Cour d’appel de Lyon, le 5 septembre 2025, n°22/02441

La Cour d’appel de Lyon, chambre sociale C, 5 septembre 2025, statue sur l’appel d’un jugement de départage du conseil de prud’hommes de Belley du 7 mars 2022. Le litige oppose un salarié, coordinateur logistique, licencié pour faute grave à la suite d’une enquête interne, à son employeur relevant de la métallurgie.

Les faits tiennent à des agissements reprochés lors d’une soirée faisant suite à un événement d’entreprise. Une enquête a été menée les 10 et 11 juillet 2019, un rapport a été finalisé le 12 juillet. Le salarié a été convoqué le même jour à un entretien préalable fixé après ses congés, avec une mise à pied conservatoire débutant à son retour. Le licenciement pour faute grave est intervenu le 8 août 2019.

En première instance, la validité de la mise à pied conservatoire a été admise et la cause réelle et sérieuse retenue, sans dommages-intérêts pour circonstances vexatoires. L’appelant soutenait une requalification en mise à pied disciplinaire au soutien d’un grief de double sanction, et contestait la faute grave en invoquant des faits relevant, selon lui, de la vie personnelle.

La question porte sur la nature et le régime de la mise à pied notifiée avant des congés et effective à leur terme, puis sur l’imputation disciplinaire de faits survenus hors du temps et du lieu de travail. La Cour confirme la nature conservatoire de la mesure et retient ensuite la faute grave, au regard d’agissements à connotation sexuelle dirigés envers des collègues, et écarte toute vexation particulière.

I. Qualification et régime de la mise à pied conservatoire

A. Immédiateté de la procédure et articulation avec les congés payés

La Cour rappelle le cadre légal et jurisprudentiel. Elle énonce d’abord que « La mise à pied conservatoire est une mesure provisoire prononcée lorsque les faits reprochés au salarié paraissent d’une gravité telle qu’ils justifient sa mise à l’écart de l’entreprise dans l’attente d’un éventuel licenciement ». Elle ajoute, conformément à la jurisprudence, que « Pour conserver son caractère conservatoire, la mise à pied doit en principe être suivie immédiatement de l’engagement d’une procédure de licenciement (Soc., 14 avril 2021, pourvoi nº 20-12.920) ».

La décision distingue avec clarté notification et prise d’effet. La convocation et la mise à pied sont notifiées avant les congés, mais la suspension ne s’applique qu’au retour, l’intéressé étant déjà éloigné. La Cour l’énonce nettement : « Or, le but de la mise à pied conservatoire étant d’éloigner le salarié de l’entreprise pendant la procédure de licenciement et impliquant une suspension du contrat de travail, celle-ci ne peut s’appliquer en période de congés payés pendant lesquels l’intéressé se trouve déjà en dehors de son lieu de travail ». La solution préserve l’exigence d’immédiateté sans formaliser une impossibilité pratique liée aux congés.

Cette approche s’accompagne d’une qualification précise de l’acte employeur. « La décision de l’employeur d’interdire au salarié d’accéder à l’entreprise et de le dispenser de toute activité, formulée dans la lettre de convocation à l’entretien préalable, dans l’attente de la décision à intervenir, s’analyse effectivement en une mise à pied conservatoire ». La Cour verrouille ainsi la cohérence temporelle de la mesure, en l’arrimant à la convocation et au motif disciplinaire annoncé.

B. Absence de double sanction et proportion du délai

La Cour écarte la requalification disciplinaire, faute d’éléments objectifs d’une suspension effective avant congés. Elle souligne que la rémunération a été maintenue et que les restrictions alléguées d’accès n’étaient pas établies. La thèse d’une purge du pouvoir disciplinaire ne prospère donc pas.

Sur le terrain du non bis in idem, la motivation est dépourvue d’ambiguïté. « La mise à pied n’étant pas une sanction, elle pouvait être suivie d’une mesure de licenciement comme en l’espèce ». La Cour ajoute que le décalage d’effet, imposé par les congés, ne retire pas son caractère conservatoire à la mesure notifiée : « Dès lors, il s’agit bien d’une mesure conservatoire qui n’a pas perdu ce caractère du seul fait que ses effets aient été différés en raison des circonstances ». L’économie de la protection immédiate est respectée, sans excès formaliste.

Enfin, la proportion du délai est contrôlée. La Cour retient que « le délai de la mise à pied à titre conservatoire, d’une durée de quatre jours, n’apparait manifestement pas excessif ». L’appréciation s’accorde avec l’exigence d’une procédure diligente, déclenchée sans rupture à l’issue des congés. L’ensemble consolide une ligne de cohérence pratique, utile aux situations de notification précédant une absence programmée.

II. Faute grave et faits hors temps et lieu de travail

A. Rattachement à la sphère professionnelle et pouvoir disciplinaire

La Cour fixe le périmètre disciplinaire applicable aux faits survenus lors d’une soirée postérieure à un événement d’entreprise. Le principe est rappelé avec mesure : « Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail ». Elle retient ensuite l’imbrication professionnelle décisive.

Le rattachement découle de l’origine et de la composition du groupe présent, formé par des collègues réunis à la suite d’une manifestation organisée par l’employeur. La Cour adopte une formule nette, issue du contrôle des juges du fond : « les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées d’un salarié à l’égard de personnes avec lesquelles l’intéressé est en contact en raison de son travail ne relèvent pas de sa vie personnelle ». Le pouvoir disciplinaire se trouve ainsi légitimé lorsqu’existe un lien professionnel étroit, même hors du temps et du lieu de travail.

Ce choix s’inscrit dans la logique de l’obligation de sécurité et de prévention des agissements sexistes. Il promeut un environnement de travail exempt de pression, y compris à la marge d’événements liés à l’entreprise. La portée est réaliste et protectrice, sans élargir indûment le champ du disciplinaire aux sphères privées déconnectées.

B. Contrôle probatoire, gravité et conséquences

La Cour opère un contrôle probatoire exigeant. Elle rappelle le standard applicable : « La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables ». Le raisonnement s’appuie sur une enquête interne structurée et des auditions concordantes, assorties d’un rapport finalisé avant la convocation.

La motivation insiste sur la qualité des éléments recueillis : « Les déclarations des salariés sont précises et concordantes et rien ne permet de remettre en cause leur sincérité ou leur fiabilité ». L’argument tiré d’une alcoolisation générale est traité comme circonstance aggravante, non comme cause d’irresponsabilité disciplinaire. Par ailleurs, la dimension pénale est strictement distinguée du contentieux du travail : « De même, la seule décision de classement sans suite de la procédure pénale n’a pas d’effet exonératoire ».

L’appréciation de la gravité se fonde sur la nature des agissements, leur répétition et leur effet sur la victime, notamment au regard de l’atteinte à la dignité et du trouble dans l’entreprise. La Cour rattache la sanction à l’impossibilité de maintenir la relation de travail, à la charge probatoire de l’employeur et à l’exigence d’un environnement respectueux. La solution s’inscrit dans le droit positif, en cohérence avec les textes relatifs aux agissements sexistes et au harcèlement, et conforte la responsabilité de l’employeur en matière de prévention.

L’ensemble confirme la qualification de faute grave, écarte tout préjudice distinct pour circonstances vexatoires, et valide la cohérence procédurale de la rupture. La décision consolide la grille d’analyse des faits commis en marge d’événements d’entreprise et précise, avec retenue, les exigences de preuve et de proportion.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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