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Cour d’appel de Lyon, 5 septembre 2025. L’arrêt tranche un litige prud’homal portant sur la caractérisation d’un harcèlement moral, l’étendue de l’obligation de sécurité, puis les effets d’une inaptitude d’origine professionnelle sur la validité du licenciement. Les faits tiennent à une relation de travail débutée en 1987, marquée par des tensions récurrentes avec un contremaître et une dégradation alléguée des conditions de travail en juin 2018. Une réunion du comité d’hygiène et de sécurité s’est tenue, suivie d’un arrêt de travail immédiatement prescrit, puis d’un avis d’inaptitude avec dispense de reclassement. L’instance représentative a été consultée et l’autorité administrative a autorisé le licenciement, notifié pour inaptitude.
Saisie par la salariée, la juridiction prud’homale a rejeté ses demandes. En appel, celle-ci sollicitait la reconnaissance d’un harcèlement moral, la condamnation de l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité, la nullité du licenciement et l’octroi des indemnités afférentes, dont l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité spéciale de licenciement. L’employeur contestait tout harcèlement et soutenait la licéité de la rupture. La question posée à la cour portait, d’abord, sur la méthode de preuve du harcèlement et la portée de faits anciens au regard de la prescription, ensuite, sur l’origine professionnelle de l’inaptitude, l’exigence de connaissance par l’employeur à la date de la rupture, et la sanction attachée à la nullité. La cour d’appel retient l’existence d’un harcèlement, constate un manquement à l’obligation de sécurité, qualifie l’inaptitude d’origine professionnelle connue de l’employeur et prononce la nullité du licenciement, allouant plusieurs postes d’indemnisation, notamment l’indemnité prévue par les textes pour nullité, l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité spéciale doublée. Elle rappelle que « Les dispositions du code du travail sont autonomes par rapport au droit de la sécurité sociale », et que « le licenciement prononcé pour inaptitude est nul lorsque cette inaptitude est la conséquence d’agissements de harcèlement moral ».
I. La caractérisation du harcèlement et le contrôle de l’obligation de sécurité
A. Le faisceau d’indices, la prescription et l’aménagement de la preuve
La cour d’appel adopte une démarche classique, fondée sur l’examen global des éléments fournis par la salariée puis sur une exigence de justification objective par l’employeur. Elle cite que « Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral ». Elle ajoute ensuite: « Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ».
La motivation articule soigneusement la prescription quinquennale et la permanence d’un comportement. Des faits anciens, antérieurs au délai, sont convoqués pour établir la continuité d’attitudes dénigrantes et humiliantes, sans créer d’imprescriptibilité de l’action. Ce traitement respecte l’économie des textes sur la preuve, car il ne s’agit pas de faire revivre des griefs prescrits, mais de qualifier une situation globale durant la période utile. Les attestations concordantes, le retentissement médical immédiat et l’absence de démenti probant de l’employeur composent un faisceau d’indices suffisant.
L’appréciation de la cour est mesurée. Elle n’isole pas l’altercation la plus récente, elle en cerne la portée en la replaçant dans une relation de travail durablement détériorée. Cette méthode offre une lisibilité probatoire satisfaisante et s’inscrit dans une jurisprudence de contrôle en deux temps, dont l’équilibre protège la victime sans priver l’employeur de moyens de justification.
B. L’obligation de sécurité, entre prévention effective et réaction tardive
La cour rappelle la teneur de l’obligation de sécurité en précisant les moyens d’exonération attachés à la prévention effective. Elle souligne que « L’article L.4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Elle précise surtout: « Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ».
L’analyse retient que l’employeur a tardé à mettre en œuvre des mesures d’apaisement et n’a pas assuré une régulation managériale suffisante. Les démarches postérieures aux faits les plus saillants demeurent insuffisantes, faute de suivi et de mise en œuvre avérée des préconisations. La cour en déduit un manquement spécifique, distinct du harcèlement, ouvrant droit à une réparation autonome et modérée. Le raisonnement conjugue prévention et réaction, il privilégie la traçabilité des mesures utiles et la cohérence d’ensemble, plutôt que la simple annonce d’outils de médiation.
La référence, parfois discutée, à une « obligation de résultat » est nuancée par la clause d’exonération fondée sur la preuve des mesures utiles. L’arrêt s’aligne ainsi, dans ses effets, sur l’exigence d’une prévention substantielle et documentée. Il illustre une exigence accrue de diligence et d’efficacité, appréciée concrètement au regard des tensions connues et persistantes.
II. L’inaptitude d’origine professionnelle et la nullité du licenciement
A. L’autonomie du droit du travail et la connaissance de l’origine professionnelle
La cour affirme l’indépendance du juge prud’homal dans la qualification de l’origine professionnelle de l’inaptitude. Elle énonce que « Les dispositions du code du travail sont autonomes par rapport au droit de la sécurité sociale ». Elle ajoute: « Il appartient au juge du fond de déterminer lui-même, sans se fonder exclusivement sur la prise en charge ou sur le refus de prise en charge par la sécurité sociale de l’accident ou de la maladie, le caractère professionnel de cet accident ou de la maladie, et de déterminer si l’employeur avait ou non connaissance de ce caractère professionnel lors du licenciement ».
Cette autonomie est mise en œuvre avec pragmatisme. La continuité des arrêts de travail, l’enquête administrative postérieure, la réunion d’instance où la gestion du conflit a été centrale et le contexte ancien de plaintes forment un ensemble convergent. À la date de la rupture, l’employeur ne pouvait ignorer que l’inaptitude procédait, au moins pour partie, d’événements survenus dans l’entreprise et d’un accident déclaré. La cour ne s’en remet ni à une prise en charge sociale ni à son refus initial, elle confronte des données objectives, médicales et organisationnelles, à la chronologie du processus de rupture.
Cette démarche sécurise le critère décisif de la connaissance. Elle évite les automatismes et consacre une appréciation in concreto, centrée sur les éléments portés à la connaissance de l’employeur au moment pertinent. Le contrôle juridictionnel gagne en densité, tout en préservant la logique protectrice attachée au risque professionnel.
B. Les effets juridiques de la nullité et le régime indemnitaire applicable
Constatant le lien causal entre harcèlement et inaptitude, la cour énonce la sanction attachée à ce lien. Elle retient que « le licenciement prononcé pour inaptitude est nul lorsque cette inaptitude est la conséquence d’agissements de harcèlement moral ». Cette nullité commande l’allocation d’une indemnité minimale de six mois de salaire, selon le régime spécialement applicable, et justifie des réparations complémentaires, en particulier au titre du harcèlement et du manquement à l’obligation de sécurité.
La décision accorde une indemnité dédiée à la nullité, d’un montant significatif au regard de l’ancienneté et de l’âge, sans éléments sur le reclassement postérieur. Elle octroie également l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, conformément aux textes gouvernant l’inaptitude d’origine professionnelle, puis l’indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale, sous déduction du versé. L’ensemble s’accompagne des intérêts selon la nature des créances et d’une condamnation au titre des frais irrépétibles, l’équité commandant la solution retenue.
L’économie de l’arrêt est cohérente. La nullité, ici fondée sur la cause de l’inaptitude, articule sanction et réparation en ménageant la spécificité du risque professionnel. La combinaison des postes renforce l’effet utile des règles de prévention et des mécanismes de preuve, tout en adressant un signal clair sur l’exigence de mesures effectives de protection de la santé au travail. L’arrêt offre ainsi une application structurée des textes, sans excès, au service d’une lisibilité pratique pour les acteurs des relations de travail.