne vient formaliser la relation.

La Cour détaille ensuite ces trois éléments : « l’exécution d’une prestation de travail, en contrepartie du versement d’une rémunération, sous un lien de subordination juridique envers l’employeur ». Elle précise que ces éléments « sont appréciés par le juge, peu important la qualification qui leur est donnée par les parties ». Cette précision rappelle le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et le caractère d’ordre public de la qualification contractuelle.

La portée de ce rappel est significative. La Cour pose d’emblée un cadre exigeant qui commande l’issue du litige. Le demandeur doit établir cumulativement les trois éléments, ce qui s’avère particulièrement difficile en l’absence de tout commencement d’exécution formalisé. La Cour relève immédiatement qu’aucune rémunération n’a été versée, ce qui fragilise la démonstration dès l’origine.

B. L’appréciation critique des attestations produites

La Cour procède à un examen méthodique des pièces versées aux débats. Elle constate que les attestations produites par le demandeur « ne sont pas circonstanciées ». Elle relève que l’une « fait référence à l’année 2018 sans davantage de précision et ne mentionne aucun nombre de passage », tandis qu’une autre indique seulement avoir travaillé « à plusieurs reprises » pour la société sans plus de détails.

Cette exigence de précision répond aux prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile qui impose que l’attestation relate les faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. Le défaut de circonstances précises affecte la valeur probante du témoignage. La Cour ne rejette pas ces attestations mais les considère insuffisantes à elles seules.

La Cour ajoute que ces éléments « ne permettent pas à elles seules d’attester l’existence d’un contrat de travail ». Elle établit ainsi une hiérarchie des preuves. Des attestations imprécises peuvent corroborer d’autres éléments mais ne sauraient fonder à elles seules la reconnaissance d’une relation salariale. Cette rigueur probatoire protège contre les requalifications de complaisance tout en préservant la possibilité pour un salarié réellement lésé d’établir sa situation par un faisceau d’indices convergents.

II. L’incidence de la qualité de dirigeant sur la subordination

La Cour examine la compatibilité entre les fonctions de dirigeant et la qualité de salarié subordonné (A) puis apprécie les intérêts propres du demandeur dans le fonctionnement de l’établissement (B).

A. L’incompatibilité entre direction sociale et subordination salariale

La Cour relève que le demandeur « était président de la société FH, elle-même propriétaire des établissements situés au [adresse] à compter de janvier 2018 ». Cette constatation factuelle constitue le pivot du raisonnement. Elle résulte de l’examen des statuts et relevés Bodacc produits par la société intimée, lesquels établissent la cession des parts de la société Le Narjisse au demandeur le 1er décembre 2017.

La qualité de président d’une société commerciale emporte des prérogatives de direction incompatibles avec l’état de subordination caractéristique du salariat. Le président d’une société par actions simplifiée représente la société et exerce ses pouvoirs dans les conditions fixées par les statuts. Il n’est pas placé sous l’autorité d’un tiers qui pourrait lui donner des ordres, contrôler l’exécution de son travail et sanctionner ses manquements.

La Cour note que le demandeur « ne produit aucun élément (consignes, instructions, etc.) démontrant qu’il se trouvait sous un lien de subordination vis-à-vis de la société ». Cette absence de preuve est d’autant plus significative que le demandeur occupait une position de direction. Il lui appartenait de démontrer qu’indépendamment de ses fonctions de président, il exécutait des tâches sous les ordres d’un autre employeur, ce qu’il ne fait pas.

B. La prise en compte de l’intérêt propre du dirigeant

La Cour développe un raisonnement téléologique pour écarter la requalification. Elle considère que « en qualité de président de la société PH, M. avait un intérêt au fonctionnement de son établissement et à accueillir les fournisseurs de son traiteur ». Cette analyse déplace le regard de la tâche accomplie vers la finalité poursuivie par son auteur.

Le demandeur réceptionnait des livraisons et ouvrait les locaux à des prestataires. Ces actes matériels pouvaient s’analyser comme l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de la société de traiteur. La Cour refuse cette qualification en relevant que ces mêmes actes servaient également les intérêts propres du demandeur, exploitant des lieux pour son propre compte. L’intérêt personnel neutralise la caractérisation d’un travail accompli pour autrui.

Cette approche rejoint la jurisprudence relative à l’entraide familiale ou aux services rendus entre amis. Lorsque la prestation accomplie profite également à celui qui l’exécute ou procède d’un lien personnel, elle ne caractérise pas nécessairement un travail subordonné. La Cour applique ce raisonnement à une situation plus complexe où le demandeur était à la fois occupant des lieux, dirigeant d’une société exploitante et prétendument salarié d’un prestataire extérieur. Cette superposition de qualités rendait peu crédible l’existence d’une subordination effective envers la société de traiteur.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture