Cour d’appel de Lyon, le 3 juillet 2025, n°24/09700

La titrisation des créances bancaires, singulièrement lorsqu’elle porte sur des prêts immobiliers en devises étrangères, soulève des difficultés contentieuses récurrentes devant le juge de l’exécution. La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre les moyens de défense du débiteur saisi et les pouvoirs du juge de la saisie immobilière.

Un établissement bancaire avait consenti, par acte notarié du 17 octobre 2008, un prêt immobilier libellé en francs suisses. Le débiteur ayant cessé d’honorer ses échéances, la déchéance du terme fut prononcée le 17 octobre 2014. Un jugement du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse du 3 novembre 2016 condamna l’emprunteur au paiement de diverses sommes. La créance fut successivement cédée à deux fonds communs de titrisation. Le cessionnaire fit délivrer, le 10 mars 2023, un commandement aux fins de saisie immobilière pour un montant total de 325 169,57 euros.

Par jugement du 19 novembre 2024, le juge de l’exécution rejeta les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir et de la prescription, débouta le débiteur de sa demande d’exercice du droit de retrait litigieux, déclara irrecevable sa demande de restitution des intérêts et ordonna la vente forcée. Le débiteur interjeta appel le 20 décembre 2024.

Devant la cour, l’appelant soutenait que la créance était prescrite, qu’il pouvait exercer son droit de retrait litigieux et que la banque avait manqué à son obligation d’information lors de l’octroi du prêt en devises. Le fonds commun de titrisation intimé concluait à la confirmation du jugement.

La question posée à la cour était triple. Il s’agissait de déterminer si la créance fondée sur l’acte notarié de prêt était prescrite, si les conditions du retrait litigieux étaient réunies, et si le juge de l’exécution pouvait connaître d’une demande de restitution des intérêts fondée sur un manquement du prêteur à son obligation d’information.

La Cour d’appel de Lyon confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que « M. [W] ne précise pas dans ses conclusions à quelle date la créance résultant de l’acte notarié de prêt serait devenue prescrite » et qu’il « ne discute pas non plus les dates qui ont été reprises par le premier juge ». Sur le retrait litigieux, elle juge que « les deux contestations soulevées par le débiteur devant le juge de l’exécution portaient exclusivement sur le droit d’agir du créancier poursuivant et non sur la créance elle-même ». Concernant la demande de restitution des intérêts, elle relève que l’appelant « invoque dans sa discussion, non pas le caractère abusif de telle ou telle clause du contrat de prêt notarié souscrit le 17 octobre 2008 laquelle devrait être réputée non écrite, mais le non-respect par la banque de son obligation d’information ».

Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise les exigences de motivation pesant sur le débiteur qui conteste la procédure de saisie immobilière (I) et délimite les pouvoirs du juge de l’exécution face aux moyens tirés du droit de la consommation (II).

I. Les exigences procédurales pesant sur le débiteur contestant la saisie

La cour rappelle avec fermeté les obligations de motivation incombant au débiteur tant sur le moyen tiré de la prescription (A) que sur celui fondé sur le retrait litigieux (B).

A. L’insuffisance d’un moyen de prescription non circonstancié

L’appelant invoquait la prescription quinquennale de la créance sans préciser la date à laquelle celle-ci serait acquise. La cour relève que « M. [W] ne précise pas dans ses conclusions à quelle date la créance résultant de l’acte notarié de prêt serait devenue prescrite ». Elle ajoute qu’il « ne discute pas non plus les dates qui ont été reprises par le premier juge ».

Cette motivation illustre une exigence classique du droit processuel. Celui qui invoque la prescription doit établir que le délai est effectivement expiré. En matière de créance de prêt, le point de départ du délai varie selon que l’on considère les échéances impayées ou le capital rendu exigible par la déchéance du terme. Le débiteur ne peut se contenter d’alléguer la prescription sans démontrer précisément le dépassement du délai.

En l’espèce, le juge de l’exécution avait minutieusement relevé les actes interruptifs : « mesures de saisie-attribution pratiquées le 2 décembre 2014, le 29 décembre 2014, le 21 mai 2015, le 8 novembre 2016, le 6 novembre 2018, commandement aux fins de saisie-vente en date du 22 août 2022, mesures de saisie-attribution du 22 août 2022 et du 18 octobre 2022 ». Face à cette chronologie établie, le débiteur devait contester ces dates ou démontrer qu’elles n’avaient pas interrompu la prescription. Son abstention justifiait le rejet du moyen.

