Cour d’appel de Lyon, le 3 juillet 2025, n°21/05189

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 3 juillet 2025 offre une illustration classique du régime de responsabilité applicable au loueur de matériel professionnel. La décision statue sur un litige opposant l’exploitant d’un centre commercial à son cocontractant, lequel lui avait fourni en location une installation d’éclairage LED pour ses réserves.

Les faits sont les suivants. En janvier 2014, un contrat de location d’installation LED est conclu pour une durée de soixante mois. L’installation est réalisée en avril 2014. Dès juillet 2015, de nombreux tubes tombent en panne. Le loueur procède à quelques remplacements, puis invoque des surtensions sur le réseau pour refuser d’honorer la garantie contractuelle. Le locataire sollicite alors une expertise judiciaire. L’expert dépose son rapport en novembre 2018 et conclut à l’existence d’un défaut de conception des tubes, tenant à une température de fonctionnement excessive et à l’absence de pâte thermique.

Le tribunal de commerce de Lyon, par jugement du 19 mai 2021, reconnaît la responsabilité contractuelle du loueur et le condamne à procéder au remplacement des néons défectueux sous astreinte. Il alloue au locataire la somme de 1 000 euros au titre de sa responsabilité contractuelle. Le locataire interjette appel, estimant cette indemnisation insuffisante. Le loueur forme appel incident et sollicite sa mise hors de cause, arguant que le défaut de conception incombe exclusivement à son propre fournisseur.

La question posée à la cour était double. D’une part, le loueur de matériel pouvait-il s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en invoquant la faute exclusive de son fournisseur ? D’autre part, comment évaluer les différents chefs de préjudice invoqués par le locataire ?

La cour d’appel de Lyon rejette la demande de mise hors de cause du loueur et porte l’indemnisation totale à 10 420 euros. Elle retient que « la garantie contractuelle à laquelle est tenue la société [loueur] envers la société [locataire] s’applique » et que « la société [locataire] dispose bien, à l’encontre de celle-ci, d’une action contractuelle sans être tenue d’agir directement contre le fabricant ».

La décision mérite attention tant sur le fondement de la responsabilité du loueur professionnel (I) que sur la méthode d’évaluation des préjudices subis par le locataire (II).

I. La responsabilité contractuelle du loueur professionnel à l’égard du locataire

La cour refuse la mise hors de cause du loueur en combinant les stipulations contractuelles et les obligations légales du bailleur (A), consacrant ainsi l’autonomie de l’action contractuelle du locataire (B).

A. Le cumul des fondements contractuel et légal

La cour fonde la responsabilité du loueur sur un double socle juridique. Elle rappelle d’abord les articles 1103 et 1104 du code civil relatifs à la force obligatoire des contrats et à leur exécution de bonne foi. Le contrat prévoyait une garantie de remplacement des tubes défectueux pendant toute la durée de la location. La cour relève que « ces désordres proviennent d’un défaut de conception des tubes », mais elle refuse d’en tirer la conséquence qu’en sollicitait le loueur. L’origine du vice, fût-elle imputable au fabricant, ne dispense pas le loueur d’exécuter sa propre obligation de garantie.

La cour mobilise également l’article 1719 du code civil qui « fait obligation au bailleur d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ». Cette disposition impose au bailleur une obligation continue d’entretien, distincte de la simple garantie des vices cachés. Le loueur professionnel se trouve ainsi tenu d’une obligation de résultat quant à l’aptitude du matériel à remplir sa fonction pendant toute la durée du bail.

B. L’inopposabilité au locataire de la défaillance du fournisseur

Le loueur soutenait que la responsabilité exclusive de son fournisseur devait entraîner sa mise hors de cause. La cour écarte cette argumentation de manière particulièrement nette. Elle affirme que le locataire « dispose bien, à l’encontre de celle-ci, d’une action contractuelle sans être tenue d’agir directement contre le fabricant ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante relative à l’effet relatif des contrats. Le locataire n’a de lien contractuel qu’avec le loueur. Les rapports entre ce dernier et son propre fournisseur lui sont indifférents. Le loueur dispose certes d’un recours contre le fabricant, comme l’avait d’ailleurs retenu le tribunal de commerce en condamnant le fournisseur à garantir le loueur. Mais ce recours ne saurait priver le locataire de son action directe contre son cocontractant.

La décision illustre le principe selon lequel le débiteur contractuel ne peut s’exonérer en invoquant la défaillance d’un tiers dont il a choisi de s’entourer pour exécuter ses obligations. Le professionnel qui s’approvisionne auprès d’un fabricant assume le risque de la qualité des produits fournis dans ses relations avec ses propres clients.

II. L’évaluation différenciée des préjudices du locataire

La cour procède à un examen méthodique des quatre chefs de préjudice invoqués, retenant une approche réaliste pour les préjudices certains (A) et rejetant la demande fondée sur un préjudice incertain (B).

A. L’indemnisation des préjudices certains et quantifiables

La cour retient trois postes de préjudice. Le premier concerne les loyers versés sans contrepartie pour les néons défectueux. La cour refuse le calcul proposé par le locataire qui multipliait le nombre de néons par la durée totale de trente-deux mois. Elle observe que « les 480 néons concernés par cette demande n’ont pas tous été hors d’usage sur la totalité de la période invoquée » et que « les pannes ont été progressives ». Elle procède donc à une évaluation forfaitaire de 8 000 euros tenant compte de cette progressivité.

Le préjudice de jouissance est également retenu mais pour un montant limité à 800 euros. La cour relève que « l’installation totale portait sur 1 140 néons » et que « la défectuosité de 480 néons représentait près de 42 % de l’installation ». Elle constate néanmoins que les locaux ont pu continuer à être utilisés et que le travail dans des conditions dangereuses « n’est aucunement démontré ».

Enfin, le préjudice de mobilisation des ressources internes est intégralement accueilli pour 1 620 euros. L’expert avait reconnu que « des employés ont été mobilisés pour procéder au changement de plusieurs centaines de tubes LED ». Le contrat prévoyant un coût de maintenance de 3 euros par néon, le calcul du locataire correspondant à 540 néons remplacés est validé.

B. Le rejet du préjudice incertain tenant aux économies d’énergie

Le locataire réclamait 49 233 euros au titre du manque à gagner sur les économies d’énergie promises contractuellement. La cour rejette cette demande en relevant que « le coût de la consommation annuelle d’éclairage ne représente qu’une petite fraction de sa facture totale ». L’expert avait souligné qu’« il est délicat d’estimer les économies réalisées en se basant sur l’étude des factures de consommation électrique, ces dernières étant globales ».

La cour fait application du principe selon lequel seul le préjudice certain peut donner lieu à réparation. En l’absence de compteur spécifique à l’installation d’éclairage, il était impossible d’isoler l’incidence des défaillances sur la consommation électrique. Les variations de la facture globale pouvaient tenir à de multiples facteurs étrangers aux néons défectueux.

Cette exigence probatoire rappelle que le demandeur supporte la charge de démontrer non seulement l’existence mais aussi l’étendue de son préjudice. Un préjudice dont le quantum ne peut être établi avec une certitude raisonnable ne saurait être indemnisé, fût-il vraisemblable dans son principe.

L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 3 juillet 2025 s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence protectrice du locataire professionnel. Il rappelle que le loueur de matériel ne peut se retrancher derrière les défaillances de sa chaîne d’approvisionnement pour échapper à ses obligations contractuelles et légales. La décision illustre également la rigueur méthodologique attendue dans l’évaluation du préjudice, distinguant les postes certains des demandes insuffisamment étayées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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