Cour d’appel de Lyon, le 27 juin 2025, n°22/02399

Par un arrêt du 27 juin 2025, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement du Conseil de prud’hommes de Saint-Etienne qui avait retenu la faute grave d’une salariée licenciée pour des propos injurieux proférés à l’encontre de sa supérieure hiérarchique.

Une salariée avait été embauchée le 31 juillet 2017 en qualité d’employée commerciale polyvalente au sein d’un supermarché. Le 4 avril 2019, une altercation a éclaté entre cette salariée et sa responsable hiérarchique. La salariée a alors proféré des insultes, notamment « chef de ta culotte, chef de ton cul ». Une mise à pied conservatoire lui a été notifiée le même jour. Le lendemain, pendant cette mise à pied, la salariée s’est présentée sur le parking du magasin et a de nouveau menacé et insulté sa supérieure. Par lettre du 19 avril 2019, l’employeur a notifié son licenciement pour faute grave.

La salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Saint-Etienne, qui a jugé le 1er mars 2022 que le licenciement reposait sur une faute grave et l’a déboutée de ses demandes. Elle a interjeté appel de cette décision. Devant la Cour d’appel, la salariée soutenait que les attestations produites par l’employeur avaient été établies postérieurement aux faits, que l’employeur s’était constitué une preuve à lui-même en produisant l’attestation de la directrice signataire de la lettre de licenciement, et que cette lettre manquait de précision. L’employeur répliquait que la salariée n’avait pas demandé de précisions sur les motifs dans le délai légal et que les faits étaient suffisamment établis.

La question posée à la Cour était de savoir si les propos injurieux proférés par une salariée à l’encontre de sa supérieure hiérarchique, réitérés le lendemain pendant une mise à pied conservatoire, caractérisent une faute grave justifiant un licenciement sans préavis ni indemnité.

La Cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement en retenant que « les agissements de la salariée, qui avait déjà fait l’objet d’une mise en garde et de trois avertissements pour un comportement inadapté et une mauvaise exécution des tâches qui lui étaient confiées, caractérisent la faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis ».

Cet arrêt invite à examiner d’abord les conditions de la caractérisation de la faute grave en matière d’insubordination (I), avant d’analyser le régime probatoire applicable au licenciement disciplinaire (II).

I. La caractérisation de la faute grave par le comportement injurieux du salarié

La Cour d’appel de Lyon retient la qualification de faute grave en s’appuyant sur la gravité intrinsèque des propos tenus (A), renforcée par le contexte disciplinaire antérieur de la salariée (B).

A. La gravité des propos injurieux adressés à la hiérarchie

La Cour rappelle que « la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Cette définition classique, issue d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, suppose la réunion de deux éléments. Le premier tient à la violation d’une obligation contractuelle ou relationnelle. Le second réside dans l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise, même temporairement.

En l’espèce, les propos « chef de ta culotte, chef de ton cul » et « ferme ta gueule » adressés à une supérieure hiérarchique constituent indéniablement une atteinte au respect dû à l’autorité de l’employeur. Le lien de subordination, élément caractéristique du contrat de travail, implique que le salarié exécute ses fonctions sous la direction de l’employeur ou de ses représentants. L’obligation de respecter la hiérarchie découle directement de ce lien. Les injures proférées publiquement, devant plusieurs témoins, en dehors de tout contexte de provocation établi, caractérisent une insubordination manifeste.

La Cour relève que ces faits « constituent une violation par la salariée des obligations découlant de son contrat de travail, qui oblige l’employeur à prendre des mesures immédiates propres à les faire cesser ». Cette formulation souligne l’urgence de la situation. L’employeur ne pouvait laisser perdurer un comportement de nature à déstabiliser l’organisation du travail et à porter atteinte à l’autorité des responsables hiérarchiques.

La réitération des faits le lendemain, pendant la mise à pied conservatoire, aggrave sensiblement la situation. La salariée, informée de la gravité de son comportement, a choisi de se rendre sur le lieu de travail pour renouveler ses provocations et menaces. Cette persistance démontre une volonté délibérée de nuire et exclut toute possibilité de considérer les premiers faits comme un simple emportement passager.

B. L’incidence du passé disciplinaire sur la qualification retenue

La Cour d’appel de Lyon ne se contente pas d’examiner les faits du 4 et du 5 avril 2019 de manière isolée. Elle prend en compte le passé disciplinaire de la salariée en relevant qu’elle « avait déjà fait l’objet d’une mise en garde et de trois avertissements pour un comportement inadapté et une mauvaise exécution des tâches qui lui étaient confiées ».

Cette prise en compte du passé disciplinaire s’inscrit dans une jurisprudence bien établie. La Cour de cassation admet que des faits qui, pris isolément, ne constitueraient pas une faute grave puissent recevoir cette qualification lorsqu’ils s’inscrivent dans un contexte de comportement fautif récurrent. Le salarié qui a été averti à plusieurs reprises et qui persiste dans son attitude ne peut se prévaloir de la clémence que pourrait justifier un premier manquement.