B. La qualification erronée des contestations au regard du retrait litigieux

Le droit de retrait litigieux prévu à l’article 1699 du Code civil permet au débiteur d’une créance cédée d’éteindre sa dette en remboursant au cessionnaire le prix de cession. Ce mécanisme suppose toutefois l’existence d’un litige portant sur le fond du droit.

La cour confirme le rejet de ce moyen en relevant que « les deux contestations soulevées par le débiteur devant le juge de l’exécution portaient exclusivement sur le droit d’agir du créancier poursuivant et non sur la créance elle-même ». Cette distinction entre contestation du droit d’agir et contestation de la créance est déterminante.

L’article 1700 du Code civil exclut le retrait litigieux lorsque la cession est faite « à un cohéritier ou copropriétaire du droit cédé », « à un créancier en paiement de ce qui lui est dû » ou « au possesseur de l’héritage sujet au droit litigieux ». La jurisprudence a précisé que le caractère litigieux s’apprécie au jour de la cession et suppose une contestation sérieuse sur le fond. Les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité ou de la prescription ne constituent pas de telles contestations puisqu’elles portent sur les conditions de l’action et non sur l’existence ou le quantum de la créance.

L’appelant offrait de racheter sa créance pour un montant de 174 887,21 euros, soit 53,39 % de sa valeur. Cette proposition supposait établie la réunion des conditions du retrait. En l’absence de contestation du fond, la cour ne pouvait que confirmer le rejet de cette demande.

II. La délimitation des pouvoirs du juge de l’exécution en matière de clauses abusives

La cour distingue nettement le contrôle des clauses abusives relevant des pouvoirs du juge de l’exécution (A) de l’appréciation d’un manquement à l’obligation d’information qui relève du juge du fond (B).

A. Le contrôle des clauses abusives reconnu au juge de l’exécution

La cour énonce le principe selon lequel « le juge est tenu d’apprécier, même au stade d’une mesure d’exécution forcée, le caractère éventuellement abusif d’une clause ». Cette affirmation s’inscrit dans la jurisprudence européenne issue de l’arrêt Banco Español de Crédito de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juin 2012.

Le contrôle des clauses abusives constitue une question d’ordre public que le juge doit soulever d’office. Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, cette obligation s’impose au juge de l’exécution. La sanction du caractère abusif, consistant à réputer la clause non écrite, peut affecter directement le montant de la créance servant de fondement à la poursuite.

En matière de prêts en devises étrangères, la Cour de justice a rendu plusieurs décisions importantes. L’arrêt du 20 septembre 2017, affaire Andriciuc, a précisé les exigences de transparence pesant sur les clauses relatives au risque de change. Les arrêts du 10 juin 2021, auxquels l’appelant se référait, ont affiné ces exigences en matière de clause d’écart de change.

B. L’irrecevabilité de la demande fondée sur un manquement à l’obligation d’information

La cour relève que l’appelant « invoque dans sa discussion, non pas le caractère abusif de telle ou telle clause du contrat de prêt notarié souscrit le 17 octobre 2008 laquelle devrait être réputée non écrite, mais le non-respect par la banque de son obligation d’information ». Cette distinction est essentielle.

Le manquement à l’obligation d’information constitue une faute dont « la conséquence ne pourrait être que la réparation d’un dommage subi par l’emprunteur en lien avec cette faute et l’allocation de dommages et intérêts ». La cour en conclut que « cette question ressort des pouvoirs du juge du fond ».

Cette répartition des compétences repose sur la nature de la sanction sollicitée. Le juge de l’exécution peut neutraliser une clause abusive en la réputant non écrite, ce qui modifie directement l’assiette de la créance poursuivie. En revanche, il ne peut allouer des dommages et intérêts qui supposent l’appréciation d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Cette demande indemnitaire excède ses pouvoirs juridictionnels définis par les articles L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire et R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution.

L’appelant aurait pu invoquer le caractère abusif de la clause de risque de change au regard des exigences de transparence dégagées par la jurisprudence européenne. Il a préféré fonder sa demande sur un manquement à l’obligation d’information précontractuelle, ce qui le plaçait hors du champ de compétence du juge de l’exécution. Cette erreur de stratégie procédurale justifie l’irrecevabilité prononcée.

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Hassan KOHEN
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