La salariée contestait la pertinence de ces antécédents en soutenant que les sanctions antérieures étaient sans lien avec les griefs retenus pour la licencier. La Cour écarte implicitement cet argument. Les avertissements portaient sur « un comportement inadapté », ce qui englobe les difficultés relationnelles et l’irrespect de la hiérarchie. La directrice attestait d’ailleurs s’être « déjà entretenu avec elle pour qu’elle la respecte » et l’avoir prévenue qu’elle « serait sanctionnée pour non-respect de sa hiérarchie ».

Cette approche globale du comportement du salarié présente une portée pratique considérable. Elle incite les employeurs à formaliser les manquements par des sanctions écrites, même mineures, afin de constituer un dossier disciplinaire susceptible de justifier ultérieurement une mesure plus sévère. Elle rappelle également aux salariés que les avertissements ne sont pas dénués de conséquences et qu’ils peuvent peser dans l’appréciation de la gravité de faits ultérieurs.

II. Le régime probatoire du licenciement pour faute grave

La Cour d’appel de Lyon précise les règles applicables à la charge de la preuve (A) et statue sur la valeur des attestations produites par l’employeur (B).

A. La répartition de la charge de la preuve entre les parties

La Cour rappelle que « la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l’employeur débiteur qui prétend en être libéré ». Cette règle, constante en jurisprudence, découle du principe selon lequel celui qui se prétend libéré d’une obligation doit prouver le fait qui a produit l’extinction de cette obligation.

L’employeur qui invoque une faute grave doit donc établir non seulement la matérialité des faits reprochés, mais également leur imputabilité au salarié et leur gravité suffisante pour justifier la rupture immédiate du contrat. En l’espèce, la société a produit plusieurs attestations de salariés témoins des altercations. La Cour considère que « ces témoignages sont précis et concordants et ils ne laissent aucun doute sur la réalité des faits reprochés à la salariée ».

La salariée contestait la motivation de la lettre de licenciement. La Cour applique les dispositions de l’article L. 1235-2 du code du travail en relevant qu’« à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse ». La salariée n’ayant pas sollicité de précisions dans le délai de quinze jours suivant la notification, elle ne pouvait utilement invoquer ce moyen.

Cette disposition, issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, a modifié sensiblement l’équilibre du contentieux du licenciement. Auparavant, l’insuffisance de motivation pouvait priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Désormais, elle ouvre seulement droit à une indemnité d’un mois de salaire maximum, sous réserve que le salarié ait préalablement sollicité des précisions. Cette réforme renforce la sécurité juridique de l’employeur tout en incitant le salarié à une démarche proactive.

B. L’appréciation de la force probante des attestations

La salariée soulevait plusieurs critiques à l’encontre des attestations produites par l’employeur. Elle faisait valoir qu’elles avaient été établies postérieurement aux faits, qu’elles auraient été obtenues sous la pression de l’employeur et que l’attestation de la directrice constituait une preuve que l’employeur s’était constituée à lui-même.

La Cour écarte ces arguments. Sur le caractère postérieur des attestations, elle ne retient pas ce grief. Il est en effet habituel que les témoignages soient recueillis après les faits, précisément en vue d’un contentieux éventuel. La circonstance que les attestations aient été établies après le licenciement ne leur retire pas leur valeur probante dès lors qu’elles relatent des faits dont les témoins ont eu personnellement connaissance.

Sur l’attestation de la directrice, la Cour précise que « par la production de l’attestation de Madame [R], conforme à l’article 202 du code de procédure civile, la société ne se constitue pas une preuve à elle-même, puisqu’il s’agit du témoignage d’une salariée de l’entreprise, qui se borne à attester des conditions dans lesquelles elle a été informée du comportement de Madame [B] par une autre salariée de l’entreprise ».

Cette analyse mérite attention. Le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même interdit à une partie de se prévaloir de documents qu’elle a elle-même établis. L’attestation d’un salarié, fût-il dirigeant, n’entre pas dans cette catégorie. Le témoin, même lié par un contrat de travail à l’employeur, reste un tiers par rapport au litige opposant l’entreprise au salarié licencié. Son témoignage est recevable, sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond quant à sa sincérité.

La Cour relève enfin que « les deux attestations produites par cette dernière ne sont pas de nature à contredire utilement celles produites par la société Sodali ». Cette formulation illustre le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation des éléments de preuve. Face à des témoignages contradictoires, ils déterminent librement ceux qui emportent leur conviction. En l’espèce, le nombre et la concordance des attestations produites par l’employeur ont prévalu sur les éléments contraires.

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Hassan KOHEN
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